Mardi 11 mars 1862

De Une correspondance familiale


Lettre de Félicité Duméril (Paris) à sa fille Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


Paris 11 Mars 1862

Ma chère enfant,

Nous voici de retour à Paris[1] depuis Dimanche à deux heures de l'après midi. Notre petit voyage s'est fait le plus heureusement du monde en compagnie de l'excellent Valéry Vasseur dont la société est celle d'un parent bien affectionné et dévoué. Il vient de repartir pour la Pastourellerie, ton père[2] l'accompagne jusqu'à la gare. En partant, Valéry nous a chargés pour toi et Léon[3] de ses meilleures amitiés en nous disant en même temps combien il serait heureux de pouvoir un jour faire la connaissance de ton bon mari[4]. Hier soir nous avons eu la visite de Félicie[5] et plus tard celle de son mari. Pauvre Félicie ! combien elle est méconnue et traitée rudement par Charles Cordier celui-ci est toujours le même, rempli de talent pour son art mais plein de présomption et ayant de lui la plus haute opinion, il refoule sans cesse la pauvre Félicie et il semble, à l'entendre, qu'elle ne peut dire que des bêtises. Si elle n'avait pas la faculté de pouvoir prendre de la distraction, elle serait une femme bien malheureuse. Ton excellente cousine Fröhlich[6] nous a bien gâtés comme toujours elle m'a remis pour la petite Emilie[7] une petite croix tout à fait semblable à celle qu'elle a donnée dans le temps à Miky[8] afin que les petites sœurs soient pareilles. Il me serait bien difficile de te peindre le bonheur d'Adèle et Marie[9] à la possibilité d'un voyage en Alsace, de pouvoir soigner les petites, de les amuser, de leur faire des robes de poupée, et de pouvoir te suivre dans tes occupations. Dimanche matin Marie n'avait qu'une idée c'était de faire le plan de ta maison elle me disait : je crois que je me la représente parfaitement, et je voudrais bien que vous voyiez si je ne me suis pas trompée. Les deux sœurs auront, je crois, un très joli talent sur le piano surtout Adèle qui attaque les notes avec une netteté remarquable. J'aurai le bonheur de revoir Mme Fröhlich mardi prochain, elle pense positivement à remplacer Mlle H. et hier j'ai été prendre, d'après son désir, des renseignements sur une demoiselle qui se propose comme institutrice. Tout cela agite nos bons parents Fröhlich, c'est un moment difficile. Puissent-ils trouver bientôt un bon sujet et n'avoir pas à souffrir du désappointement de Mlle H. Maintenant parlons un peu de nos chères petites auxquelles je pense sans cesse et que je suis si impatiente de revoir et d'embrasser. Cette constipation de Miky me fait toujours de la peine et je donnerais bien des choses pour qu'on pût s'en rendre maître et que la chère enfant pût chaque jour et à la même heure s'exécuter. Elle serait à merveille si ceci ne venait pas toujours entraver sa santé. Dis-lui de ma part qu'elle me fera le plus grand plaisir si elle essaie chaque matin d'aller à la selle ; Méhil quoique bien loin à présent la voit sans cesse ainsi que la petite Emilie qui l'a fait pleurer de joie par sa course d'un bout à l'autre de la pièce sans être soutenue et en riant aux éclats. Que de changements je vais trouver chez ces chères petites que nous aimons tant avec leurs parents et leur oncle[10]. Alphonse[11] ne pourrait-il pas attendre notre retour pour l'arrangement du jardin ? Cette année il faudra songer aux ognons et aux échalotes, j'ai demandé à Mme Fröhlich des haricots blancs excellents et qui sont bien plus tendres que les flageolets j'en rapporte en Alsace et me ferai grand plaisir d'en donner à notre chère Madame Heuchel[12] que je te prie d'embrasser bien fort pour moi. Dis-lui que je n'ai pas oublié ses petites commissions et qu'elle voie bien si elle n'en a pas d'autres à me donner. Combien nous remercions notre cher Léon de ses bonnes lettres, dans l'éloignement il est si doux de recevoir ainsi des détails sur ceux qu'on a laissés. Voilà M. et Mme Zaepffel[13] de retour à Colmar et nous faisons tous bien des vœux pour que leur santé s'y rétablisse tout à fait. Depuis notre retour je n'ai pas pu aller encore chez nos bons amis Desnoyers parce qu'hier j'ai été obligée de faire des courses éloignées qui étaient indispensables. T'ai-je écrit que par un petit écrit d'Adine et trouvé dans sa toilette, elle me laisse deux robes de soie de couleur foncée, elle y prie Eugénie[14] d'accepter sa robe de moire bleu clair, sa sœur Pauline[15] une robe de taffetas bleu garnie de dentelles, sa mère[16] sa robe de moire noire, et désire qu'il soit donné à chacune de ses bonnes une robe de laine et une d'indienne. C'est demain à Midi qu'aura lieu le commencement de l'inventaire qui durera sûrement quelques jours et je serai auprès de mon bon frère[17] et de Clotilde[18] pendant toute la durée. Dis à la bonne Marie[19] que je prends bien part à sa douleur et à tout ce qu'elle a dû éprouver dans le cruel voyage qu'elle vient de faire. Adieu ma bien chère enfant tâche de nous envoyer quelques lignes. Je crois t'avoir dit que nous avons remis pour toi trois cents francs à Eugénie Desnoyers. Pourrions-nous toucher cette somme chez M. Desmarest ?

