Samedi 22 juin 1878 (B)

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris), envoyée quelques jours plus tard, par oubli


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Ma chère Marie

Je te dirai que si ta lettre m’a fait le plus grand plaisir, il n’en a pas été tout à fait de même de mon chapeau qui est encore aujourd’hui horriblement vexé d’être comparé à tous ces bolivards[1] anglais. Il a journellement l’honneur de couvrir le chef de ton papa, honneur réservé à bien peu de chapeaux, car une fois admis à ce privilège ils ont l’habitude de le conserver longtemps, malgré leur âge ils persistent généralement à remplir leur devoir de protection. Te voilà mal notée de mon couvre-chef & de longtemps il t’en voudra. C’est à quoi conduit la critique.
Son compagnon en paille a voulu se faire rajeunir par un bon lessivage dont il avait le plus grand besoin, mais hélas il est rentré tout mortifié, car s’il était blanc il a une forme impossible & avec cela raide d’apprêt comme un Stockfisch[2] si tu connais cet aimable poisson.
Aussi malgré le soleil le plus ardent d’aujourd’hui pend-il tristement dans le corridor, un peu de pluie lui ferait le plus grand bien, et il ne pleut plus depuis hier.

Nous avons donc passé toute une journée à Sélestat. Parti le matin dès 6 heures j’étais à l’hôtel du Bouc & Aigle réunis[3], fier hôtel où le Bouc domine & l’on ne voit pas trop pourquoi il s’est associé au roi des Oiseaux. Ce jour il contenait tous les Duméril & nous étions si nombreux que les chambres suffisaient à peine.
J’étais attendu à la gare par le fiancé[4] & Léon[5]. Il est vrai que le fiancé attendait en même temps que moi une formidable caisse qui voyageait avec moi & qui devait porter tous les bouquets des demoiselles d’honneur & de la fiancée[6] même. De plus son ami Jules Scheurer futur garçon d’honneur a fait voyage avec moi & comme acteur indispensable l’on n’était pas fâché de le voir arriver. Ces dames étaient à leurs toilettes, les hommes visitaient la ville. Que faire ! s’armer de son parapluie faire comme les hommes, car il pleuvait passablement malgré le baromètre. La petite ville est admirablement [ ], très propre & très peu foulée par les voitures. Une noce se trouve être un évènement extraordinaire, aussi que de nez aux fenêtres. À 11 h réunion à la maison Lomüller les dames arrivent peu à peu deux vieilles calèches attelées de 2 chevaux étiques [ ] rendrent ce petit service aux dames en les garantissant de la pluie qui tombe toujours. Mme de Torsay[7] arrive bravement à pied avec les Messieurs portant robe de soie havane claire & belle queue idem & montrant plus que de coutume beau jupon blanc brodé. Quelle bonne aubaine pour la population féminine de voir si belle parisienne.
Première voiture les deux dames Duméril[8] robes noires trop bien queutée pour leurs habituées modestes. Puis les demoiselles Bernard[9], robe de soie havane & par-dessus robe de laine un peu plus claire. Costume brillant porté avec aisance & longue habitude. M. & Mme Léon[10] qui avec ces demoiselles faisaient bande à part dans le logement vide de Mlle Oberlé[11] qui voyage. robe de soie lilas clair avec force dentelles & quantité d’accessoires dont détail m’échappe. Une demoiselle Ritter ? Amie de la fiancée habitant la Suisse belle toilette lilas aussi avec chapeau crânement posé.
Enfin vers 11 ½ la Mariée paraît ; belle, rayonnante, fatiguée, pâle, mais belle dans son beau costume de satin blanc & entourée de fleurs d’orangers, sous son voile, elle était délicieuse.

Nous n’avions que 20 pas à faire pour être à l’église[12], sauf la mariée tout le monde s’est rendu à l’église & le cortège imposant s’avance vers l’hôtel[13] à travers une longue & grosse haie de gamines, gamins, femmes & Dames.
le petit discours de M. le curé[14] était trop long, trop mal lu, trop matériel parfois. Eloges pompeux de la fiancée, d’aussi élogieux sur le fiancé, etc. etc.
Léon qui est toujours le même taquin prétend que c’est au Bouc que M. le Curé a puisé ses renseignements sur le jeune mari.
Messe basse, pas trop longue puis la cérémonie de la sacristie. Enfin même cortège pour la sortie de l’église, même 2 voitures, mêmes chevaux & même foule. Cette fois c’est directement vers le Bouc & son associé l’Aigle que Messieurs les garçons d’honneur ont dirigé le cortège mutilé. Le dîner ne s’est pas fait attendre trop longtemps vers 1 h l’on était à table. la mariée occupait le milieu de la table vis-à-vis son père[15], à sa droite le jeune époux à gauche bon-papa bonne-maman[16] & tante Eugénie à côté de M. Lomüller ton papa avait pour vis-à-vis Mme Léon voisine de gauche M. de Torsay & de gauche M. Ringeisen[17] architecte poète à sa droite.

