Samedi 9 mai 1874

De Une correspondance familiale

Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)


original de la lettre 1874-05-09 pages 1-4.jpg original de la lettre 1874-05-09 pages 2-3.jpg


Samedi Soir

9 Mai 74

Ma chère Marie

Ce n’est qu’à Midi en rentrant des ateliers que j’ai trouvé ta bonne petite lettre me donnant nouvelles excellentes de vous tous.

Quant à moi ma petite personne, rassurez-vous mais tout à fait, car je vais bien & si bien que quoiqu’ennuyé de devoir sortir de mon nid je vais aller demain Dimanche dîner avec M. Mme Heuchel[1], Georges Duméril & tous les Duméril[2] chez M. Stoecklin[3]. Voilà ce que c’est que d’être aimable, j’avais invité M. Stoecklin à dîner & maintenant j’aurais bien mauvaise grâce à refuser. L’on ne m’y prendra plus & pour ne pas dîner en ville, je me priverai plus volontiers du plaisir d’avoir à dîner chez moi. Depuis 3 à 4 nuits je dors bien & aussi me lève de bonne heure ce qui est toujours bon signe ; comme tu vois mon petit malaise n’était que très passager & je pense ne reviendra pas.

Quant aux soins de l’ami Georges D. ce n’est pas le matin qu’il faut les lui demander car de ce côté il a de bien mauvaises habitudes qu’il faudra bien corriger.

Je suis bien heureux de vous savoir en vacances[4], vous l’avez bien gagné & je partage bien ta joie. Maintenant soyez bien persuadées, toutes deux[5], que prix, accessit, ou rien du tout ne changera rien à ma satisfaction & je répondrais de même pour tante & Oncle[6]. Vous avez bien travaillé, votre bonne et chérie tante ainsi que vos maîtresses ont été contentes de votre manière de travailler vous y avez mis bien du courage & c’est bien ce que vous pouvez me donner le plus de heureux. Le reste est donc une petite satisfaction d’amour propre, bien légitime il est vrai, mais qui ne changera en rien mon plaisir d’avoir de bonnes petites filles que j’ai raison d’aimer aussi fort qu’un père peut aimer son enfant.

Je ne sais pas encore si pour le 15 je saurai être à Paris, je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir, mais cela ne dépend pas entièrement de moi comme tu sais.

J’aurais cependant bien envie de vous embrasser surtout ce jour-là & il me faudra toute ma raison si je ne m’écoute pas, car il me semble qu’il y a bien longtemps que je suis ici où l’on ne rit pas souvent.

Ce que je regrette c’est de ne pouvoir donner en ce moment un petit bout de notre maison vide pour aider votre pauvre tante à bien recevoir ses cousines[7] ; car nous remplissons un bon bout de la maison du Jardin[8], ce qui cause sans aucun doute un petit embarras surtout à Oncle & tante qui sont toujours à penser aux autres & jamais à eux-mêmes.

Mais malheureusement je ne puis rien, même pas aider aux arrangements.

Je vois avec plaisir que tu te rends justice en te comparant dans tous ces rangements à la mouche du coche & je te vois très bien d’ici fourrant ton gros nez partout.

Je n’ai pas grandes nouvelles à vous donner d’ici, le temps est à la pluie sans cependant qu’il pleuve beaucoup, mais le temps est froid & désagréable, cependant, depuis 4 jours pas de nouvelles gelées. L’on m’assure que le froid de cette année n’aura pas fait autant de mal que celui de l’année passée, l’on compte environ un bon 1/3 de vignes gelées. Quant aux fruits il faudra encore attendre quelques jours pour se prononcer, heureusement que la pomme de terre était encore sous terre & qu’il n’y a que les hâtives qui ont été détruites. Mais enfin la perspective d’une bonne année est détruite & c’est déjà suffisamment malheureux si l’année est aussi mauvaise que celle que nous venons de passer.

Par Léon[9], j’ai de bonnes nouvelles de Morschwiller tant sous le rapport des santés qu’en travail.

Par contre ici nous allons ralentir un peu mais par suite de l’incendie Paraf[10], qui se trouve ruiné, nous allons avoir un peu plus à faire car son blanchiment n’est plus.

Le Jardin est toujours beau & bien peu <d’oiseaux> mais les camélias de la serre périssent les uns après les autres, ils ne nous en restera sans doute que très peu de pieds. Cependant je suis assez content du Jardinier[11] aidé de Jeangelin[12] & son confrère <Thannois>.

Je n’ai pas encore répondu à tante Zaepffel[13] qui est toujours désolée de ne pas voir venir la place de conseiller de Préfecture pour son mari ; mais dans peu de jours nous allons la voir à Paris & nous tâcherons d’aller souvent la prendre pour nos promenades, ce qui ne lui sera pas désagréable du tout.

Voilà plusieurs personnes de Thann qui vont être forcées de quitter l’Alsace ou de contre opter, l’on croit même que celles de Mulhouse qui habitent Bâle vont avoir des difficultés pour venir soigner leurs affaires ici.

Le séminaire de Strasbourg va être supprimé & probablement celui près Mulhouse pour lequel l’évêque[14] a fait tant de sacrifices, le pauvre homme n’a rien gagné par sa conduite au parlement, les prussiens demandent la fortune de chaque père qui a un fils en France, cela a un but !!

Je pense que Cécile[15] va bientôt s’occuper de la robe blanche[16], que je me réjouis d’avoir 2 grandes & bonnes filles.

Il y a déjà beaucoup de petites premières communiantes qui se sont fait inscrire ; mais nous n’en prendrons plus d’aussi petites, elles étaient fort nombreuses ainsi que les Garçons et aucun encore n’est venu demander du travail, probablement qu’ils ne peuvent pas <encore>.

Si vous ou Cécile désirez que je vous porte quelque chose d’ici, tu auras la bonté de me prévenir à temps. Cécile a-t-elle commencé ses bains de vapeur ? Wattwiller ouvre le 14 & tous les logements sont pris. A mon retour je ferai une saison mais à la maison.

Mais me voilà à <court> de nouvelles et de <  > il ne me reste que de te charger de bien embrasser Sœurette[17], Oncle & tante & garder pour toi un bon gros baiser de ton père qui te chérit

Charles Mertzdorff


Notes

  1. Georges Heuchel et son épouse Elisabeth Schirmer.
  2. Louis Daniel Constant Duméril, son épouse Félicité Duméril et leur fils Léon Duméril.
  3. Jean Stoecklin ou son fils Alfred.
  4. Vacances du cours des dames Boblet-Charrier.
  5. Marie et sa sœur Emilie Mertzdorff.
  6. Aglaé Desnoyers et son époux Alphonse Milne-Edwards.
  7. Amélie Masterson et sa sœur, cousines anglaises.
  8. Les Milne-Edwards habitent au Jardin des plantes à Paris.
  9. Léon Duméril, dont les parents habitent à Morschwiller.
  10. L’entreprise de Mathias Paraf-Javal (voir la lettre du 7 mai).
  11. Hypothèse : Édouard Canus.
  12. Jeangelin, Jean, domestique chez Charles Mertzdorff.
  13. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  14. André Raess, évêque de Strasbourg.
  15. Cécile, bonne des demoiselles Mertzdorff.
  16. Robe pour la communion d’Emilie Mertzdorff.
  17. Emilie Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 9 mai 1874. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_9_mai_1874&oldid=60320 (accédée le 29 mars 2024).

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