Mercredi 25 avril 1917

De Une correspondance familiale


Carte-lettre de Guy de Place (mobilisé) à M. Meng (Fellering)


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Reçu le 28-4-1917

le 25-4-17

Mon cher Monsieur Meng

En premier lieu je vous accuse réception de votre lettre du 18 avril, et j’y réponds de suite.

Réquisitions de matériel. MM. Zwingelstein et Meyer[1] me paraissent tout indiqués pour nous représenter, puisque l’administration les accepte. Vous pouvez proposer Monsieur Zundel pour expert de l’administration, à condition toutefois que M. Zwingelstein soit d’accord. Comme c’est M. Zwingelstein qui aura surtout à discuter avec lui (ce que je dis là est d’ailleurs aussi vrai pour M. Meyer) je ne voudrais pas lui imposer quelqu’un avec lequel il saurait d’avance ne pas devoir s’entendre. A ce propos je vous rappelle et je vous prie de vous rappeler à ces messieurs quelle est la jurisprudence actuelle de la Cour de Cassation en matière de réquisitions : il ne faut pas croire que le prix à payer pour les réquisitions d’une machine par exemple soit forcément le prix d’achat ou le prix au cours du jour (quand il y a un cours). Evidemment on peut s’entendre à l’amiable sur ces prix, mais le propriétaire de l’objet réquisitionné n’est pas obligé de les accepter : les tribunaux sont tenus de fixer le prix de telle sorte que le propriétaire dépossédé n’ait ni perte ni bénéfice. Il résulte des premiers textes du projet sur les dommages de guerre qu’il en sera à peu près de même dans ce cas. Nos experts auront donc à spécifier en dehors de la nature des dégâts la moins value due au fait de guerre (en pourcentage). D’après la jurisprudence précitée nous sommes en droit d’exiger que, pour le matériel réquisitionné, les prix soient fixés de telle sorte que nous ne subissions aucune perte lors du remplacement. Je n’ai rien à objecter à la classification de [M. Marchand]. Nous ne pouvons nous opposer à l’évacuation du matériel réservé évacuable : Nous nous exposerions en effet à engager notre responsabilité en cas de dégâts ultérieurs à ce matériel.

Comme vous avez fort bien fait de le commencer déjà, il faut agir auprès du service des forges de Belfort pour que la situation de notre tour et de la turbine soit réglée.

Créance Mautter. Je n’insiste pas pour le remboursement de la créance Mautter, mais sous la réserve formelle qu’il sera, ainsi que je vous l’ai dit, passé un acte formel, notarié, suivant lequel les Héritiers Mautter renoncent à leur tour à nous imposer une date de remboursement dans la suite. Vous ne me dites pas si les héritiers se sont à ce sujet déclarés d’accord avec nous : Je ne veux pas, pour avoir fait preuve de bonne volonté actuellement, être exposé dans la suite à rembourser à un moment où cela nous gênerait.

Drogues. Je vous ai demandé il y a quelques semaines si nous avons encore des drogues ou marchandises à vendre (Papiers, etc.). je serais heureux d’avoir la liste complète avec votre avis sur l’opportunité de vendre. Mon avis personnel est que tout cela ne peut guère que s’abîmer et que dans les mois qu’il nous faudra pour reconstruire nous aurons le temps de nous réapprovisionner en marchandises fraîches.

Houille. Messieurs Scheurer Lauth[2] ont envoyé au ministre de l’armement[3] une protestation au sujet de la vente de notre stock de houille. Ils prétendent que nous avions pris l’engagement de leur céder notre stock entier. Je n’ai aucun souvenir de cet engagement. Et vous ? réponse urgente et voyez au besoin ces Messieurs pour éclaircir ce malentendu

Bons du Trésor. Vous pouvez en prendre pour 50 000 F chez Offroy (à 6 mois).

Vente de machines et ferrailles. Avez-vous parlé de l’offre Nordon à M. Maréchal ; la lui avez-vous présentée comme une affaire en cours, qui ne pourrait être arrêtée par l’inventaire actuel ? M. Nordon a essayé de voir M. Froissart qui, naturellement s’est déclaré incompétent. Je vous avais écrit au sujet de l’offre faite en janvier et que vous me soumettez, que je n’avais plus en mains les documents nécessaires, me souvenant seulement que les prix fixés par Zwingelstein me paraissaient ou plutôt m’avaient à l’époque paru trop faibles pour que vous je puisse préciser mon opinion il faudrait que vous me soumettiez un tableau indiquant pour chaque machine le prix d’achat, le prix proposé il y a quelques mois par Zwingelstein et le prix offert par Nordon : le prix proposé pour la vieille tuyauterie par Nordon 15 F les 100 kg me paraît en effet faible : combien vend-on donc le vieux fer à Belfort ? on me dit (des gens compétents) que la ferraille vaut actuellement dans les 24 F (de 20 à 24 les 100 kg). Avez-vous été depuis lors en correspondance avec Nordon et que vous a-t-il répondu ?

