Lundi 16 août 1858
Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à son fils Auguste Duméril (Trouville)
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Repondu le 17[1]
Paris 16 août 1858
Me voilà rendu au nid où j'étais arrivé hier à six heures grâce à Constant[2] que j'ai trouvé à la gare muni d'un billet de voiture de place. Le transport s'est opéré merveilleusement : en m'embarquant à Trouville j'avais été frappé du verbiage incessant d'un certain Monsieur qui se trouvait là avec un énorme portefeuille garni de beaucoup de papiers et je le pris pour un dessinateur qui était venu à trouville pour y exercer son talent. Cependant il ne parlait à la Dame placée vis-à-vis avec son fils très jeune que de principes de morale en donnant toutes sortes de définitions prétentieuses des facultés morales. je plaignais cette pauvre Dame d'être obligée d'écouter ce terrible bavard. heureusement à Pont-l’évêque il prit une autre voiture ; mais voilà qu'arrivés à Lisieux ce Monsieur, qui avait appris mon nom je ne sais par qui, vient ouvrir la portière du wagon et me dit qu'il m'avait vu chez Madame de Tarlé[3] et vite il courut chercher son portefeuille je saisis ce moment pour annoncer aux deux messieurs qui étaient les seuls avec moi que je les plaignais mais qu'à en juger par ce que je savais nous aurions beaucoup à écouter car dans la première voiture où nous étions trouvé il n'avait pas cessé de parler.
En effet je n'ai jamais eu occasion de rencontrer un pareil prétendu observateur de l'homme c'est un cranioscope et un magnétiseur. il n'adopte pas les localisations des facultés à la manière de gall[4], il a d'autres prétentions de Céphalométrie il juge les hommes au premier aspect. il a une théorie sans aucune espèce de connaissances de la structure de la tête chez les autres animaux. Toutes ses idées sont métaphysiques, il ne manque pas d'esprit. il est enthousiaste des idées de M. Serres[5] qui sont d'accord avec les siennes. il a voulu me faire voir tous les dessins que contenait son portefeuille et il m'a remis un grand tableau imprimé in-folio de toute sa théorie et indiqué les articles des journaux qu'il a recueillis sur ses idées et les objections auxquelles il a répondu. j'ai appris qu'il se nomme D'harembert[6]. qu'il est receveur des Domaines à Verneuil[7], où il s'est en effet arrêté à notre grande satisfaction. M. de Tarlé qui a connu son père à Alençon et dont Auguste[8] en effet nous a parlé est, dit-il, la cause de l'emploi qu'il occupe et qu'il désirait pour ne pas être éloigné de sa famille.
En voilà bien long sur ce personnage fatigant, mais j'avais commencé j'ai voulu finir. l'un des voyageurs était un M.<Moulin> envoyé par le ministre de l'intérieur[9] à Cherbourg pour obtenir par la photographie[10] les principales scènes de la présence de l'Empereur avec la Reine Victoria et les visites dans les différentes localités de ce port[11]. il s'était trouvé à Alger avec M. Cordier[12]. L'autre auditeur était heureusement très sourd.
j'ai trouvé tout notre monde très bien. Mlle Romane a dîné avec nous. je me suis acquitté de ta commission près d'elle.
par une lettre de Caroline[13] que sa mère vient de me communiquer, Elle insiste pour que Félicité vienne avec moi en Alsace pour les premiers jours de septembre. le mariage de sa belle-sœur[14] devant avoir lieu le sept. mais Félicité remet ce voyage en Alsace au mois d'octobre car elle désire être à Paris au moment où Léon[15] se présentera pour être admis comme externe à l'Ecole Centrale des arts et métiers. C'est leur ambition, Constant y met beaucoup d'intérêt persuadé que ces études lui ouvriront une heureuse carrière avec la protection de son beau-frère[16].
on m'a beaucoup questionné hier sur votre santé à tous et j'ai pu en donner de bons témoignages en donnant sur chacun des détails qui ont été satisfaisants.
je verrai tout à l'heure à l'Institut les Professeurs de la faculté des sciences pour les remercier comme tu me l'as recommandé.
je ne suis pas appelé aujourd'hui ni demain à l'école ; mais tous les autres jours de la semaine.
on ne m'a donné des nouvelles de Soubeiran[17] mais je vais y passer en allant à l'institut. En passant hier sous ses fenêtres j'ai vu les bonnes au Balcon c'est bon signe je présume.
adieu, Mon cher ami, reçois ainsi qu'Eugénie et Adèle[18], les amitiés de ton père et les bons souvenirs que me laissent les quatre journées que j'ai passées avec vous. Ma sœur[19] vient me dire de ne pas l'oublier près de vous
adieu
C.Duméril
Notes
- ↑ Annotation de la main du destinataire, alors que la numérotation est postérieure.
