Dimanche 27 mai 1832

De Une correspondance familiale


Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à son fils Louis Daniel Constant Duméril (Nantes)


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au jardin du Roi 27 mai 1832

nous avons couché hier ici, Mon cher ami, et le transport s’est fait fort heureusement sans trop de fatigues pour ta mère[1] qui avait eu les jours précédents un peu de Rhumatisme au poignet. Nous voilà installés, sans ta tante[2] cependant, qui a remis son voyage à lundi. Alphonsine va écrire ce matin à Madame Pochet[3] pour lui dire que nous sommes prêts à la recevoir. Elle nous annonçait ces jours derniers qu’elle était elle-même toute préparée et qu’elle était bien aise de la circonstance qui va la faire retrouver avec toi.

Nous avons reçu hier ta lettre que nous attendions avec impatience car malgré qu’on fût un peu en retard de correspondance avec toi tu devais une réponse à la lettre que ton frère[4] t’avait adressée au nom de ta mère et nous croyions que tu nous annoncerais précisément l’époque de ton arrivée. nous voyons que cela ne peut être fixé.

Ta mère pense que la maison de la jamaïque[5] n’étant pas meublée, il faudra bien absolument que tu viennes descendre dans les premiers temps au jardin et elle a arrangé les choses de manière à t’y recevoir.

Auguste t’a mandé que j’étais décidé à prendre la maison de M. Laugier. nous sommes venus la voir Dimanche dernier. elle nous convient sous beaucoup de rapports ; mais cependant les pièces à coucher y sont moins grandes que nous ne l’avions pensé surtout d’après les plans. La salle à manger, la cuisine, le salon sont très bien très convenables et outre la maison entière, j’aurai de plus un grand bûcher attenant à la maison avec laquelle il communique par le jardin et débouchant dans une cour voisine où il y a une grande porte sous laquelle je pourrai mettre le cabriolet et où j’aurai une écurie de sorte que j’aurai, comme au faubourg Poissonnière, l’avantage d’avoir la voiture chez moi sans avoir les inconvénients du cheval.

Le jardin est au moins trois fois plus grand que celui dont je jouis actuellement, il est bien planté et tout à fait hors des regards des allants et venants ce qui est un avantage mais aussi un inconvénient car il a moins de vue étant placé et enterré derrière la grande volière des oiseaux de proie. c’est même à l’extrémité de cette volière que j’espère faire pratiquer une porte qui donnera directement dans la ménagerie ce qui abrégera considérablement quand on voudra sortir par la grande grille du pont d’Austerlitz.

Tu as su par les papiers publiés le triste événement de la mort de M. Cuvier. cette perte amène de grands changements et beaucoup de vacances. Sa chaire au muséum m’a été offerte mais j’ai dû la refuser parce qu’il n’y avait pour moi aucun avantage et que pour la remplir convenablement elle m’aurait exigé beaucoup de temps et de travail ayant abandonné l’étude de l’anatomie comparée depuis plus de quinze ans.

Quelques membres de l’institut ont bien voulu songer à moi pour la place de Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences. je sens combien je suis peu propre à l’une des branches des fonctions de secrétaire celle des éloges publics je crois que relativement aux connaissances générales dans les Sciences d’observation – physique, chimie, Anatomie, médecine, chirurgie, minéralogie, Botanique, zoologie, Physiologie – je suis peut-être l’un des membres de la classe qui serait le plus au courant. j’ai dit positivement à toutes les personnes qui m’en ont parlé que je ne me croyais pas le talent nécessaire, on me répond à cela que personne ne remplacera véritablement Monsieur Cuvier et j’en suis persuadé. cependant je ne ferai aucune démarche. Si le scrutin me désigne, ce que j’ai peine à croire car la place rapporte six mille francs outre les 1 500 F. comme membre, je suis décidé si je suis désigné, à quitter tout à fait la médecine pratique, les hôpitaux et la clientèle pour me livrer tout à fait à la Science et à la composition des ouvrages que je n’ai réellement pas le temps de rédiger.

M. de Blainville va prendre la chaire d’anatomie comparée. j’aurais désiré que M. Audouin gendre de Brongniard[6] fut nommé à celle de conchyologie, parce qu’alors au décès de Latreille j’aurais sollicité la chaire d’entomologie. mais il n’a pas de chances : il n’en aura peut-être pas plus pour l’autre. cependant je ne veux pas lui couper l’herbe sous le pied et je garderai ma chaire telle qu’elle est.

voilà bien des détails sur ce qui me concerne mais j’ai cru qu’ils pouvaient t’intéresser et j’ai voulu te mettre au courant. Mme Raoul-Duval[7] va arriver à Paris avec son poupon il paraît qu’elle descendra chez Mme Clément. cependant cette dernière n’en est pas encore instruite.

Nous t’embrassons bien tendrement mon Cher ami. ta mère te prie de ne pas l’oublier comme tu l’as fait dans ces derniers temps. ton père et ami

C. Duméril

Rappelle-nous à l’amitié de la Famille Say.


Notes

  1. Alphonsine Delaroche.
  2. Elisabeth Castanet, grand-tante de Louis Daniel Constant.
  3. Mathilde Delaroche, épouse de Louis François Pochet, vit au Havre.
  4. Auguste Duméril.
  5. En 1832, Louis Say ouvre à Ivry-sur-Seine, une raffinerie de sucre à betteraves appelée « La nouvelle raffinerie de la Jamaïque ».
  6. Alexandre Brongniard, beau-père de Jean Victor Audouin.
  7. Octavie Say, épouse de Charles Edmond Raoul-Duval et son bébé Edgar.

Notice bibliographique

D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril à sa femme, p. 13-19)

Annexe

Monsieur C. Duméril,

chez Monsieur L. Say négociant à la Raffinerie de sucre sur la Fosse8

Nantes

Pour citer cette page

« Dimanche 27 mai 1832. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à son fils Louis Daniel Constant Duméril (Nantes) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_27_mai_1832&oldid=57883 (accédée le 29 mars 2024).

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