Jeudi 21 mars 1918

De Une correspondance familiale


Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)


original de la lettre 1918-03-21 pages 1-4.jpg original de la lettre 1918-03-21 pages 2-3.jpg


21 Mars 18

Mon cher Louis,

Nous sommes très heureux d’avoir de tes nouvelles, qui sont de bonnes nouvelles, à part l’aléa que comporte ton changement de grade[1] tant pour l’époque à laquelle il aura lieu que pour la direction nouvelle qu’il te fera prendre. Le pauvre 50e privé de tes deux amis[2] ne vaut pas mieux qu’un autre n° et il ne nous reste qu’à faire des vœux pour que tu tombes bien.

Ta sollicitude à notre égard nous touche beaucoup, mais je t’avoue que nous n’avons nulle envie de quitter Paris avant que nous puissions rentrer à Brunehautpré que, théoriquement, on nous rend le 15 Mai. L’accès très facile de la cave et la sécurité qu’elle offre rend, je crois, les chances d’accidents extrêmement minimes et s’il ne survient pas d’alertes diurnes, Élise[3] n’éprouvera pas plus que nous le besoin de s’en aller. Toutefois Jacques partage ta manière de voir et l’engage à chercher une résidence à l’abri des Boches. Mais il admet qu’elle attende sa permission, au début d’Avril, pour prendre une décision.

Nous aussi, nous vous attendons bientôt. Pierre[4] parle d’Avril, Michel ne parle de rien, toi, tu ne viendras probablement pas avant le mois de Mai ? A moins que ton changement de grade et de régiment ne fasse avancer ta permission ? Si vous pouviez tous être ici avec Pierre, ce serait particulièrement intéressant…

Nous avons eu aujourd’hui à déjeuner le Général cousin Cumont[5] qui revient de Roumanie, mais qui y a laissé sa jeunesse et la souplesse de ses membres ; il revient presque paralysé des jambes et obligé de s’appuyer sur deux cannes. Nous avons eu aussi sa femme[6] et ses 2 filles[7] (25 et 26 ans). Les femmes surtout sont très belges, mais de beaux et bons échantillons de belges. Il y a encore un fils de 19 ans que sa santé tient éloigné du front mais qui est tout de même mobilisé de quelque façon. Il n’a pas pu venir. C’est vers 1809 que mon arrière-grand-père Duméril[8] (le père de bonne-maman[9]), étant inspecteur des hôpitaux militaires en Belgique et dans la partie de la Hollande alors françaises qui s’est trouvé faire la connaissance d’une dame Cumont[10] fabricante de toile à Alost et qui en a épousé la fille. Cette dame Cumont est l’auteur commun qui nous rattache aux cousins belges. Son fils[11] était le grand-père du Général et aussi le grand-père de Franz Cumont que nous avons vu chez Monseigneur Duchesne. Pardonne-moi cette petite généalogie, tu es le seul de la famille (avec Henri[12]) que cela intéresse.

Nous avons eu Mardi la visite d’Antoinette Legrand Dussaussoy[13] de retour de Salonique où son mari restera encore quelques mois. Elle ne faisait que traverser Paris se rendant à Oye. Edmond[14] est toujours à Hesdin où sa femme s’est installée.

Nous avons eu aussi Mardi la visite de Mme Dautriche[15] et de sa fille Yvonne. Pierre[16] est dans l’aviation. Le commandant atteint par la loi du rajeunissement des cadres va recevoir une destination à l’arrière.

Nous avons enterré hier le pauvre Alphonse Painthiaux. Germaine[17] est arrivée à propos pour l’aider à bien mourir et obtenir, très facilement d’ailleurs, qu’il remplisse ses devoirs religieux. Il paraîtrait, d’après de qui a été dit hier à Alexandre[18] que la personne ramenée de Campagne et dont Alphonse a probablement reçu la visite à l’hôpital est morte à peu près en même temps que lui. Tant mieux si la pauvre Germaine peut à jamais ignorer ce triste passé si récent !

M. le Doyen[19] nous annonce que la confirmation aurait lieu le 1er Mai et nous invite à aller rencontrer Monseigneur[20] à Campagne, cela dépendra de nos permissionnaires auxquels nous ne voulons pas faire faux bond et dont nous entendons ne rien perdre.

Je t’embrasse tendrement, mon cher enfant,

Emy

Michel[21] est du côté de Soissons, croyons-nous. Pierre dans les Vosges probablement. Jacques va peut-être changer de place, sans quitter l’Italie. Les Colmet Daâge partent demain soir pour Cannes. Guy et Made[22] arrivés de matin couchent ici. Mme CD[23] ramène la smala demain matin.


Notes

  1. Louis Froissart est promu lieutenant.
  2. L’un de ces amis est possiblement André Victor Etienne Vaucheret.
  3. Élise Vandame, épouse de Jacques Froissart.
  4. Pierre et Michel Froissart, frères de Louis.
  5. Alfred Odilon Cumont.
  6. Marie Louise Chaudoir.
  7. L'aînée est Marie Louise Cumont.
  8. Auguste Duméril (appelé ici « Auguste l’aîné » pour le distinguer de son neveu), époux d'Alexandrine Cumont.
  9. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  10. Alexandrine Cumont est fille de Jean Baptiste et de Anne Thérèse Dorothée Vatblé.
  11. Jean Charles Cumont.
  12. Probablement Henri Degroote.
  13. Antoinette Dussaussoy, épouse d'Auguste Legrand.
  14. Edmond Dussaussoy, époux d'Aimée Boisleux.
  15. Aline Louise Mathieu, épouse d’Arthur Valéry Dautriche (le « commandant »).
  16. Pierre Louis Dautriche.
  17. Germaine Legrand, épouse d’Alphonse Painthiaux.
  18. Alexandre Baudens, chauffeur chez les Froissart.
  19. Jean Baptiste Legay, curé-doyen de Campagne-les-Hesdin.
  20. Eugène (Louis Ernest) Julien (1856-1930), évêque d'Arras depuis 1917.
  21. Michel, Pierre et Jacques Froissart, frères de Louis.
  22. Guy Colmet Daâge et son épouse Madeleine Froissart, parents de Patrice, Bernard et Hubert (la « smala »).
  23. Thérèse Marie Salmon, veuve de Georges Alexandre Colmet Daâge.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 21 mars 1918. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_21_mars_1918&oldid=60268 (accédée le 29 mars 2024).

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