Mardi 24 mai 1864

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)


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Vieux-Thann

24 Mai 1864

Ma chère petite Gla,

Merci à toi et à maman[1] pour tout le mal que je vous ai donné. Tout est arrivé en parfait état et je suis très contente de la robe de chambre, du châle de dentelle, des ciseaux, des laines && que sais-je de tout, même du vieux ; les anciens amis font toujours plaisir à revoir ; et dans ma nouvelle demeure[2] tu ne saurais penser combien la vue d’objets dont je me servais avec vous m’est agréable. C’est ce que vous avez compris car vous m’avez envoyé avec une conscience admirable tout ce qui pouvait m’avoir servi dans la maison paternelle. Je suis bien heureuse de vous savoir en bonne santé. Quand je suis quelques jours sans avoir de vos nouvelles (comme la semaine dernière) immédiatement je me tourmente et crains toujours que les uns ou les autres soyez souffrants.

Mais toi, tu vas décidément mieux d’après la vie que tu mènes : j’aimerais bien à ce que tu me dises comment tu te trouves ? si tu ne souffres plus, si tu peux prendre plus d’exercice ?

Quant à la sœur[3], tu n’as aucun prétexte de taquinerie avec elle ; sa petite santé est fort bien ; je mange comme quatre et dors idem ; j’ai eu une ombre de mal de gorge ce qui fait que les promenades au clair de lune ne m’ont pas été permises et qu’on m’a mis le cou dans du coton, mais le lendemain je n’y pensais plus. A toi je n’ai pas besoin de te dire comment on me dorlote, me soigne, me caresse, tu sais cela par expérience. Pourquoi donc ne m’écris-tu pas plus longuement ? ne me parles-tu pas des nouvelles du Jardin[4], des bêtes, de l’académie[5], des professeurs, des amis, des indifférents&& tu sais bien que tout cela m’intéresse et que je n’ai plus que toi pour entendre parler encore quelquefois de l’homme fossile, des haches et ce sont pour nous de si vieux et fidèles amis que j’aimerais encore à être au courant des aventures par lesquelles nos chers savants les font passer[6].

Maman est bien seule à Montmorency ; elle n’a pas l’air de s’ennuyer ce qui me réjouit bien. Tu ne m’as rien dit de votre petit séjour au Cottage, tu es d’un laconisme désolant. Tu sais bien que Charles[7] ne lit aucune de vos lettres, vérité vraie.

As-tu envoyé à Cécile Dumas[8] un petit souvenir de ma part ? tu me feras bien plaisir de le faire en lui disant, ainsi qu’à Louise[9], mille choses aimables. je n’ai pas trouvé les livres de la femme pieuse[10]. Et les petites robes de enfants que sont-elles devenues. tu peux faire mettre un ou 2 rangs de grelots comme tu trouveras le mieux ; je m’en rapporte à toi, et j’approuve d’avance, les yeux fermés. Si ces robes violettes sont encore chez Mme Bourrelier fais-les reprendre et serre-les à la maison jusqu’à une bonne occasion pour mes les envoyer comme pour de l’eau de vie de lavande ambrée, achètes-en à l’occasion et puis ça se trouvera pour me l’expédier avec autre chose. Pour les partitions pourquoi as-tu fait acheter les Puritains[11] ? les ayant déjà 2 fois ne vaudrait-il pas mieux les rendre cette partition et en avoir une autre, car on ne joue pas tout à la fois et ainsi nous pourrions nous les échanger de temps en temps, nous profiterions double. Je ne tiens pas au grand format. Ecris-moi à ce sujet avant que je ne vous renvoie la caisse. Les petits jupons sont rrravissants ; on reconnaît le goût de Mme Aglaé ! et la poupée quelle délicieuse expression ! Je crois que les enfants[12] étaient encore plus contentes que la maman de déballer une caisse de Paris et ce n’est pas peu dire.

Ce matin, je disais à Charles que je voulais t’écrire 2 mots pour te dire que la caisse était arrivée hier à 2 h ; il m’a répondu que ça voulait dire 5 pages au moins, j’ai ri mais je crois vraiment qu’on est forcé de reconnaître que ces maris ont toujours raison et comme je ne veux pas le faire mentir je continue. Je n’ai pas revu la famille Duméril[13] ; nous irons cette semaine à Morschwiller passer une journée[14].