Menu chargé & très varié tout très bon & plus d’un devait regretter ne pas avoir plusieurs estomacs à sa disposition 6 verres de formes & grandeurs différentes ornaient chaque convive. Quel flot !
Nous étions environ 25 à table, j’étais dans le voisinage de la jeunesse Bernard l’on était parfois assez gai à notre bout mais sans grande animation & sans grand tapage. 4 h. Après 3 mortelles heures de mangeaille l’on sert le champagne une demie heure se passe & pas un toast. C’est le fils Lomüller[18] qui devait porter la première santé. Il sort. les uns croient qu’il va relire son toast, les autres par tout autre motif hygiénique, il rentre. & rien. l’on ne respirait plus. Depuis une ½ heure c’est un embarras des plus comiques & des plus angoissants, enfin Paul Duméril après un speech très bien senti porte la santé des jeunes époux. Mon voisin se fait prier encore longtemps & nous lit quelques vers ne disant pas grand-chose. Puis même silence. Il était 5 h., passer 4 h. de table c’est pire qu’une nuit en wagon. J’ai dû me dévouer en portant une santé double à M. Lomüller & à l’union des deux familles ce qui a fait lever tout le monde pour ne plus se rasseoir.
Le café se prenait à la salle du café que le Bouc nous réservait. Peu à peu les dames sont venues rejoindre les Messieurs fumeurs & buveurs.

Vers 6 h. ces dames ont quitté pour se préparer au voyage de retour. &, à 7 ½ le chemin de fer a emporté les jeunes époux avec père frère tante etc. Tandis que la famille de Torsay prennent le train qui doit les conduire à Strasbourg que l’on veut aller visiter pour ne rentrer à Vieux-thann que le soir du lendemain.
A Lutterbach nous quittons Georges & Maria qui continuent vers Bâle tandis qu’à 9h½ nous sommes à la Maison.

Les jeunes mariés, pour répondre à ta question doivent traverser la Suisse passer le Saint-Gothard & séjourner quelques jours sur le lac Majeur ou lac de Côme, de là se porter sur Milan où l’on peut leur adresser une lettre. Ils iront sans doute plus loin. Mais rien de fixé. Ils comptent rester 3 semaines à un mois si rien ne les fait rentrer plus tôt.

Je ne t’ai pas parlé d’une petite & charmante petite personne qui a joué son petit rôle avec beaucoup de gaîté & d’entrain c’est Marguerite[19] qui était charmante, s’est beaucoup amusée & a bu un verre de champagne tout entier.
J’espère que voici bien des détails un peu d’imagination & tu auras été des nôtres.

Demain Dimanche, jour de fête rien, j’ai toute la famille à dîner
& Lundi même cérémonie chez Mme Stackler[20]. Quels flots de bonnes choses pour nos pauvres estomacs !!!
Si les de Torsay logent chez moi, je ne les vois pas plus pour cela. L’on n’est pas très matinal, l’on déjeune tard puis l’on va au moulin[21] où l’on passe la journée, le soir je les entends rentrer vers les 10 h. Et c’est bien à regret que je vois si peu M. de Torsay qui est un homme charmant.
Ces amis n’avaient pas trop mauvais temps pour visiter Strasbourg, le Rhin & Kehl & Marguerite a vu & entendu sonner midi à l’horloge. le coq l’a ravie aussi sait-elle chanter comme lui.

L’Oncle Georges[22] va mieux, mais il se passera encore bien des jours avant qu’il ait la force de circuler dans la Maison.

Ma sœur[23] m’a envoyé la clef de ses clefs de sa maison, c’était parfaitement inutile puisque je prendrai mon linge de lit d’ici & qu’il ne me faudra rien que son toit & une tasse pour mon café le matin. Elle va bien & doit être aujourd’hui même en route pour l’exposition où elle ne séjournera que 10 à 15 jours.

M. Jaeglé[24] vient aussi de nous quitter pour la même destination, mais lui ne veut être absent que 8 jours. il est fort possible qu’il vous fasse une visite. Je lui ai donné l’heure de 11 h pour savoir vous rencontrer sûrement.

Tante Eugénie projette toujours de quitter le moulin mardi prochain. Elle ne fera qu’un séjour de deux jours à paris, son pied-à-terre sera chez Mlle Fidéline[25] avec laquelle elle partagera appartement.

En voici assez pour une fois. à plus tard le reste.
Embrasse bien ta sœurette[26], tante & oncle[27] & pour toi les meilleurs baisers de ton père qui est toujours avec vous comme tu sais
tout à toi
ChsMff
Samedi Soir 22 juin 78.


Notes

  1. Bolivar ou bolivard : mot d’argot pour désigner un chapeau.
  2. Cabillaud, lieu ou autre poisson séché à l’air libre.
  3. Au 21 rue du Sel, l’auberge du Bouc, réputée depuis le XVe siècle, est devenue hôtel Bouc-Aigle en 1873.
  4. Georges Duméril.
  5. Léon Duméril.
  6. Maria Lomüller.
  7. Clotilde Duméril, épouse de Charles Courtin de Torsay.
  8. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril et sa sœur Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril (« tante Eugénie »).
  9. Elisa Louise et Marie Bernard.
  10. Léon Duméril et son épouse Marie Stackler
  11. Clémentine Oberlé.
  12. Probablement l’église sainte-Foy.
  13. L’autel.
  14. Joseph Mury, curé de Sainte-Foy de 1867 à 1896.
  15. Louis Stéphane Étienne Lomüller.
  16. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
  17. Antoine Ringeisen.
  18. Louis Lomüller.
  19. Marguerite Courtin de Torsay, 8 ans.
  20. Marie Stéphanie Hertzog, veuve de Xavier Stackler.
  21. Le Moulin où habitent Louis Daniel Constant et Félicité Duméril.
  22. Georges Heuchel.
  23. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  24. Frédéric Eugène Jaeglé.
  25. Fidéline Vasseur.
  26. Emilie Mertzdorff.
  27. Aglaé Desnoyers et son époux Alphonse Milne-Edwards.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 22 juin 1878 (B). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris), envoyée quelques jours plus tard, par oubli », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_22_juin_1878_(B)&oldid=42419 (accédée le 14 novembre 2024).

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