- ↑ Louis Daniel Constant, fils aîné d’André Marie Constant Duméril.
- ↑ Suzanne de Carondelet, épouse d’Antoine de Tarlé.
- ↑ Franz Josef Gall (1758-1828), médecin et physiologiste, fondateur de la phrénologie (qui étudie le caractère et les fonctions intellectuelles de l’homme d’après la conformation du crâne). Banni de l'Empire austro-hongrois, il arrive à Paris en 1808, où il est protégé par Geoffroy Saint-Hilaire.
- ↑ Probablement Etienne Renaud Augustin Serres, (1786-1868), professeur d’anthropologie au Muséum. Sa thèse a porté sur l’Anatomie comparée du cerveau dans les quatre classes des animaux vertébrés, appliquée à la physiologie et à la pathologie du système nerveux (1824). Il est cité par Harembert dans Le droit humain. Code naturel de la morale sociale expliqué par la céphalométrie (1862), pour l’avoir inspiré au même titre que Gall et Flourens.
- ↑ Au moment de cette rencontre, Armand Harembert a déjà publié la Nouvelle organographie du crâne humain, ou la Phrénologie... rectifiée, simplifiée et mise à la portée de tout le monde (1851), et un Tableau synoptique destiné à couvrir le socle des têtes ou des crânes topographiés (1856) ; d’autres ouvrages de céphalométrie suivront.
- ↑ Verneuil, appelée plus tard Verneuil-sur-Avre, est une petite ville de l’Eure.
- ↑ Charles Auguste Duméril, neveu d’André Marie Constant, est ingénieur, alors en poste à Alençon.
- ↑ Claude Alphonse Delangle (1797-1869) devient ministre de l’Intérieur le 14 juin 1858 (jusqu’au 15 mai 1859). D'abord engagé dans la carrière de l'enseignement, Delangle devient avocat, procureur, magistrat. Alors qu’il est président de la cour d'appel de Paris, il est appelé au ministère de l'Intérieur.
- ↑ Les fêtes de Cherbourg donnent lieu à une couverture journalistique exceptionnelle. La photographie occupe une place inédite à côté du dessin, de la gravure ou de la peinture. Jean Baptiste Gustave Le Gray (1820-1884) est officiellement chargé de photographier la visite des souverains anglais.
- ↑ Du 4 au 8 août 1858, l'empereur Napoléon III et l'impératrice Eugénie sont à Cherbourg. A leur arrivée, ils inaugurent la ligne de chemin de fer qui relie la ville à Paris. Le lendemain, ils accueillent la reine Victoria et le prince Albert qui sont présents lors de la mise en eau du second bassin de l'arsenal, le bassin Napoléon III. Puis ils inaugurent la statue équestre de Napoléon Ier (œuvre de Le Véel).
- ↑ Charles Cordier (1827-1905), apparenté aux Duméril, est sculpteur, chargé de missions ethnographiques en particulier en Algérie.
- ↑ Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff, fille de Félicité et Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Emilie Mertzdorff se remarie le 7 septembre 1858 avec Edgar Zaepffel.
- ↑ Léon Duméril, fils de Félicité.
- ↑ Charles Auguste Duméril, ingénieur, beau-frère de Louis Daniel Constant ; ou bien Charles Mertzdorff, industriel, beau-frère de Léon.
- ↑ .Eugène Soubeiran, très malade.
- ↑ Eugénie Duméril, épouse d’Auguste, et Adèle leur fille.
- ↑ Alexandrine Cumont, veuve d’Auguste Duméril (aîné), belle-sœur d’André Marie Constant Duméril et mère d’Eugénie.
Notice bibliographique
D’après l’original.
Pour citer cette page
« Lundi 16 août 1858. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à son fils Auguste Duméril (Trouville) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_16_ao%C3%BBt_1858&oldid=57694 (accédée le 15 novembre 2024).
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