Salaires. A dater du 1er avril, M. Meyer et M. Siegel seront portés à 160. Vous-même à 235. Bien entendu il faut que les intéressés aient la discrétion nécessaire. Je ne veux pas voir arriver une pluie de réclamations que mes moyens ne me permettraient pas d’écouter.

Séquestre. Veuillez renvoyer à M. Zw Hochstetter après en avoir prix connaissance, la lettre incluse avec le certificat de coutume (Je suppose que M. Hochstetter est à Lyon). A vous je renvoie l’extrait du code de commerce allemand. Les deux pièces étaient entre les mains de M. Froissart et, entre nous je dois vous dire qu’elles ne m’ont pas convaincu ou plutôt qu’elles ne me paraissent pas assez formelles pour convaincre un tiers qui n’a pas envie d’être convaincu. Il résulte très nettement de ces pièces que nous avons un droit de rétention sur les marchandises sous séquestre en raison de frais fait par nous sur ces marchandises mêmes. Mais malgré la conclusion de M. Bockel[4] dans son certificat de coutume il ne ressort pas nettement me semble-t-il que nous avons ce droit de retenue sur ces mêmes marchandises à l’occasion des frais sur d’autres marchandises. En d’autres termes le séquestre est tenu de nous payer des frais faits sur les pièces à Lyon, mais pas des frais faits sur des marchandises déjà livrées.

Dans les « attendus » paragraphe 3, M. Bockel dit que les créances sont dues pour travail etc. sur marchandises se trouvant à cet effet en possession de D.J.C.[5], or les créances dont nous parlons aujourd’hui et relatives à des pièces ne se trouvent plus à cet effet en possession de D.J.C. Le 2e paragraphe du [article] 273 (souligné en bleu) permet la même objection ; est-ce que le premier paragraphe (qui est plus large) suffirait à nous couvrir ? J’ai pourtant le souvenir très net que nous nous considérions comme en droit de nous couvrir de créances quelles qu’elles soient par les quelques pièces d’un client qui nous restent en magasin. Mais je ne voudrais mettre entre les mains du séquestre que des actes qu’il ne puisse pas discuter. Je vous prie donc d’en entretenir au plus tôt M. Bockel. Ne connaissez-vous personne à Wesserling qui pourrait nous renseigner plus catégoriquement. M. Bockel n’a pas donné copie de l’article 369 du code de commerce, peut-être est-ce celui-là qui nous éclairerait.

Il est essentiel que vous voyiez M. Bockel le plus tôt possible de manière que vous puissiez renseigner Hochstetter pendant qu’il est encore à Lyon. Si M. Hochstetter est déjà à Lyon veuillez le prier de ne pas quitter cette ville sans s’être mis d’abord d’accord avec moi. D’ailleurs faites-lui suivre immédiatement la lettre incluse après avoir pris copie du certificat de coutume qu’elle renferme, certificat copie qui vous servira à causer avec M. Bockel.

En voilà je crois, assez pour aujourd’hui. Veuillez le plus tôt possible liquider les questions ci-dessus.

Cordialement à vous

GP

Il faudrait en somme, si M. Bockel partage notre manière de voir générale (à savoir que nous avons un droit de rétention en raison de marchandises qui ne sont plus en nos mains) qu’il établisse de suite un nouveau certificat de coutume, supprimant les mots « effectués » sur des tissus se trouvant à cet effet en possession de la maison D.J.C. Vous m’enverriez d’urgence cette pièce pour que j’en prenne connaissance et je la ferais suivre à M. Hochstetter. En même temps vous préviendrez directement M. Hochstetter qu’il la recevra peu de jours ensuite par mon intermédiaire.


Notes

  1. Charles Meyer.
  2. Auguste Lauth et ses associés Scheurer.
  3. Albert Thomas, ministre de l'Armement et des fabrications de guerre, de décembre 1916 à septembre 1917.
  4. Louis Bockel, notaire.
  5. Duméril, Jaeglé et Compagnie.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 25 avril 1917. Carte-lettre de Guy de Place (mobilisé) à M. Meng (Fellering) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_25_avril_1917&oldid=52832 (accédée le 21 novembre 2024).

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