Mardi 9 août 1870 (A)

De Une correspondance familiale

Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller)

livre de copies, vol. 2, p. 611 (lettre 1870-08-09 A).jpg livre de copies, vol. 2, p. 612 (lettre 1870-08-09 A).jpg livre de copies, vol. 2, p. 613 (lettre 1870-08-09 A).jpg livre de copies, vol. 2, p. 614 (lettre 1870-08-09 A).jpg


Paris Mardi 9 Août 1870

Mes chers amis,

Au milieu de l’agitation générale, et de la préoccupation que nous cause le décret qui fixe la limite d’âge, pour la garde mobile, à 30 ans, et qui, en atteignant sûrement Paul[1] et Georges, va peut-être atteindre Léon[2], dont les 30 ans ne seront accomplis que dans 6 semaines, je viens vous parler de moi. Dans la visite que Lecointe[3], m’a faite hier, et à la suite d’une nouvelle exploration, extrêmement attentive, à laquelle il s’est livré, il est arrivé à la conclusion, que mon anémie, et les différents accidents nerveux qui l’accompagnent, proviennent d’un état du foie, dû à de l’hypertrophie de l’un des lobes de cet organe. Il a voulu cependant suspendre son jugement, jusqu’à ce que j’eusse été examiné par le docteur Barth. Ma femme[4], avec son élan, et son cœur habituels, est immédiatement allée chez Barth, chercher son heure, et une consultation, décidée pour ce matin, à 9 h, a été signalée par elle à Lecointe, au moyen d’un télégramme. La consultation a été absolument confirmative, de l’opinion, exprimée la veille, par Lecointe, qui, se bornant à exposer les symptômes au confrère, l’a laissé chercher. Sa recherche, très exacte et minutieuse, l’a amené au même résultat, que celui trouvé par Lecointe. Le lobe droit du foie a acquis un développement anormal, pas très considérable, mais suffisant, pour motiver la compression des gros vaisseaux veineux, laquelle, par suite du trouble apporté ainsi à la circulation, peut expliquer l’état d’anémie, et les accidents nerveux, qui en sont la conséquence. Employer les moyens propres à combattre l’état du foie, c’est donc là l’essentiel, et un traitement approprié a été déterminé par les deux confrères, qui, heureusement, me laissent à Paris. Je vais boire de l’eau de Vichy (source Hauterive[5]), mais, par bonheur, je n’ai pas à aller la boire sur place. Des purgations, des tisanes, de l’arséniate d’antimoine, viendront en aide à l’action de l’eau de Vichy. Espérons que les bons effets qu’on attend de ces moyens de traitement seront obtenus.

Voici Adèle[6] menacée de ne pas voir Marie[7]. Sa grand-mère qui, dans sa presse de partir, se montre un peu folle, ayant obtenu, sur le bateau de samedi, la dernière place libre, n’a pas voulu attendre jusqu’au mardi ;mais Mme Huet[8], qui comprend quel serait le chagrin des deux amies de ne pas se voir, va faire en sorte de trouver un compagnon de route pour Marie, et peut-être, tout espoir n’est-il pas perdu. L’admirable force de caractère d’Adèle vient de lui faire supporter beaucoup mieux que cela n’aurait été pour bien d’autres, l’annonce du déboire dont elle est menacée, et qui, nous l’espérons bien vivement, lui sera épargné. Au reste, ce matin, sa joie n’a pas été moins vive que la nôtre, en voyant que notre longue séparation n’allait pas être suivie d’un nouveau départ.

Faites-nous savoir, le plus promptement possible, nous vous en prions bien instamment, si Léon devra, ou non, partir. Quant à nos neveux, dont Eugénie[9] vient de voir le père[10], leur départ est malheureusement certain. Nous avons eu le plaisir, hier au soir, pendant que nous faisions une impériale, d’avoir la visite d’Eugénie[11] et de ses filles[12], qui ont des mines resplendissantes, avec un teint bien hâlé. Dans quelques jours, toute la famille va aller à Montmorency. M. Alfred Desnoyers a passé la journée de dimanche au camp de Châlons avec Julien[13], qui est en bonnes dispositions. Mme Bibron[14], qui revient très agitée de la campagne, et n’a pas voulu y rester plus longtemps, vient de nous faire visite. C’est à cause de vous, que Mme B. est venue : sachant que j’allais vous écrire, elle m’a chargé de vous dire qu’elle avait beaucoup pensé à vous, mais qu’elle avait été heureuse de voir que les grands évènements se passaient, non dans le Haut-Rhin, mais dans le Bas-Rhin. Nous avons appris, ce matin, la triste nouvelle de la mort du brillant Lieutenant Colonel de Joinville, qui avait épousé Mme Roullier[15], la fille de M. Kiener. C’était un mariage d’inclination. La pauvre femme ne sait qu’une blessure, très grave, et ignore encore le décès. Que d’autres, vont, comme elle, éprouver les plus profondes douleurs !

Que de fois déjà, avec notre chère Adèle, nous avons parlé des habitants de Morschwiller, et de l’accueil, si tendrement cordial, que nous en avons reçu, et du bonheur de notre réunion.

Adieu, mille tendres amitiés. Nous allons aller, en voiture, Eugénie et moi, faire visite à Mme de Tarlé[16], en allant chez MM. Desmarest Ducoing[17].


Notes

  1. Paul Duméril (né en 1845) et son frère Georges (né en 1846).
  2. Léon Duméril (né en 1840).
  3. Le docteur Charles Édouard Lecointe.
  4. Eugénie Duméril.
  5. La source Hauterive (Allier), plus exploitée actuellement, produisait une eau exportée pour la consommation à domicile, conseillée dans les affections des reins, de la vessie, du foie.
  6. Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil.
  7. Marie Huet.
  8. Probablement Victoire Montoud, veuve de Jean Baptiste Huet II.
  9. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste.
  10. Charles Auguste Duméril, père de Paul et Georges.
  11. Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff.
  12. Marie et Emilie Mertzdorff, qui arrivent de Paramé.
  13. Julien Desnoyers, frère d’Alfred.
  14. Jeanne Belloc, veuve de Georges Bibron.
  15. Caroline Émilie Kiener, veuve de Pierre dit Victor Roullier, épouse de Charles Émile de Joinville, fille de Louis Charles Kiener.
  16. Suzanne de Carondelet, veuve d’Antoine de Tarlé.
  17. Les banquiers Desmarest & Ducoing.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril 2me volume (pages 611-614)

Pour citer cette page

« Mardi 9 août 1870 (A). Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_9_ao%C3%BBt_1870_(A)&oldid=58797 (accédée le 21 novembre 2024).

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