Jeudi 2 et vendredi 3 juin 1864
Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)
2 Juin 64
7 h du matin
Un petit bonjour ma Chérie, en attendant que tout le monde soit prêt. Nous allons à Morschwiller aujourd’hui et depuis 5 h je m’efforce d’ouvrir l’œil. C’est que je te dirai qu’avec l’intention de nous coucher de bonne heure, nous n’y parvenons pas et nous en sommes toujours à l’intention ; il s’ensuit que pour se lever de bon matin, nous en sommes encore aussi à l’intention ! tu te reconnais, hélas !
Vendredi 10 h
Ne croirait-on pas que je suis la femme la plus occupée du monde à voir la manière dont je vous griffonne le papier ? et cependant il me semble que je ne fais rien, je mène une vie analogue à celle que je menais à la maison car la maison est trop bien organisée et j’ai 3 <trop> bonnes <> en ce moment pour que j’aie le droit de dire que je fais beaucoup, aussi je dis quelquefois que je ne suis utile à rien <> et cela m’attire toujours tant de bonnes et douces paroles de Charles[1] que je n’ose plus le dire, car ça aurait l’air plutôt de coquetterie de ma part que de ce que ça est véritablement : mon désir de leur donner tout ce qu’ils attendant de moi. Mais Charles, les enfants[2], ma belle-mère[3], les domestiques mêmes ont tous des figures si heureuses lorsqu’ils me regardent et ils me répètent tant que le bonheur est rentré dans la maison que j’espère que le temps je leur je ne dois pas me décourager, et aller mon petit bonhomme de chemin. Je n’ai pas encore vu de pauvre, tout cela se fera avec le temps, dit Charles. en attendant voici ma vie : lever entre 6 et 7 h je me coiffe pour la journée avec mon filet à nœuds (qui plaît à tous ici), les enfants souvent viennent frapper à notre porte et vont nous trouver dans nos lits respectifs car jusqu’ici nous les avons laissées à Cécile sous peine de faire des jalouses nous ne pouvons pas en prendre une plutôt que l’autre aussi nous attendons encore ; ce serait une gêne et une fatigue et Cécile les soigne parfaitement. Je les habille souvent, c’est une récompense.
8 h Déjeuner, café, < > et chocolat, tu devines les goûts d’un chacun, Mimi seule prend des < >. Je profite des forces que je viens de prendre pour commander mon dîner, c’est-à-dire voir ce que le jardinier[4] a apporté car la veille on commande la viande, puis je range et nous allons vers 9 h dire bonjour à la bonne-maman[5]. j’emporte mon ouvrage et nous y passons à peu près 1 h, ensuite je rentre chez moi, et les mioches ne veulent pas me quitter ce qui ne me fait pas de peine, et alors j’écris, comme aujourd’hui, dans mon petit salon au grand secrétaire que tu connais qui était dans la chambre de Caroline, puis je donne mes leçons, ou bien s’il fait beau, nous allons avec l’ouvrage dans le jardin. Tu devines qu’il est bien près de midi et qu’il faut vite habiller les enfants pendant que la maman va passer sa robe ; il y a presque toujours quelques larmes déversées et on vient trouver la maman dans son cabinet de toilette, on lui raconte qu’on n’a pas voulu se laisser laver les mains par Cécile ou tout autre chose semblable, on demande pardon, on dit qu’on sera bien sage, la maman embrasse, et on lui sert de petite femme de chambre ce qui est un très grand bonheur ; Midi, le papa n’arrive pas pour dîner, la maman se met au piano, les enfants tapent des pieds, c’est notre cloche à nous, midi ½ on dîne ; tout le monde grand appétit ; je dévore. 1 h soit au Jardin, soit toujours dans la petite pièce havane, on me fait faire de la musique, je n’abandonnerai certainement pas mon piano, tu peux dire cela à notre bonne Mme Bidault, et même quand je suis un moment seule je < > tâche de voir un peu les partitions car le soir on me fait encore jouer, cela m’amuse. Je garde les Puritains[6] et te prierai de m’acheter à l’occasion d’autres partitions, telles que la Dame Blanche[7], la Favorite[8], quelque chose de Félicien David[9], tu verras, seulement tâche que ce soit de bonnes épreuves car lorsque les lignes sont trop blanches ça me fatigue les yeux le soir.
J’embrasse bien fort tante et oncle Alphonse et Mimi aussi Émile Merztdorff'[10]
On pleurait et le plaisir d’écrire a été un remède efficace.
2 h Charles retourne au bureau et moi, je garde mes petites filles, je travaille, je lis, je joue (beaucoup), nous sortons un peu chez la tante[11] ou autre.
