Vers le 22 juillet 1868

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Villers-sur-mer)


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CHARLES MERTZDORFF

AU VIEUX THANN

Haut-Rhin[1]

Je viens de faire partir ma lettre & me voilà encore t'écrivant, ma chère Nie[2]. Avoue que d'un mari c'est très beau, lorsque ce n'est pas écœurant, ou ne donne quelque inquiétude d'un ramollissement quelconque. Je ne me demande même pas si, le cas présent, je me trouve dans l'un ou l'autre cas. J'écris ! Je le sais bien, je ferais infiniment mieux de faire autre chose, ne serait-ce qu'une petite visite à ma tante Georges[3] que je n'ai pas encore vue ; mais il est trop tard & j'aime l'air de la mer.

Je ne vois pas, en t'énumérant exactement tous les événements de la journée ici, que mon papier puisse te porter des nouvelles bien intéressantes & bien nouvelles. Pour cela je compte beaucoup sur ton petit industriel alsacien que je t'adresserai à l'occasion.

A Morschwiller je n'ai rien trouvé autre que ce que je vous ai marqué déjà dans mes deux lettre à Mimi[4] & < [5]>. Tandis que nous ralentissons & ne faisons pas très bien, eux ne vont pas mal, leurs chiffons sont réellement mieux que les nôtres. Par contre en Percales nous sommes toujours encombrés. A Morschwiller l'on en fait pas assez pour les ordinaires, nous manquons de machines pour les Percales. C'est comme tu vois un équilibre à rétablir & surtout à étudier, à essayer, à combiner, à chercher pour mieux faire.

J'avoue ma faiblesse, cela ne m’amuse plus & depuis que j'ai si bien paressé avec vous tous, il me semble plus dur & moins facile de me remettre à la besogne qui ne me plaît plus. Mais ce qui pire est c'est qu'il me semble que je ne suis plus à la hauteur de ma tâche & que tout autre ferait plus facilement & infiniment mieux que moi. Si ma boutique était un panier de pommes tu la trouverais vendue au premier marché, mais cela n'est pas aussi facile que cela & je garderai bien malgré moi je te l'assure.

Léon[6] a fait & soumis quelques nouveaux projets, quoique bien modestes, ils sont cependant très importants pour le présent & difficiles pour ménager l'avenir. Aussi n'en pouvais-je plus, j'ai dû & remettre à Dimanche. Mais Dimanche j'ai Wattwiller de sorte auquel je ne pensais pas, je viens donc d'écrire à mes invités[7] pour remettre la partie de plaisir à un jour de la semaine.

Nous avons passé une bonne soirée chez les Tachard. La mère[8] s'est retirée de très bonne heure. Mme Tachard[9], qui est de belle taille, en attendant d'un jour à l'autre un petit 5ième[10] s'est retirée aussi ; de sorte que les hommes[11] se sont mis à régenter préfets, ministres & empereurs. Décidément l'on se prépare de part & d'autres d'aimables surprises pour les prochaines élections.

A Mulhouse la chaleur du ciel fait fondre tout ce qui est coton. Aussi pas d'affaires & figures en conséquences. En rentrant, j'ai voyagé avec Mme Galland qui rentrait à sa campagne d'Uffholtz qui est, dit-on, charmante.

Ce matin je comptais bien me lever de bien bonne heure mais j'ai réussi, comme certaine petite dame que tu connais bien. Il était 7h passé & bien 8 heures lorsque j'ai déjeuné. Ai-je bien employé ma journée, je n'en sais trop rien ; presque toute la matinée dans mon bureau, ou bien avec mon ingénieur distingué, mais sûr très paresseux. Après fait étendage, machines diverses, il m'a soumis un projet de Glacière. Pour cette dernière, Tachard dit en avoir une excellente, ne se vidant jamais, couverte en chaume, ce qui ne serait pas très élevé. Je vais lui demander de la voir & en avoir le n'ai pas confiance en ce que je vais faire.,>ée>

