Lundi 3 juillet 1871 (B)
Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
n°12[1]
Lundi 3 Juillet 71
9h
Mon cher Charles,
C'est lorsqu'on est le plus nombreux que l'on sent encore plus l'absence de ceux qu'on aime ; aussi hier j'avais le temps long après toi (expression consacrée) ce n'est pas dire que je ne l'ai toujours ; loin de là, mais le Dimanche quand on ne travaille pas et qu'on est réuni, on voudrait toujours pouvoir rencontrer ce bon regard ami que j'aime tant. Mais c'est à toi qui dois te trouver bien isolé, et je comprends tout le sacrifice que tu fais à mes chers parents[2] et je t'en remercie du fond du cœur.
Nous avons dormi les 3 tiennes[3] comme de vraies marmottes, dans notre dortoir. En ce moment je t'écris de la chambre de maman, Marie et Emilie sont avec tante Aglaé[4] en haut à guetter petit Jean[5] se réveiller, (il a toussé un peu cette nuit et on le laisse se reposer) ; Alphonse est parti à 7 h avant que les dames se soient montrées, je crois t'avoir dit qu'il fera Mercredi la première leçon du cours de son père[6] au Jardin ; et il s'est remis à travailler avec courage ; il est maigre, c'est le compliment que chacun lui fait, mais ne se plaint pas. Alfred[7] est qui lit le journal en se promenant au jardin et inspectant les ouvriers, papa travaille à ses rangements ; notre bonne mère veille à tout et passe d'une chose à une autre. On vient de lui annoncer des Prussiens, 6 chevaux, les hommes en seront-ils ? That is the question ! Et chez nous en a-t-on eu depuis mon départ.
Ma tante Prévost[8] ne partira que tout dans la journée. Elle n'est pas mal, mais elle veut toujours se mêler de faire des comptes, mais hélas, elle ferait mieux de ne pas s'en fatiguer.
Je t'écris ce matin, car Mme Dumas[9] doit venir nous trouver aujourd'hui, et je crains que le temps nous me manque ensuite.
Voilà notre petite jeunesse qui redescend s'installer avec nous. Elles vont travailler avec tante, à tes petites robes de pauvres. Tout est plaisir, ce qui n'a pas empêché Marie de grogner un peu ce matin au sujet de petites épaulettes, mais je n'ai pas cédé et tout est pour le mieux maintenant. Les deux chéries vont bien, elles n'ont plus mal à la gorge, Emilie s'entend, car Marie n'y a jamais eu mal.
Hier grande chaleur, soleil, mais un fort orage, et pluie torrentielle. S'il en est de même à Vieux-Thann comment pouvez-vous faire les foins ?
J'espère que les difficultés de fabrication n'augmentent pas et que tu peux suffire, avec ton monde, à la grande besogne qui du moment. Je pense bien à toi, tu le sais n'est-ce pas.
Je crains que le petit accident de l’œil de bonne-maman[10] n'aille pas mieux, car elle n'a pas répondu à sa petite Marie, elle qui est toujours si exacte ; j'ai écris aussi, il y a peu de jours.
Mes compliments à l'oncle Léon[11], il viendra nous trouver sur son coursier. A-t-il fait quelques études dans la pensée d'un établissement nouveau, est-ce qu'il penche dans vers ce but ?
As-tu vu les Laroze rue des Petits Champs ? je tâcherais d'y passer.
Adieu, mon cher Ami, nous nous réunissons pour t'embrasser bien fort, tu sais, comme nos pensées sont avec toi. La machine marche, on bavarde, je ne sais ce que je te griffonne. Mille amitiés.
EM
2h Ta bonne lettre de Vendredi soir m'est arrivée à 11h. Merci, Ami chéri, pour tout ce qu'elle renferme de bon pour nous tous. Tu réponds à toutes les questions que je t'adresse et au-delà, tu comprends que tout ce qui se passe autour de toi m'occupe, merci encore de ce que tu ajoutes encore à toutes tes occupations, la tâche de nous écrire chaque jour une longue lettre.
Papa[12] est parti pour Paris, sa figure est fatiguée, un peu maigrie.
Mme Dumas est là, bien aimable et gentille, Emilie joue au jardin avec son Jean, et Marie te fait dire qu'elle se dépêche après une robe de pauvre avec tante Aglaé ; c'est pourquoi elle n'écrit pas à son papa chéri, mais elle l'embrasse bien fort.
Adieu, mon Ami, pardon de si mal répondre à tes bonnes et longues lettres, tu sais le plaisir qu'elles me font. Je t'embrasse bien fort
ta Nie
Notes
- ↑ Lettre sur papier deuil.
- ↑ Jules Desnoyers et son épouse Jeanne Target.
- ↑ Eugénie et les 2 fillettes, Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Henri Milne-Edwards.
- ↑ Alfred Desnoyers.
- ↑ Amable Target, veuve de Constant Prévost.
- ↑ Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril, à Morschwiller.
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Jules Desnoyers.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Lundi 3 juillet 1871 (B). Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_3_juillet_1871_(B)&oldid=40521 (accédée le 14 novembre 2024).
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