Dimanche nous avions les Zaepffel[15] et Heuchel[16] à dîner, ça été très bien ; on nous avait tant taquinés avec les vins que nous leur en avons servi de toutes sortes puis (par farce) nous étions amusés à charger tellement notre table de fleurs qu’on ne voyait pas d’un côté à l’autre <si ils se plaignent> que nous ne leur avons fait honneur. A 3 h Charles a eu la bonne idée de proposer une promenade à la ferme, on a fait atteler et nous somme partis en 2 voitures, nous avons passé plus de 2 h à nous promener dans les bois et dans les prés, à cueillir des herbes, à écouter le rossignol && toutes choses qui sont fort de mon goût et de celui de mon mari. Quelles bonnes parties nous ferions avec toi et Alphonse[17] si vous pouviez venir mais ne pensons pas à cela ; la mer te fera plus de bien !

A 7 h nous étions de retour et chacun a tant fait que je les ai réinvités à venir manger les restes de certaine galantine faite avec un vieux coq et qui a eu tant de succès qu’on en parlera encore dans 10 ans. Emilie[18] est restée ; il faut que j’aille la trouver, mes petits choux[19] sont allées planter leur jardin et maman[20] griffonne à sa chère petite sœur au lieu de surveiller sa maison, tout est si propre et chacun travaille si bien que la maîtresse de maison se demande à quoi elle est bonne, quand elle dit cela chacun de dire : « à tout, parce que sa présence seule suffit pour ramener la vie dans cette maison où il n’y avait plus que des visages tristes et des cœurs découragés ». Cela donne confiance à ta Nie et elle espère qu’avec le temps, elle pourra quelque chose pour tout ce monde auquel elle voudrait tant être utile.

Adieu, ma petite Gla, je t’embrasse, comme je t’aime. Mimi et Gribouille te < > en amitiés < >

Une bonne poignée de mains à Alphonse de la part de Charles et pour toi tout ce que le premier permettra au second de t’envoyer de plus aimable.

Tenez-moi au courant de vos projets de voyage au Cottage car je ne sais où vous écrire.

Je vous écris toujours à la hâte et sans me relire la marchandise n’étant pas rare c’est < >


Notes

  1. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  2. Eugénie a quitté Paris pour l’Alsace depuis son mariage en avril.
  3. Eugénie parle d’elle-même.
  4. Le Jardin des Plantes de Paris.
  5. Académie des sciences.
  6. Eugénie fait allusion en particulier aux recherches de Jules Desnoyers et des Milne-Edwards.
  7. Charles Mertzdorff, époux d’Eugénie Desnoyers.
  8. Cécile Milne-Edwards, épouse de Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
  9. Louise Milne-Edwards, sœur de Cécile.
  10. Possiblement La Femme pieuse, pour faire suite à la Femme forte, conférences... par Mgr Jean Baptiste Landriot (1816-1874), Poitiers, H. Oudin, 1863, 2 volumes.
  11. Les Puritains est un opéra en 3 actes de Vincenzo Bellini sur un livret de Carlo Pepoli. Créé à Paris en 1835, il reçoit un accueil triomphal.
  12. Marie (Mimi) et Emilie (Gribouille) Mertzdorff, filles du premier mariage de Charles.
  13. Louis Daniel Constant et Félicité Duméril, parents de la première épouse de Charles, et Léon leur fils habitent à Morschwiller.
  14. Voir lettre du 27 mai.
  15. Emilie Mertzdorff, sœur de Charles, et son époux Edgar Zaepffel.
  16. Georges Heuchel, oncle de Charles Mertzdorff, son épouse Elisabeth Schirmer et leur fils Georges Léon Heuchel.
  17. Alphonse Milne-Edwards, époux d’Aglaé.
  18. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  19. Marie et Emilie Mertzdorff.
  20. Eugénie parle d’elle-même.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi 24 mai 1864. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_24_mai_1864&oldid=51813 (accédée le 22 décembre 2024).

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