Vendredi 4 novembre 1904

De Une correspondance familiale



Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Douai), à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris)


Fs1904-11-04 pages1-4 Emilie.jpg Fs1904-11-04 pages2-3 Emilie.jpg


Douai, 4 Novembre[1]

En voilà encore une aventure, mes pauvres Amis[2] ! mais nous n’allons plus vivre ayant sans cesse l’idée qu’il vous arrive quelque chose de tragique ! Quelle peur vous avez dû avoir, c’est vraiment miraculeux que ce misérable n’ait blessé personne. Tu ne me dis pas ce qu’il est advenu de lui ? Qu’est-ce qui a pu le pousser à tirer sur votre voiture ? La balle était-elle dirigée contre M. le maire de Beaufai ou contre le véhicule rapide et confortable d’un des heureux de ce monde, ou son arme n’était-elle que celle d’un fou ? D’où est cet individu ? le connaissiez-vous ?

Je suis contente de vous savoir revenus à Paris, je n’aimerais plus à vous savoir sur les routes de là-bas ! Ta pauvre Marie Thérèse[3] n’a-t-elle pas été trop ébranlée par cette nouvelle aventure ?

Tout ce que tu me dis de Jean[4] me navre. Je l’avais trouvé triste, en effet, mais n’avais pu causer avec lui. Oui ce pauvre ménage est bien éprouvé, et je crains, de plus, que ces pauvres amis ne cherchent pas les consolations où ils pourraient les trouver. Des chagrins acceptés et supportés en commun paraissent moins pesants, mais là personne ne veut s’avouer la vérité qui les étreint, et ils arrivent à vivre côte à côte sans se fondre et sans s’aider.

Nous avons manqué aujourd’hui à notre grand regret la visite d’Étienne de Place qui n’a donné aucune explication à Nestor[5], de sorte que nous nous demandons s’il s’installe dans nos parages ; on avait parlé d’une place pour lui dans une mine des environs. Nous en serions très heureux.

La mère de notre fermier de Brunehautpré[6] qui souffrait horriblement d’un cancer depuis le mois de Juillet vient de mourir ; elle vivait avec son fils. On l’enterre Lundi et je compte partir demain soir ou Dimanche matin pour Campagne. Damas[7] craint bien de ne pouvoir y venir, car il est désigné pour faire des manœuvres de 3 jours qui auront lieu à bref délai, sans que l’on sache encore la date. Je devais de toute façon faire le voyage la semaine prochaine pour assister au départ d’Olympe et de Céline[8].

J’ai reçu ce matin une bonne lettre d’Hélène[9] et une de tante Marie[10] qui est à Paris depuis Lundi. Je regrette de ne l’avoir pas su quand j’ai traversé Paris.

Toujours d’excellentes nouvelles de J[11] qui est cependant un peu enrhumé et commence à avoir froid. Il passera bientôt ses premières colles en allemand mais ne paraît pas s’en tourmenter. Il paraît toujours content ; ils sont toute une colonie de français là-bas.

Adieu ma chérie, je t’embrasse tendrement, amitiés à tous et un Te Deum à l’adresse des voyageurs épargnés par la balle.

Émilie


Notes

  1. Lettre sur papier deuil, écrite après le décès d’Aurélie Parenty, veuve de Joseph Damas Froissart, le 1er octobre 1904.
  2. L'Indépendant de Briouze, Putanges, Écouché, rapporte, dans son édition du 6 novembre 1904 : « Nonant-le-Pin. Le 27 octobre, à 6h ¼ du soir un inconnu a lancé une pierre ou tiré une balle de révolver sur l’automobile de M. de Fréville, maire de Beaufai qui revenait de Nonant. Une glace fut brisée (coût 35 fr.). Les gendarmes interrogèrent le sieur Boutrot Albert, coupeur en chaussures à Nonant, qui cheminait sur la route, mais celui-ci nia et ne put être convaincu du délit. ».
  3. Marie Thérèse de Fréville.
  4. Jean Dumas, époux de Marthe Pavet de Courteille.
  5. Nestor Bricout, au service des Froissart.
  6. Adèle Pecquet, veuve d’Isaïe Leconte et mère de Daniel Leconte.
  7. Damas Froissart.
  8. Olympe Riquier et Céline Leclerc, qui étaient au service d’Aurélie Parenty-Froissart.
  9. Hélène Duméril, épouse de Guy de Place.
  10. Marie Stackler, veuve de Léon Duméril et mère d’Hélène.
  11. Jacques Froissart.

Notice bibliographique

D’après l’original.


Pour citer cette page

« Vendredi 4 novembre 1904. Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Douai), à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_4_novembre_1904&oldid=55028 (accédée le 6 décembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.