Vendredi 25 avril 1862

De Une correspondance familiale


Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son amie Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


Paris 25 Avril 1862

Ma chère petite Crol,

Je n'ai que de tristes choses à te dire. Notre bonne Madame Boulez[1] est bien malade et papa et maman[2] sont auprès d'elle. Lundi à minuit en rentrant de chez ma tante Target[3], nous avons trouvé 2 lettres de Nogent, l'une du médecin[4] et l'autre d'Ambroise[5] le domestique de Mme Boulez, et toutes deux annonçant que cette pauvre dame, après avoir assisté, le jour de Pâques aux offices et être remontée à pied à Launay, a eu le soir une attaque ; elle est tombée en parlant à ses domestiques[6] et est demeurée paralysée du côté gauche, papa et maman sont partis Mardi par le premier départ. Ils l'ont trouvée avec toute sa connaissance – mais dans un état bien grave ; agitation et souffrance dans tout le côté droit ; le médecin n'ose pas donner d'espoir. Tu comprends la tristesse de nos chers parents, toi qui connais l'amitié de Mme Boulez pour notre famille, amitié qui remonte à 40 ans !... C'est tout dire. aussi avons-nous tous le cœur bien serré. pourvu que cette épreuve ne fasse pas mal et à papa et maman.
Nous recevons des nouvelles tous les jours et si la nuit n'a pas amené quelques symptômes plus alarmants papa arriverait à 1 h pour l'Institut, quant à maman elle ne sait pas ce qu'elle va faire, elle est à Launay avec la princesse d'Hénin[7] une vieille amie aussi de Mme Boulez qui est accourue à la triste nouvelle.

Je ne vous parle pas du départ de M. et Mme Duméril[8] et cependant nous pensons bien à vous, et nous comprenons que si d'un côté il y a joie de pouvoir rendre quelque service à ton bon mari[9], de l'autre il y a serrement de cœur à la pensée de s'éloigner de vous et de vos deux amours[10] ; et puis plus les affaires s'étendent plus il y a de préoccupations et je sais que c'est là une pensée qui t'effraie toujours.
J'espère que vous êtes tous bien portant parents et enfants et nous vous envoyons comme toujours mille souvenirs affectueux.

Notre semaine sainte a été bonne ; nous avons suivi la retraite de Notre-Dame, elle a été très bien prêché par l'abbé Langénieux[11], il a pris pour sujet la femme chrétienne et a montré d'une manière charmante quelle doit être sa vie en face la famille, le monde, la douleur, la joie && et a conclu d'une façon très touchante en montrant que puisque Dieu a seul été son but en tout, à son heure dernière elle sourit encore en retrouvant Celui qui a été sa force et son consolateur.

Nous avons fait dessiner tes bandes (pas chez la femme du quai hélas elle est morte depuis longtemps, le mari est parti ! remarié !...) mais je n'ai pas de coton et c'est ce qui m'empêche de te les renvoyer. Pour tes autres commissions tu sais que tu ne nous as rien dit aussi nous ne faisons rien.

Nous avions fait de très beau projet de promenades pour cette semaine à cause de notre Julien[12] et tout a été renversé. cependant nous tâchons que notre collégien profite encore un peu de ses vacances et Constance[13] nous a accompagnés au Louvre et au Jardin d'Acclimatation ; hier nous avons eu Amélie[14], aujourd'hui il a ses amis ; nous lisons ensemble et lui en brave garçon ne se plaint pas du renversement de tous nos beaux projets. Nous avons 2 soirées de réunions de famille pour cette semaine et l'autre mais tu comprends que si les nouvelles continuent d'être mauvaises maman restera auprès de cette pauvre Mme Boulez et que nous ne bougerons pas du Jardin. Mardi nous avons eu la visite de M. Fröhlich bon et aimable comme toujours, hier nous avons eu une lettre des petites[15] nous annonçant leur arrivée à la capitale pour 2 jours Mardi si cela nous convenait [ ] l'autre semaine si maman n'est pas de retour. Je n'écrirai qu'après l'arrivée de papa mais je pense que je vais être obligée de les prier de remettre de quelques jours nous serons bien contents de les voir. Adieu Amie chérie, reçois les caresses bien sincères des 2 sœurs[16] et particulièrement l'assurance de l'affection de ta fidèle

Eugénie Desnoyers

2 h Papa vient d'arriver l'état de notre pauvre Mme Boulez est toujours fort inquiétant, papa retournera demain.


Notes

  1. Louise Elisabeth Morizot, veuve de Léonard Boulez.
  2. Jeanne Target et son époux Jules Desnoyers.
  3. Eléonore Pauline Lebret du Désert, veuve de Louis Ange Guy Target.
  4. Probablement André Théodore Brochard.
  5. Ambroise Brouard.
  6. Ambroise Brouard, son épouse Louise Gohier et Marie Louise Dieu.
  7. Laure Françoise Pauline Durand de Pisieux (1812-1887), veuve de Charles Louis Albert d'Alsace-Hénin-Lietard (1805-1860) ; elle est mentionnée dans le testament de Mme Boulez.
  8. Louis Daniel Constant et Félicité Duméril, les parents de Caroline, se sont installés à Niedermorschwiller, dans la nouvelle usine de Charles Mertzdorff.
  9. Charles Mertzdorff.
  10. Marie et Emile Mertzdorff, les filles de Caroline.
  11. Benoît Marie Langénieux.
  12. Julien Desnoyers, jeune frère d’Eugénie.
  13. Constance Prévost, épouse de Claude Louis Lafisse.
  14. Amélie Desmanèches, épouse d’Emile Delapalme.
  15. Adèle et Marie Fröhlich, filles d’André Fröhlich.
  16. Aglaé et Eugénie Desnoyers.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Vendredi 25 avril 1862. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son amie Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_25_avril_1862&oldid=35938 (accédée le 15 novembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.