Samedi 6 août 1881
Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Villers-sur-mer) à sa sœur Émilie Mertzdorff (Launay près de Nogent-le-Rotrou)
Villers [6] Août
Je suis vraiment fâchée ma petite Émilie chérie de n’être pas encore venue te remercier de ta lettre ; si tu savais pourtant comme j’ai été contente de la recevoir ! tu es bien gentille de m’écrire, continue je t’en supplie même si tu n’as rien à dire, tout ce que tu imagineras m’amuse.
Pauvre Jean[1], quelle course il a faite le jour du départ de Marcel[2] ; dis-lui combien le propriétaire des clefs lui en est reconnaissant. Marcel voulait que je lui écrive directement pour le remercier mais je n’en ai pas le temps aujourd’hui et j’envoie nos actions de grâce par ton entremise.
Petite sœur, comme je pense à toi, à notre bonne tante[3], à Marthe[4] à ce cher Launay où nous étions si bien ensemble ! Quel ennui de se séparer toujours, si au moins on pouvait passer à causer réellement le temps qu’on emploie à s’écrire ! mais enfin maintenant nous ne pouvons plus parler qu’au moyen de notre papier et de notre plume, il faut en user ; j’ai fait avan à Paris une grande provision de papier puisque je ne peux plus vous en voler ; je vais même tâcher de vous le renvoyer feuille à feuille ce que j’ai pris, les intérêts seront représentés par les petits caractères noirs dont je les couvrirai ainsi je n’aurai plus rien sur la conscience.
Mais tu attends sans doute que je te parle de nous et tu as raison car Jeanne[5] va venir téter avant que j’aie commencé à aborder les sujets intéressants. Sache donc ma petite chérie, que nous sommes très bien installés : voici le plan de notre maison :
[Plan de la maison : voir le fac-similé]
Maison
I Salon
II Salle à manger
III Cuisine
IV Escalier et vestibule sous l’escalier, un petit cellier
V porte du jardin (toujours fermée)
VI porte de service par laquelle tout le monde sort
VII entrée de la maison de Louise
VIII porte de communication avec le jardin de Louise[6]
IX banc devant la maison (il bascule souvent)
Premier étage
[Plan de l’étage : voir le fac-similé]
I chambre de notre mère[7]
II --- Marcel – Marie
III --- Jeanne
La maison a très bonne apparence, les fenêtres, les balcons sont peints en brun et le long des murs grimpent de la vigne vierge et des roses ravissantes. Louise toutes les boiseries à l’intérieur et les meubles sont en bois jaune (sapin vernis). Au 2e sont les chambres des domestiques : I Louis et Maria[8] ; II Marie[9] ; III vide en ce moment, occupée d’ordinaire par une bonne de Louise ; IV 2e Walter Scott[10]. Te voilà au courant de notre petite demeure, tu vois que nous y sommes admirablement ; tous ces jours-ci nous avons été dans l’après-midi sur la plage. Louis part chargé des pliants, du grand parapluie, des costumes de bain ; il en a sa charge, nous nous installons sous l’ombrelle qui avec son rideau ressemble à une ½ tente et nous travaillons. Jeanne est venue la 1ère fois avec nous et était enchantée mais elle a été si criarde pendant 2 jours que nous n’avons pas osé recommencer, elle se calme maintenant et passe sa vie dans le champ derrière la maison, aussi je ne fais pas de longues stations sur la plage, j’y reste de 3 à 5 environ.
Jeudi nous y avons reçu la visite de Mlle Bosvy[11] et de Marie Des Cloizeaux, cette dernière toutes deux m’ont chargée d’un nombre incommensurable d’amitiés pour toi. La veille j’avais vu tout d’un coup poindre devant moi Marthe Simon qui est venue faire un bout de conversation avec moi ; Marcel m’a dit que j’avais été bien froide, je le regrette mais n’est-ce pas que je la connais très peu ? Elle a paru enchantée quand je lui ai dit que tu viendrais peut-être. Elle est ici seule avec sa mère[12], ne connaît personne et semble s’ennuyer beaucoup. Je ne crois pas t’avoir dit non plus que nous avions voyagé dans le même train que toute la famille Fernet[13] qui allait s’installer à Trouville - encore des amitiés de ces personnes-là pour tante et toi.
Roger[14] est arrivé hier à 3h et tous les 3 grands[15] avec leur oncle[16] et leur papa ont été prendre un bain bien amusant. Maurice était gentil à croquer dans son costume. Étienne était le moins brave mais n’en était pas moins enchanté. Ils sont tous bien gentils et animent singulièrement tout autour d’eux. Louis a eu 8 ans hier chacun lui a fait son petit cadeau, il était ravi. A ce propos ne lui avons-nous pas déjà donné la Marquise de Satin vert[17]? Louise assure que non. Vous pourriez peut-être l’apporter si vous venez, je ou tu le donnerais, cela lui ferait grand plaisir. Marcel a fait hier une pêche miraculeuse, toute la famille se nourrit de harengais[18]. On attend ce soir M. Charles d’Arleux et ses 2 fils aînés[19] qui [ ]
[ ]. Ce pauvre M. est toujours dans le même triste état ; il passe ses journées sur la petite plage où il a plus de distractions.
Adieu Mumele[20] gentille, suis-je bavarde. Il ne me reste que tout juste la place de t’embrasser de tout mon cœur ainsi que chère tante sans oublier Marthe. Merci aussi à tante de sa bonne lettre d’hier. Amitiés à bonne-maman et bon-papa[21].
ta
Marie
Notes
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Marcel de Fréville, époux de Marie Mertzdorff.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Marthe Pavet de Courteille.
- ↑ Jeanne de Fréville.
- ↑ Louise de Fréville, épouse de Roger Charles Maurice Barbier de la Serre.
- ↑ Sophie Villermé, veuve d’Ernest de Fréville.
- ↑ Louis et Marie, couple de domestiques engagés rue Cassette.
- ↑ Marie : probablement la nounou.
- ↑ Les WC.
- ↑ Marguerite Geneviève Bosvy, enseignante.
- ↑ Julienne Chevalier, veuve de Charles Eugène Simon.
- ↑ Émile Fernet, son épouse Pauline Burnouf et leurs cinq filles : Jeanne Pauline, Angélique Émilie Marguerite Victoire, Amélie Henriette Mathilde, Angélique Charlotte Claire, Eugénie Jeanne Marie Fernet.
- ↑ Roger Charles Maurice Barbier de la Serre.
- ↑ Louis, Étienne et Maurice Barbier de la Serre.
- ↑ Marcel de Fréville.
- ↑ La Marquise de Satin-Vert et sa femme de chambre Rosette, roman pour la jeunesse d’Elizabeth Martineau Des Chesnez (6e édition en 1879).
- ↑ « Harengay », nom donné sur la côte de Haute-Normandie à une espèce de hareng (d’après les Descriptions des arts et métiers faites par M. M. de l'Académie Royale des Sciences de Paris, 1776).
- ↑ Albert et Georges Morel d’Arleux, fils de Charles Morel d’Arleux.
- ↑ Surnom d’Émilie.
- ↑ Jules Desnoyers et son épouse Jeanne Target.
Notice bibliographique
D’après l’original.
Pour citer cette page
« Samedi 6 août 1881. Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Villers-sur-mer) à sa sœur Émilie Mertzdorff (Launay près de Nogent-le-Rotrou) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_6_ao%C3%BBt_1881&oldid=42837 (accédée le 21 novembre 2024).
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