Lundi 21 novembre 1831 et mercredi 23

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre)


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Paris ce 21 Novembre 1831.

Si cela m’avait été possible, mon cher Henri, j’aurais pris plus tôt la plume, pour te dire que je n’ai pas plus envie que toi de voir notre correspondance interrompue, mais je n’en ai pas eu le temps, car je suis fort occupé.

Aujourd’hui même, je n’aurai pas le loisir de t’écrire longuement, cependant j’aime mieux encore ne t’écrire que quelques lignes, sauf à recommencer plus tard, que te laisser sans réponse plus longtemps.

Je ne te dirai rien de mon charmant voyage, puisque tu as vu mes lettres à Constant[1], mais ce que je te dirai, c’est que tu ne te trompes pas, en pensant que j’ai eu beaucoup d’agrément ; j’ai, en effet, extrêmement joui de visiter du pays nouveau, et de voir tous ces parents, que je ne connaissais pas. J’ai, au reste, une lettre ou deux, à adresser à Constant.

Je suis, au collège, un cours de mathématiques, et un, de philosophie ; nous avons classe, dans l’une et dans l’autre faculté, chaque jour, excepté le dimanche et le jeudi. Ce premier cours m’intéresse assez ; nous avons commencé l’arithmétique, l’algèbre et la géométrie, et nous allons faire marcher de front, ces trois études : nous avons un fort bon professeur. Le cours de philosophie m’intéresse aussi assez. Nous étudions, dans ce moment, la psychologie : c’est-à-dire, comme tu dois le savoir, l’âme et ses attributs : de là, dépendent l’Intelligence, la Sensibilité, et la Liberté, lesquels attributs donnent lieu à un nombre infini de questions : nous passerons ensuite à l’étude de la morale, puis de la logique. Le professeur qui est un homme simple, et qui n’a rien de tranchant, dans le ton, s’explique fort clairement, et se fait, en général, bien comprendre. Le mardi et le vendredi, il parle, c’est-à-dire fait leçons, et il faut prendre des notes, et donner ensuite une rédaction, après chaque leçon, ce qui est un travail fort long, car il parle toujours plus d’une heure. Il nous a déjà fait faire une dissertation, et compte nous en faire faire, de temps à autre. Je ne sais si je t’ai dit, à toi ou à Constant, que je ne vais plus chez le professeur[2] : l’année dernière, j’allais passer le temps, qui s’écoule entre les deux classes : je vais maintenant dans un cabinet d’étude, où se réunit un assez grand nombre d’étudiants en médecine : on est dans de bonnes salles chaudes, avec le plus grand silence, car chacun se tait. Cela ne coûte que 5 F par mois. Puis je déjeune dans un café. Mais ce n’est pas comme cela tous les jours : le lundi et quelquefois le samedi, je reviens directement ici, je déjeune à la hâte, et vais chez M. Monod, où je fais, comme toi, mon cours de religion : il y a aussi réunion le jeudi. Cette nouvelle occupation ne me demande que des lectures, et pas de rédactions.

Ce 23… Voilà que j’ai été interrompu et je ne puis recommencer qu’aujourd’hui.

Mon cousin Auguste[3] est, à l’école[4], avec Moulard, qui a été reçu le onzième, et qui, par conséquent, est sergent, et avec Blum, qui m’a prié, par l’organe de mon cousin, de te faire ses amitiés.

J’ai vu, l’autre jour, Begnier, qui a des favoris et de la barbe, et est si carré, qu’il semble avoir au moins vingt-cinq ans. Aujourd’hui, j’ai vu Fidière, qui est bien comique : il a un chapeau pointu, une barbe de chèvre : il est jeune france, ou romantique, comme tu voudras. Tous deux font leur droit, ainsi que le petit d’Andigné[5], que j’ai rencontré, il y a quelque temps : il n’a pas l’air plus aimable qu’à Fontenay.

J’oubliais de te répondre au sujet de mon examen de bachelier : je le passerai à l’époque des vacances, après mon instruction religieuse finie, je travaillerai à l’histoire et à la géographie, pour tâcher de n’être pas refusé.

Tu me demandes à quelle carrière se destine mon cousin Auguste : c’est aux ponts et chaussées : ce sont des places qui ne sont accordées qu’aux élèves qui sortent les premiers, et il faudra qu’il travaille beaucoup, pour réussir : s’il ne peut y arriver, il se décidera peut-être à entrer dans le génie, ou bien, n’embrasserait-il aucune, des carrières où conduit l’école. Maman[6] t’a acheté la cravate que tu me demandais ; elle l’a remise, il y a quatre ou cinq jours, à ton père[7] : je ne sais s’il te l’aura fait parvenir. Il nous a menés hier au Français, où nous avons une pièce singulière, intitulée « Dominique »[8], dans laquelle Monrose joue parfaitement. Maman a reçu aujourd’hui ta bonne lettre : elle très reconnaissante, et t’en remercie infiniment. Veuille aussi remercier Constant, de sa trop courte lettre, et lui faire nos tendres amitiés, ainsi qu’à toute ta famille.

Adieu, mon cher Henri, nous t’embrassons tous, de tout notre cœur. Eugène[9] te fait mille amitiés et te prie de le rappeler au souvenir de tes alentours. Je croyais t’avoir dit que ce pauvre Berora[10] est mort.

Tout à toi, ton ami et cousin

Auguste.


Notes

  1. Louis Daniel Constant Duméril, frère du signataire.
  2. Antoine Joseph Baudon-Desforges.
  3. Charles Auguste Duméril.
  4. L’École polytechnique.
  5. Probablement Édouard d'Andigné.
  6. Alphonsine Delaroche.
  7. Michel Delaroche.
  8. Dominique ou Le possédé, comédie en 3 actes et en prose de Violet d'Epagny et Jean-Henri Dupin, créée à la Comédie-Française le 22 juillet 1831, avec Claude Louis Séraphin Barizain dit Monrose (1783-1843) dans le rôle de Dominique.
  9. Eugène Defrance.
  10. Louis Charles Aimé Berora.

Notice bibliographique

D’après les « Lettres adressées par mon bon mari A. Auguste Duméril, à son cousin germain Henri Delaroche, du 30 Août 1830, au 6 Mai 1843 » in Lettres de Monsieur Auguste Duméril, p. 780-784

Pour citer cette page

« Lundi 21 novembre 1831 et mercredi 23. Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_21_novembre_1831_et_mercredi_23&oldid=61401 (accédée le 22 décembre 2024).

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