Dimanche 2 novembre 1873

De Une correspondance familiale

Lettre de Louis Daniel Constant Duméril (Morschwiller) à ses petites-filles Marie et Emilie Mertzdorff (Paris)

original de la lettre 1873-11-02 pages 1-4.jpg original de la lettre 1873-11-02 pages 2-3.jpg


Morschwiller 2 Novembre 1873

Mes chers enfants

Quoique j'adresse ma lettre à Marie c'est avec toutes deux[1] que je veux venir causer un moment aujourd'hui, plaisir que je devrais m'accorder plus souvent, mais je deviens extrêmement paresseux pour écrire.

Nous savons que votre cher petit père[2] doit être de retour près de vous depuis hier, d'après ce qu'il a écrit à l'oncle Georges[3] qui nous a envoyé la lettre par la poste, l'oncle Léon[4] n'allant pas à Vieux-Thann pendant ces deux jours fériés ; vous êtes donc dans la joie de le ravoir après une séparation d'un mois que vous avez supportée bien raisonnablement & pendant laquelle vous vous êtes exercées à écrire des lettres qui ont été reçues avec bien du plaisir par ce cher père auquel vous manquiez tant.

Voilà le travail sérieux qui recommence pour vous & vous vous y remettez avec entrain ce dont je vous félicite : avec le cours[5] vous allez retrouver aussi des amies anciennes & peut-être en faire de nouvelles ; je vous les souhaite bonnes & aimables & je sais du reste que vous ne vous lierez qu'avec celles qui le mériteront.

La nouvelle de Morschwiller, c'est que bonne-maman[6] part le jeudi 6 Courant pour Besançon ; elle a grande envie d'aller voir toute notre chère famille[7] & connaître la manière dont elle est installée là, mais c'est toujours, pour elle, une grande affaire de quitter sa maison & son ménage, aussi a-t-elle été combattue par ces deux sentiments & a-t-elle fini par céder au premier ; son voyage & sa date sont annoncés elle en a reçu le plus aimable accusé de réception[8] & tout est bien décidé : elle se réjouit aussi de faire la connaissance de la filleule de Marie[9] à laquelle elle écrira son appréciation de ce jeune sujet.

Du reste rien de bien intéressant à vous signaler sur nos faits & gestes qui se comportent toujours à peu près de la même manière ; une ou deux petites excursions par semaine à Mulhouse qui se terminent par une petite visite à nos amis Paul, on rentre pour dîner de bonne heure pour qu'oncle Léon ne manque pas le chemin de fer & puis voilà !

Dites à Tante Aglaé[10] que j'ai eu le plaisir de retrouver hier dans la poche de mon paletot d'hiver, que j'endossais pour la première fois, le porte-cigares que j'avais égaré & qui me vient d'elle à la suite d'une Philippine que j'avais eu la maladresse de gagner, qu'il va reprendre son service ce qui me fera souvent penser à elle, quoique je n'aie pas besoin de ce souvenir matériel pour cela, depuis, surtout que vous êtes confiées à ses soins & qu'elle nous donne tant de bonheur par la manière dont elle s'en occupe. Comment ne parlerions-nous pas d'elle quand nous parlons de vous & je vous assure que cela nous arrive souvent.

Hier j'ai été faire une grande promenade du côté d'Altkirch, pas si loin pourtant, jusqu'à Spechbach-le-haut, mais quelle vue magnifique en m'approchant de ce village : d'un même point je voyais les Vosges, la forêt noire & le Jura derrière lequel j'apercevais les glaciers & tout cela au milieu de terres si riches, si joliment mouvementées, mais qu'il est triste en même temps de penser que tout cela n'appartient pas à la France & que ce pays du Sundgau s'est si peu francisé : j'ai adressé la parole à un groupe d'une dizaine de jeunes garçons de 14 à 16 ans, qui <sortaient> donc des écoles, pas un ne comprenait le français !

Adieu mes chères petites, en vous quittant je vais aller avec bonne-maman faire une visite à la famille Tachard[11] qui est ici en ce moment, mais qui partira pour Paris à cause du témoignage de M. T. dans le procès Bazaine & qui ensuite partira de là pour l'Italie. J'oubliais de vous dire que la maison Grosjean est vendue & que les Stoecklin devront la quitter au printemps. Faites nos tendres amitiés à votre père d'abord, à oncle & tante[12] naturellement, nos respectueuses amitiés à bon-papa & bonne-maman Desnoyers[13], sans oublier d'embrasser petit Jean[14].

Le vieux grand-père

C Duméril


Notes

  1. Marie Mertzdorff et sa petite sœur Emilie.
  2. Charles Mertzdorff, à Paris après un voyage en Hollande.
  3. Georges Heuchel.
  4. Léon Duméril.
  5. Le cours des dames Boblet-Charrier.
  6. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  7. Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril, Adèle Duméril, son époux Félix Soleil et leurs enfants.
  8. Voir la réponse d’Eugénie Duméril dans la lettre du 25 octobre 1873.
  9. Louise Soleil.
  10. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  11. Albert Tachard, son épouse Wilhelmine Grunelius et leurs enfants Marie, André Pierre, Adèle et Pierre Albert Tachard.
  12. Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers.
  13. Jules Desnoyers et son épouse Jeanne Target.
  14. Jean Dumas.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 2 novembre 1873. Lettre de Louis Daniel Constant Duméril (Morschwiller) à ses petites-filles Marie et Emilie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_2_novembre_1873&oldid=39466 (accédée le 9 décembre 2024).

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