L'après-midi je me suis donné un cigare & fait une petite lecture de journal & d'histoire < >, ce qui m'a conduit à 2 h. J'ai reçu dans la matinée et l'après midi quelques vendeurs de toutes sortes, après mon tour par toute la fabrique, j'étais chez Mme André[12] où j'ai trouvé M. Berger[13] absent, a accompagné sa femme et Mlle André[14] à Dieppe ; ils ont fait un séjour de 2 à 3 jours à Paris, ils ont quitté il y a une 8aine de jours. J'ai eu la de voir toute la petite bande de petites amies[15], qui rentraient dans un break magnifique. C'est leur omnibus qui peut se découvrir à l'occasion. Dans la journée j'avais quelque velléité d'aller voir les Kestner mais le temps m'a manqué & c'est partie remise. Je ne sais donc rien des 2 orphelinats si ce n'est qu'ils continuent à se bouder & commencent leur œuvre de charité.

Thérèse[16] est de bonne humeur, elle me dit avoir fait des confitures. Voyant devant la cuisine des haricots, je lui ai demandé si c'était pour en faire des conserves, elle m'a dit que Oui & en avoir déjà un pot tout entier. Comme je suppose que ton département t'intéresse toujours, je te dirai qu'elle a déjà vendu pour la somme considérable de … 40 F avec petit Jean, le jardinier[17] a 10 centimes par jour. Compte. Il est vrai de dire que l'on n'a vendu que légumes et fruits de toutes espèces ; produits de 5 jardins et 60 fenêtres de couche. Chaque melon se vend selon Thérèse et suivant grandeur de 0.50 à 1.50 etc. etc.

Par contre ma ménagère a encore de l'argent & ne m'en demande pas. Quoique cela soit contraire à tous les principes les plus élémentaires des économistes du jour, je dis qu'avec une quantité aussi prodigieuse d'Exportation nous ne saurions que prospérer et nous enrichir.

Je ne me suis pas encore fait la question si je retournerai à la mer ; elle m'a déjà été faite souvent mais je suis resté Normand & ai répondu en conséquence. Il est vrai que rien ne va bien mal ; mais rien ne va bien ; n'en était-il pas ainsi avant de quitter ?

Cette lettre me fait souvenir des 12 pages de Mme de Torsay[18]. Qu'en penses-tu ?

J'ai passé une bonne ½ h dans la maison de ma mère[19], il y a là tant de souvenirs ! J'aurais déjà donné l'ordre de faire des changements dans sa chambre ; mais je l'aime cette chambre où je l'ai vue tant souffrir pour la dernière fois. J'attendrai encore quelques jours & compte bien y faire encore doux pèlerinage.

Mais voilà l'heure d'aller se coucher, il est 10 ½ h & je suis tout surpris de ce que la pendule me dit car il était à peine 9 ½ h lorsque je < > embrasse bien fort nos petites chéries[20], veille bien sur elles, toutes mes affections aux Alphonse[21]. Tu sauras que je suis content de toi jusqu'à ce jour. Continue à m'écrire ou fais écrire.


Notes

  1. En-tête imprimé.
  2. Cette lettre non datée est à situer vers le 22 juillet, d’après, en particulier, l’allusion à la visite aux Tachard.
  3. Élisabeth Schirmer, épouse de Georges Heuchel.
  4. Marie Mertzdorff.
  5. Possiblement « Founie », Émilie Mertzdorff.
  6. Léon Duméril.
  7. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité.
  8. Marie Koechlin, veuve de Pierre Tachard.
  9. Wilhelmine Grunelius, épouse d’Albert Tachard.
  10. Pierre Albert Tachard.
  11. Albert Tachard, Charles Mertzdorff, Louis Daniel Constant et Léon Duméril.
  12. Marie Barbe Bontemps veuve de Jacques André.
  13. Probablement Léonce Berger, époux de Julie André.
  14. Marie André.
  15. Marie et Hélène Berger.
  16. Thérèse Gross, cuisinière.
  17. Probablement Alphonse Payot, jardinier chez les Mertzdorff.
  18. Clotilde Duméril, épouse de Charles Courtin de Torsay.
  19. Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff, et décédée en février.
  20. Marie et Émilie Mertzdorff.
  21. Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vers le 22 juillet 1868. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Villers-sur-mer) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vers_le_22_juillet_1868&oldid=60091 (accédée le 21 novembre 2024).

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