Dimanche 20 et lundi 21 octobre 1872
Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)
Dimanche 6h
Ma chère petite Gla,
Vous devez être maintenant rentrés au Jardin ; je voudrais savoir Alphonse[1] tout à fait bien et complètement débarrassé de son rhume, mais d'après ta bonne petite lettre à Émilie[2], je vois qu'il en est pas encore ainsi, et que malheureusement l'air des sapins, la chasse sur la butte && n'ont pas suffi pour redonner à ton cher mari toute sa vigueur de Port-en-Bessin. Mais, j'espère cependant que le mieux va continuer et je tiens à vous remercier au nom de Charles[3] et du mien, d'être allés à Launay vous reposer encore un peu avant l'hiver. C'est nous faire le plus grand plaisir que de chercher un abri à Launay toutes les fois que vous ne pouvez pas venir jusqu'ici nous trouver.
Nous avons bien reçu vos bonnes lettres, j'espère que les nôtres vous sont aussi parvenues jusque dans votre solitude. Nous vous avons suivis dans vos <diverses> occupations, Alphonse dans ses chasses plus ou moins heureuses, mais toujours très intéressantes, et toi dans tes fabrications de petites robes toujours fort utiles.
Nos rhumes vont mieux ; la fin de la semaine a été superbe et aujourd'hui nous avions vraiment trop chaud en reconduisant les grands-parents Duméril[4] et M. et Mme Paul au chemin de fer. Nous les avons eu à dîner, chacun m'a chargée d'amitiés et compliments pour tous mes aimables parents. La journée s'est ainsi passée entre la grand messe, l'Instruction et les Vêpres pour Marie[5], maintenant les deux fillettes jouent de tout leur cœur à la poupée ; elles sont seules, Jeanne Scheurer[6] qui devait venir, a écrit ce matin, qu'un mal de gorge l'empêchait de sortir !... Elles font plaisir à voir la grande Marie est énorme et c'est vraiment bon de la voir faire parler Aglaé Jeanne & tandis qu’Émilie rit de toutes ses forces et traîne ces personnages élégants dans les petites voitures d'osier.
Nous avons les vendanges toute la semaine, c'est une besogne terminée, mais Nanette[7] est enrhumée très fatiguée, demain, nous commençons la lessive, pourvu qu'elle ne tombe pas malade. Ma pauvre Cécile[8] souffre toujours de sa jambe et il s'en suit qu'elle n'est pas des plus gaies !...
Mercredi nous irons à Mulhouse pour la 1re leçon de musique ; comme cette fois le dessin ne sera pas encore commencé, j'en profiterai pour acheter des robes aux enfants, soit un vert et noir uni, soit un écossais vert et bleu, j'aimerais faire la petite toilette complète, c'est pour mettre toujours, il faut que ce soit chaud ; je compte faire faire jupe unie, avec corsage polonaise ; et quelle forme trouves-tu qu'il faudrait donner au petit pardessus ? (Elles ont de gros manteaux chauds). Pour moi je vais tâcher de me servir encore de ma robe à volant soutaché, Cécile me l'a lavée, elle est comme neuve, je vais rassortir du mérinos noir pour la casaque, je mettrai au bas l'effilé que j'avais après cette robe que j'ai mise à Port, et il me semble que ça peut aller quoique unie en mettant un peu de soutache aux parements des manches ? R.S.V.P.
J'ai été avec les enfants à l'orphelinat de l'hôpital, où je voulais te mener, c'est si bien organisé, que nous n'avons trouvé d'utile à force de chercher que des rideaux et des chemises de nuit pour les filles. Demain nous irons à l'autre, ça fera notre promenade, et ça fait toujours plaisir.
8h ½ Nous avons soupé puis le papa et les filles ont voulu me faire jouer avec eux aux dominos… mais comme la chose était prédite elle s’est accomplie…. le sommeil a gagné mes paupières. Je viens de faire mon tour à la cuisine et de nouveau en possession de mes facultés, je ne veux plus prendre part aux petits jeux qui sont cependant bien du goût des deux chéries, à voir leur animation. C’est le 21 qui fait les frais, il faut dire que le papa sait y prendre part comme si ça l’amusait énormément. Émilie a une figure rayonnante, la voilà en possession de la banque et elle recommande qu’on fasse le jeu. Les deux coquines prétendent que quand je ne fais pas quelque chose d’utile, je m’endors. Nous sommes bien toutes deux de la famille, hein, tu te reconnais.
Emilie mord si bien à l’Anglais que je veux lui faire apprendre une petite poésie pour la fête de Charles et en cherchant j’ai relu le « We are seven »[9], tu sais que notre petit Julien[10] disait si gentiment. Hélas ce temps est bien éloigné, et c’est à nous à répéter la petite pièce de vers, en en appliquant le sens à lui. C’est bien vrai qu’il compte toujours au milieu de nous.
Tu me feras plaisir en allant faire visite à ces Dames Charrier et Boblet avant le 1er. Ça leur permet de te dire ce qu’elles pourraient avoir à nous faire dire, et puis ce que tu dis des enfants les fait s’y intéresser.
J’ai reçu un bon petit mot de maman[11], dis-lui que demain matin j’emballerai avec bonheur des poires à son adresse, c’est me faire la cour que de me demander des poires et me dire qu’on les aime. Maman me dit que papa[12] va mieux. Pauvre père, est-ce ennuyeux qu’il ait eu ce petit accident. Léon[13] est au Havre. Charles l’engage à laisser terminer le mois avant de rentrer. Nous voudrions qu’il s’occupât de la demoiselle de sa tante Eugénie[14].
Bonsoir, ma Chérie, ménage-toi, force ton mari à se reposer encore et croyez tous deux que nous vous aimons beaucoup.
Eugénie M.
Ne nous oublie pas auprès de M. Edwards[15], de Cécile[16], Louise[17] ; de bons baisers à petit Jean[18].
Nous sommes bien heureux pour vous tous si le petit garçon de Louise[19] peut se trouver bien chez les pères.
Mme Duméril[20] m’a priée de vous demander les portraits de vous deux[21], de papa, maman, Alfred[22], elle a Julien.
Lundi 10h
Merci pour ta bonne lettre de Samedi. Je viens d’emballer des poires, tu < > aussi une caisse et je te recommande de les déballer < > soigner < > qui iront à tout le monde j’espère.
Mille amitiés
Notes
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Émilie Mertzdorff.
- ↑ Charles Mertzdorff.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
- ↑ Marie Mertzdorff, sœur d’Emilie.
- ↑ Jeanne Scheurer-Kestner.
- ↑ Annette, cuisinière chez les Mertzdorff.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
- ↑ “We are Seven” est un poème de William Wordsworth, du recueil Lyrical Ballads (1798), dans lequel il est question de deux enfants morts dans la fratrie ; il commence ainsi : A simple child, dear brother Jim, / That lightly draws its breath, / And feels its life in every limb, / What should it know of death ?
- ↑ Julien Desnoyers (†).
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Jules Desnoyers.
- ↑ Léon Duméril, pour qui une épouse est recherchée.
- ↑ Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril.
- ↑ Henri Milne-Edwards.
- ↑ Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Alphonse Pavet de Courteille.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Aglaé Desnoyers et son époux Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Alfred Desnoyers.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Dimanche 20 et lundi 21 octobre 1872. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_20_et_lundi_21_octobre_1872&oldid=56950 (accédée le 18 décembre 2024).
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