Nous t'embrassons bien fort ainsi que tout ton cher entourage.
F. D.

Mme d'Anduy te fait mille amitiés et te prie de lui donner ta photographie non pas celle qui te représente toute seule. Mille choses bien affectueuses de ma part à Mme Mertzdorff[20].
La tante Eugénie[21] m'a remis pour toi sa photographie en médaillon, dis-en un mot de remerciement dans ta première lettre.
Cette bonne Fidéline[22] m'a remis pour tes enfants une douzaine de cœurs d'Arras[23] et une jolie prière d'Esther[24] qu'elle a copiée pour toi.


Notes

  1. Félicité et Louis Daniel Constant Duméril, qui vivent habituellement en Alsace, séjournent à Paris depuis le décès de leur belle-sœur Adine (Alexandrine Brémontier, épouse de Charles Auguste Duméril) ; ils ont quitté Paris quelques jours pour une visite familiale.
  2. Louis Daniel Constant Duméril.
  3. Léon Duméril, frère de Caroline.
  4. Charles Mertzdorff.
  5. Félicie Berchère, épouse du peintre Charles Cordier.
  6. Éléonore Vasseur, épouse d’André Fröhlich.
  7. Émilie Mertzdorff, seconde fille de Caroline.
  8. Marie Mertzdorff, fille aînée de Caroline.
  9. Adèle et Marie Fröhlich, filles d’Éléonore Fröhlich et André.
  10. Caroline et Charles Mertzdorff ; Léon Duméril.
  11. Alphonse Payot, jardinier chez les Mertzdorff.
  12. Élisabeth Schirmer, seconde épouse de Georges Heuchel.
  13. Émilie Mertzdorff, sœur de Charles, et son époux Edgar Zaepffel.
  14. Eugénie Duméril, belle-sœur d’Adine (Alexandrine Brémontier, épouse de Charles Auguste Duméril).
  15. Pauline Brémontier, épouse d’Adolphe Louis Philippon.
  16. Alexandrine Colombe Tarbé de Vauxclairs, veuve de Georges Bertin Brémontier.
  17. Charles Auguste Duméril.
  18. Clotilde Duméril, fille aînée d’Adine et Charles Auguste Duméril.
  19. Marie Martin.
  20. Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff, belle-mère de Caroline.
  21. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril.
  22. Fidéline Cumont, épouse de Théophile (Charles) Vasseur, tante de Félicité, ou bien sa fille Fidéline Vasseur.
  23. Spécialité de pâtissière de cœurs en pain d’épices.
  24. Texte biblique : Prière d’Esther avant de se rendre auprès du Roi Assuérus pour obtenir la grâce du peuple d’Israël.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Mardi 11 mars 1862. Lettre de Félicité Duméril (Paris) à sa fille Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_11_mars_1862&oldid=60132 (accédée le 12 novembre 2024).

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