6 h on retourne chez la grand-mère si elle n’est pas venue avec nous au jardin. 7 h on soupe, les mioches commencent à avoir sommeil. Mais on n’est pas plus tôt en train de les déshabiller que les ris recommencent, Mimi prétend qu’elle a la maladie du rire ainsi que sa maman, mais la crainte de me faire de la peine et que je retourne à Paris est une véritable baquette magique, pourvu que ça dure. 8 h 1/2 calme plat, tout dort. Charles et moi nous prenons notre bougie et mon crochet ( < lacé>) et nous allons passer une 1 h avec sa mère, j’ai quelquefois sommeil, mais Charles est si bon fils !
9 h 3/4 nous rentrons chez nous, il serait plus raisonnable de dormir bien vite mais c’est le seul moment de la journée où nous puissions causer et nous en profitons ; nous prenons chacun un fauteuil et nous passons encore un bon petit bout de soirée, c’est le moment que nous préférons, puis nous nous couchons et tu ne seras pas étonnée de savoir qu’il est souvent tout près de minuit ; voilà pourquoi le matin, nous avons tant de peine à ouvrir l’œil, ce que bonne-Maman Mertzdorff ne comprend pas car nous devrions nous coucher de bonne heure et nous lever idem. Es-tu contente ? j’espère qu’excepté toi et maman[12], personne ne lira cela et que tu en feras ce que tu désires que je fasse de tes lettres ; c’est le moyen que nous écrivions sans nous gêner.
Que je réponde donc à ta bonne lettre tous les détails que tu me donnes m’ont fait grand plaisir, pour ta santé surtout, je me suis réjouie, la mer te fera du bien, mais quant à nous, il n’y a pas à y penser pour cette année. J’approuve beaucoup les arrangements d’été en <fait> de toilette et je suis toute contente de pouvoir me figurer ma petite Gla dans les robes que je ne connais pas ; la petite bleue doit être très gentille.
Je fais tous mes compliments à mon cher beau-frère[13] sur ses succès, auxquels personne n’est indifférent et auxquels on est habitué de sa part.
Il me semble que tu fais de M. Edwards[14] ce que tu veux ! te voilà avec des rideaux d’été partout ! c’est fort bien. tu as beaucoup à faire pour organiser la maison.
Fleurs et jaconas[15] et tout est arrivé à bon port. Merci pour tout. Je te demanderai encore des petites commissions.
Mercredi, nous avons commencé nos visites ; 10 d’un coup, grande toilette et beau coupé. Tout le monde nous tourmentait pour en faire. Impossible d’être mieux accueillie que je ne le suis et tout cela sans oublier le passé[16]. La famille Kestner a été surtout charmante, il y a quelques jours < > à laquelle nous avons échappé, nous n’avions pas encore fait visite <hier> quelle chance ! La famille Henriet est aussi des plus affectueuse ce sont les meilleurs amis de la famille Mertzdorff. Je crois que voilà les 2 seules familles où je me plairai <un peu>, mais au reste mon intérieur me suffit bien.
Hier à Morschwiller, les Duméril[17] toujours les mêmes.
Pour Launay que trouves-tu qu’on doive faire pour la location.
Adieu ma chérie, écris-moi, embrasse bien fort ma bonne petite mère qui te rendra ton baiser de ma part et crois à l’affection de ta Nie.
Maman a-t-elle revu M. le curé Moreau ? A-t-il donné son discours ?
Notes
- ↑ Charles Mertzdorff, époux d’Eugénie Desnoyers.
- ↑ Marie (Mimi) et Emilie Mertzdorff, filles du premier mariage de Charles avec Caroline Duméril.
- ↑ Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff.
- ↑ Probablement Alphonse Payot, jardinier chez les Mertzdorff.
- ↑ La mère de Charles Mertzdorff habite une maison proche.
- ↑ Les Puritains est un opéra de Vincenzo Bellini sur un livret de Carlo Pepoli (voir la lettre du 24 mai).
- ↑ La Dame blanche est un opéra-comique en trois actes de Boieldieu, sur un livret d’Eugène Scribe, créé en 1825 à Paris.
- ↑ La Favorite est un opéra en quatre actes de Gaetano Donizetti sur un livret d'Alphonse Royer et Gustave Vaëz, créé à l'Opéra de Paris en 1840.
- ↑ Félicien David (1810-1876), compositeur français, auteur du Désert, et l’un des créateurs de l’exotisme musical.
- ↑ Ces mots sont de la petite Emilie Mertzdorff.
- ↑ Elisabeth Schirmer, épouse de Georges Heuchel, l’oncle de Charles Mertzdorff.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Probablement Henri Milne-Edwards, père d’Alphonse.
- ↑ Le jaconas est une étoffe de coton fine et peu serrée.
- ↑ Le veuvage de Charles Mertzdorff.
- ↑ Louis Daniel Constant et Félicité Duméril, parents de Caroline.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 2 et vendredi 3 juin 1864. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_2_et_vendredi_3_juin_1864&oldid=59208 (accédée le 15 octobre 2024).
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