Jeudi 12 avril 1832

De Une correspondance familiale

Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre)


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Paris ce 12 Avril 1832

J’ai reçu, le 19 du mois dernier, ta lettre, qui m’a fait grand plaisir, car je m’étonnais de ton long silence, et comme je désire, ainsi que toi, que notre correspondance devienne plus active, j’espère que tu ne tarderas pas trop à me répondre.

L’arrivée de ta lettre a précédé celle de Constant[1], d’une huitaine de jours, et voilà le moment de son départ, déjà arrivé. Il devait partir ce matin jeudi, avec M. L. Say[2], mais celui-ci a pris peur du choléra, qui exerce ses ravages avec assez de violence[3], à Grenelle, où il a placé son fils[4] chez M. Taylor, et il l’emmène, au lieu de Constant, qui, alors, ne part que samedi matin. Cette quinzaine, qu’il a passée auprès de nous, s’est écoulée bien rapidement, et nous aurions beaucoup de tristesse de le voir ainsi partir pour Nantes, si nous n’avions pas l’espoir de le voir revenir, dans deux ou trois mois, avec M. Say, pour monter, et faire marcher une raffinerie, que notre cousin vient d’acheter, près de Bercy : tu conçois combien cette perspective est agréable pour nous. Je crois t’avoir parlé de Constant Say, qui est un fort bon garçon. Je me suis tout de suite assez lié avec lui : il a l’air d’être de mon âge, et il n’a pas seize ans : il est cependant très posé et très réfléchi.

Nous avons eu beaucoup de plaisir à voir M. et Mme Latham[5] ; nous avons assez profité de leur voyage, quoiqu’ils eussent beaucoup d’invitations, à cause du mariage de Mlle Caroline[6] ; Cécilia[7], comme tu le prévoyais, m’a fort amusé : elle est tout à fait gentille et a infiniment de physionomie. Tes neveux et ta nièce et Émilie[8] même, doivent être pour toi un sujet d’amusement, presque continuel.

Nous nous réjouissons bien de la visite que Mathilde[9] compte nous faire, à la fin de ce mois, avec ses enfants : il faut espérer que le terrible choléra qui, au reste, semble diminuer un peu d’intensité, ne sera pas un obstacle à ce voyage, qui d’ailleurs serait seulement remis à une autre époque. Tu te moquais un peu d’Élise[10], l’autre jour, en écrivant à Constant ; je présume que maintenant, tu comprends que l’on puisse être un peu effrayé, et si tu lis les bulletins donnés par les journaux, sur l’état sanitaire de la ville, tu dois voir que la maladie est bien intense : elle diminue pourtant un peu. Une dame de la maison, Mme de Laclos, la mère, en a été atteinte, et est morte.

Vous savez, sans doute, par mon oncle, qu’Octavie est accouché d’un garçon[11] : elle a souffert pendant cinquante heures, mais elle va bien maintenant.

J’ai vu l’autre jour Guillon, je ne le reconnaissais pas du tout, d’abord, tant il est changé : imagine-toi qu’il a bien deux pouces de plus que moi, et qu’il est gros, en proportion : il doit être maintenant, d’après ce qu’il m’a dit, embarqué pour l’Angleterre : il va travailler dans une maison de commerce.

J’ai été, il y a à peu près un mois, à un bal de souscription pour lequel ton père[12] avait eu la bonté de me donner un billet, et j’y ai vu plusieurs anciens élèves[13] : c’étaient de Janzé aîné[14], Deserres, je ne sais si tu te le rappelles, Lafayette, qui, par parenthèse ne déjeune plus chez le même restaurateur que moi, et Allard, dont la taille nous frappait tant, autrefois, mais que je dépasse un peu, maintenant, ce qui m’a bien étonné. Tous ces jeunes gens m’ont demandé de tes nouvelles.

J’ai fini aujourd’hui mon instruction religieuse, après demain, M. Monod nous fera un examen, devant les parents ; dimanche, il y aura réception publique, et quinze jours après, nous communierons. Je pense que tu vas communier aussi.

Voilà la session qui avance, vous devez être bien réjouis du prochain retour au Havre du maître de la maison : nous sommes un peu étonné qu’il n’ait pas de lettre d’Élise, mais sans doute, pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Quand tu m’écriras, veuille me dire, je te prie, ce que tu sais sur Madeleine[15] : ces détails nous intéressent.

Adieu, mon cher Henri ; nous t’embrassons tous bien tendrement, ainsi que tous tes alentours.

Tout à toi, ton affectionné cousin et ami

A. Auguste.


Notes

  1. Louis Daniel Constant Duméril, frère du signataire.
  2. Louis Say.
  3. Le choléra, qui dévaste l’Europe après la Russie (1830), fait sa première victime à Paris, rue Mazarine, le 26 mars 1832. La Gazette médicale de Paris - Journal spécial du Choléra-Morbus, décompte 62 morts le 25 juin 1832 (17 décédés dans les hôpitaux et 45 à domicile), 43 le lendemain. L’épidémie se poursuit jusqu’en septembre ; elle aurait fait 18 000 victimes. Les médecins sont impuissants, la panique gagne ceux qui n’ont pas pu se réfugier à la campagne. Si la maladie touche tout le monde, riche ou pauvre, Alexandre Dumas témoigne que « lorsqu’on dressa la statistique mortuaire, les quartiers des Tuileries, de la place Vendôme, et de la Chaussée d’Antin comptèrent huit morts pour mille vivants, tandis que sur mille vivants, les quartiers de l’Hôtel de ville et de la Cité comptèrent cinquante morts » (Histoire de la vie politique et privée de Louis-Philippe, Olivier Orban, 1981 [1852], p. 238).
  4. Constant Say.
  5. Charles Latham et son épouse Pauline Elise Delaroche.
  6. Caroline Delessert, fille aînée de François Marie Delessert et de Julie Sophie Gautier, épouse Henri Hottinguer.
  7. Cécilia Latham, née en 1829.
  8. Émilie Delaroche, née en 1823, jeune sœur d’Henri.
  9. Mathilde Delaroche, épouse de Louis François Pochet, sœur aînée d’Henri.
  10. Pauline Élise Delaroche, épouse de Charles Latham.
  11. Octavie Say, épouse de Charles Edmond Raoul-Duval vient d’accoucher de son premier enfant, Edgar.
  12. Michel Delaroche, qui s’apprête à rentrer au Havre.
  13. De la pension de M. Morin à Fontenay-aux-Roses.
  14. Probablement Édouard de Janzé.
  15. Madeleine Delessert s’est mariée en 1831 avec le baron F. Bartholdi.

Notice bibliographique

D’après les « Lettres adressées par mon bon mari A. Auguste Duméril, à son cousin germain Henri Delaroche, du 30 Août 1830, au 6 Mai 1843 » in Lettres de Monsieur Auguste Duméril, p. 784-788

Pour citer cette page

« Jeudi 12 avril 1832. Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_12_avril_1832&oldid=59792 (accédée le 28 mars 2024).

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