Mardi 28 août 1900

De Une correspondance familiale



Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Brunehautpré), à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris)


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Brunehautpré, 28 Août 1900.[1]

Ma chère petite Marie,

Oui, tu m’as fait plaisir en m’écrivant de Launay, et j’ai lu et relu cette bonne lettre que je viens de prendre à la poste de Campagne. Tout ce que tu me dis de notre cher jeune ménage[2] me ravit. Quel bonheur de leur voir enfin apprécier leur vie heureuse. Je comprends le sentiment de tristesse que tu as ressenti à Launay, il me semble aussi que j’aurai de la peine à y retourner. J’ai tant joui de nos petites promenades avec oncle[3] [ ] dernier, de nos longues causeries, c’est là qu’on se voyait bien qu’on se refondait.

Tu parais enchantée d’être délivrée des excursions et voilà qu’en rentrant chez toi, sans doute, tu auras trouvé la lettre par laquelle j’invitais les chasseurs à venir à Brunehautpré ! je me demande en tremblant quel accueil tu lui auras fait. Si la date du 1er ne vous convient pas, choisissez-en une autre, tout le gibier de Brunehautpré ne sera pas tué le jour de l’ouverture, et puis il y a encore Dommartin, Lambres.

J’attends mes voyageurs demain. Jacques[4] paraît s’amuser comme un prince et son papa[5] le gâte tant qu’il peut.

Tu me demandes des nouvelles de ma santé et je ne t’ai pas encore répondu à ce sujet. Je vais très bien, ma gorge ne fait plus parler d’elle mais parle beaucoup sans fatigue, et lit même sans inconvénient. Nous nous sommes donnés, il est vrai, beaucoup de mouvement, mais cela a été sans fatigue. Cette vie très jeune et très gaie qui me rappelle beaucoup nos vacances d’autrefois, m’a fait je crois plus de bien que tout les remèdes. J’ai beaucoup suivi la jeunesse parce que, quand on a des enfants d’emprunt, on ne les surveille, il me semble, jamais trop, et puis ne voulant pas priver mes filles[6] de l’entrain des garçons et ne pouvant pas les abandonner trop complètement je me suis mêlée le plus possible à aux distractions qu’on inventait, aux rires et à la gaieté et je m’étonnais parfois moi-même de me sentir si jeune ! Pendant le séjour des du Roure[7], cela n’a été qu’un éclat de rire perpétuel, André[8] lui-même n’y résistait pas. Ce jeune Henry est un drôle vrai boute-en-train et mettait toute la famille en mouvement. Il me rappelait beaucoup oncle au temps où il était si gai, où il avait toujours quelque invention nouvelle à laquelle il intéressait tout le monde. C’était un feu roulant de taquineries ; le soir le crayon d’Henry caricaturait toutes les aventures de la journée ou bien son esprit drôle et enjoué se donnait libre cours dans les petits jeux. Je t’assure que je me suis plus d’une fois crue ramenée dans à nos amusantes soirées de Port-en-Bessin. Hélas ! que c’est loin pourtant.

J’ai regretté pour Hélène[9] que cette trombe de gaîté n’ait pas pu s’arrêter plus d’un jour sur Rimbert[10], elle paraissait s’en amuser beaucoup et je crois qu’elle a la vie un peu sévère en ce moment, la pauvre petite. Les précautions qu’elle est forcée de prendre l’empêchent de voir aussi souvent les aimables voisines qu’elle aimerait à fréquenter ; elle ne peut même pas s’occuper de son ménage autant qu’elle voudrait et son mari est si occupé qu’elle le voit peu. Je lui ai envoyé un paquet de livres pour la distraire. Tante M.[11] m’écrit qu’elle a renoncé au voyage de Rochebelle et elle l’attend à Versailles. Damas[12] qui s’est trouvé voir M. St.[13] à Paris et il paraissait trouver même le voyage à Versailles imprudent ; vraiment je crois que cet excellent oncle exagère un peu les soins.

Il me semble que vous vous donnez encore plus de mouvement que nous et que les départs à 5h du matin ne vous effraient pas non plus. Tout cela amuse beaucoup la jeunesse, rappelle-toi comme cela nous amusait aussi.

Cette semaine nous sommes au calme complet, nous en profitons pour faire avancer les devoirs de vacances, travailler le [ ] et pour voir beaucoup la bonne-maman[14], avant de rentrer dans un nouveau tourbillon de mouvement et de plaisir.

Demain nous passons la journée au Touquet et Damas et Jacques nous y rejoindront à midi étant partis le matin de Paris.

Nous avons été Dimanche à Bamières : nos pauvres cousins[15] sont bien perplexes et ne savent à quoi se décider pour cet hiver ; il n’y a que 2 choses certaines c’est qu’ils ne retourneront pas à Saint-Omer et que Max et Jean entrent à Stanislas, l’un en mathématique élémentaire et l’autre en rhétorique : il ne se représentera pas à l’examen en Novembre. Les parents se demandent s’ils resteront à Bamières, s’ils iront à [Cannes] ou s’installeront près de Paris pour ne pas s’éloigner de leurs fils. Qu’ils sont malheureux les pauvres gens !

Ai-je assez bavardé, ma chérie ? j’en suis un peu confuse, mais c’est si bon. Je t’embrasse de tout mon cœur et j’envoie mille bonnes amitiés à tout ton entourage.

Rappelle-moi au bon souvenir de ta belle-mère[16].

Émilie


Notes

  1. Lettre sur papier deuil.
  2. Probablement Jean Dumas et son épouse Marthe Pavet de Courteille.
  3. Alphonse Milne-Edwards (décédé au mois d'avril).
  4. Jacques Froissart.
  5. Damas Froissart.
  6. Lucie et Madeleine Froissart.
  7. Édouard Du Roure et Marie Jeanne Clémentine Hamelin, qui ont cinq enfants : Charles, René, Henry (17 ans), Madeleine et Jeanne Du Roure.
  8. André Parenty, futur prêtre.
  9. Hélène Duméril, épouse de Guy de Place ; sa fille Anne Marie de Place naîtra le 28 février1901.
  10. Rimbert, commune d'Auchel (Pas de Calais).
  11. Marie Stackler, veuve de Léon Duméril et mère d'Hélène.
  12. Damas Froissart.
  13. Le docteur Henri Stackler, oncle d'Hélène.
  14. Aurélie Parenty, veuve de Joseph Damas Froissart.
  15. Paul Froissart et son épouse Eudoxie Dambricourt ; ils ont huit enfants, les deux aînés sont Maximilien et Jean Froissart.
  16. Sophie Villermé, veuve d'Ernest de Fréville.   

Notice bibliographique

D’après l’original.


Pour citer cette page

« Mardi 28 août 1900. Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Brunehautpré), à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_28_ao%C3%BBt_1900&oldid=56948 (accédée le 23 avril 2024).

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