Jeudi 6 juillet 1871 (A)

De Une correspondance familiale

Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Montmorency)

original de la lettre 1871-07-06 (A) pages 1-4.jpg original de la lettre 1871-07-06 (A) pages 2-3.jpg


Jeudi Matin 10 h. 6 Juillet 71

Ma chère Nie

J'étais trop paresseux pour t'écrire hier au soir & la bête a demandé à se coucher à 9 h & comme je suis rentré assez tard de la réunion des 52 maires de Thann j'ai soupé un peu tard.

Je n'ai rapporté rien de particulier de Mulhouse. Mme Paul est toujours un peu souffrante elle a beaucoup maigri. Paul va bien & le voilà assez occupé à faire les petites commissions pour les 2 maisons. Même état chez les Stoecklin. Anna[1] a dîné avec ces Messieurs. Georges[2] qui était de retour de Strasbourg. Léon[3] etc... Mais elle ne mange pas & donne toujours des inquiétudes très grandes. Léon me dit qu'à Morschwiller tout le monde va bien. Bonne-maman[4] m'a envoyé en communication ta lettre.

En général le travail se fait bien dans les 2 établissements. le voyage de l'oncle a eu le résultat voulu, nous voilà assurés du côté cartons. Mais il y a toujours quelque chose qui manque & qu'il faut s'ingénier de remplacer. Tout le monde est à son affaire & si les communications étaient faciles ce serait plaisir de travailler ainsi. Pour l'avenir nous ne savons rien de plus, mais il y a plus de gens qui ont tout espoir que l'industrie surmonte cette terrible transformation.

L'excitation des ouvriers est toujours grande & il ne se passe pas de semaine qu'il n'y ait quelque mort de part ou d'autre. Les soldats prussiens ont maintenant à ce qu'il paraît des ordres bien plus sévères, ils font usage du fusil pour des riens.

Par contre mon Oncle me dit que Strasbourg accepte plus facilement l'assimilation allemande. Cependant je lis qu'à Wissembourg beaucoup de jeunes gens quittent comme ici.

Le plus terrible sera lorsqu'il faudra, aux jeunes gens mettre le fameux casque pointu, ils feront bien d'attendre le plus longtemps possible.

L'on m'assure que Thiers ne fera plus aucune concession à l'industrie Alsacienne & qu'il engage les industriels à se <reporter> en France. C'est plus facile à dire qu'à faire surtout avec cette triste assurance que dans un temps plus ou moins long, les deux races se trouveront de nouveau en présence. C'est l'Alsace qui aura à recevoir le 1er choc ce sera un bien triste pays pour tout un siècle.

En t'écrivant je reçois ta lettre du Lundi 3. tu me donnes de bonnes nouvelles, c'est toujours avec grand plaisir que j'apprends que l'on va bien < > que vous allez être débarrassés de votre désagréable garnison.

A Vieux-thann nous continuons à ne pas voir de Prussiens. à Mulhouse par contre il y a toujours forte garnison, le gouvernement impérial fédéral & ... demande <à> la ville une caserne d'1/2 million que la ville ne peut leur faire. il paraît que les chemins de fer sont toujours encombrés l'on dégage les environs de Gray Dijon Vesoul etc. tous les 2 jours il passe à Mulhouse un Convoi de prisonniers français toujours bien reçus par la population, qui leur porte provisions & même argent ; les prussiens laissent faire. A Thann tout est parfaitement tranquille

D'après Journal d'hier, nous devions avoir les élections municipales les 15 & 16 de ce mois. Mais M. le Kreis directeur[5] nous a annoncé hier que la chose est remise. Pour nous autres maires, malgré nous, c'était une bonne nouvelle. Quel bonheur si je réussis à me dégager de toutes mes corvées. Hier encore j'ai dû plaider à plusieurs reprises pour ne pas être pris pour l'un des dix délégués pour la vérification des réquisitions communales & cantons ; c'est encore un travail assez long & peu récréant dont j'ai pu m'affranchir en alléguant que je suis seul & surchargé de besogne.

Je me suis laissé distraire de mon entretien favori & je vois qu'il va être midi.

hier soir en rentrant j'ai trouvé ta lettre de Lundi soir. Tu vois que très régulièrement je reçois tes lettres. Lorsqu'on est loin les uns des autres il faut bien se donner cette petite satisfaction ; l'isolement est moins complet.

Pour moi je quitte la chambre le matin, passe une ½ h pour mon dîner & ne remonte que le soir à 7 h. généralement je redescends au billard fumer mon cigare le soir & vers 8 h je rentre au bureau. Je t'assure que mon temps est bien pris, si le cœur n'est pas toujours satisfait, l'esprit <est> toujours à chercher & à trotter avec la bête, qui elle est très bien soignée par Nanette & Thérèse[6].

Quant aux Cartes que Papa[7] veut bien m'acheter pour les quelques départements demandés il me faut les chemins de fer. L'on peut se donner la carte entière ancienne édition pour 300 F. Mais il faut espérer que l'on reprendra ce travail & que dans peu d'années la France aura une carte complète que où tout le monde peut aller puiser ; car nous devons être honteux de trouver notre géographie infiniment mieux & plus à la hauteur des temps en Allemagne qu'en France ; où cependant tant de gens parfaitement instruits & capables de ce travail passent leur vie aux cafés.

Tu embrasseras bien les enfants[8] & tout ton bon & aimable entourage[9]

tout à toi

Charles Mertzdorff


Notes

  1. Anne Stoecklin.
  2. Georges Heuchel (« l’oncle »).
  3. Léon Duméril.
  4. Félicité Duméril vit à Morschwiller, avec son époux Louis Daniel Constant Duméril et son fils Léon.
  5. Robert von der Heydt, administrateur civil du district allemand de Haute-Alsace (dans le nouveau découpage administratif allemand, un kreis correspond à un arrondissement français).
  6. Annette et Thérèse Neeff, domestiques chez les Mertzdorff.
  7. Jules Desnoyers.
  8. Marie et Emilie Mertzdorff.
  9. La famille Desnoyers.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 6 juillet 1871 (A). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Montmorency) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_6_juillet_1871_(A)&oldid=40135 (accédée le 21 novembre 2024).

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