Vendredi 31 janvier 1879

De Une correspondance familiale

Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1879-01-31 pages 1-4.jpg original de la lettre 1879-01-31 pages 2-3.jpg


MUSÉUM D’HISTOIRE NATURELLE
ZOOLOGIE
MAMMIFÈRES ET OISEAUX[1]

Vendredi 31 Janvier.

Oui, c’est bien ma faute, mon papa chéri, si tu n’as pas reçu de lettre de nous pendant trois jours ; je ne me rappelais plus que c’était Mercredi que Marie[2] t’avait écrit[3] et (faut-il le dire ?) je n’ai plus pensé que c’était aujourd’hui mon tour.

Il est huit heures et demie, nous sommes tous dans le cabinet d’oncle[4] ; le maître de céans étudie des petits crabes charmants ; Marie coud, tante [5]… a lu longtemps le journal puis elle vient de se retirer dans l’[ ] pauvre tante, elle est très enrhumée mais cela ne l’empêche pas de sortir et elle a fait une grande quantité de visites aujourd’hui avec Marie ; on serait fatigué à moins ; quant à moi, je viens de copier de la musique et s’il  me reste du temps après t’avoir écrit, je lirai un peu d’allemand.

Tout le monde en ce moment est plus ou moins occupé de politique, on en parle tout naturellement beaucoup ; on dit que notre nouveau président[6] est un homme assez ordinaire. Pour moi je n’entends pas grand chose à toutes ces questions-là, mais il me semble que le pauvre maréchal[7] doit se sentir délivré d’une bien grande responsabilité et qu’il doit reprendre avec plaisir sa vie tranquille. Oncle prétend que tous les députés devraient être présidents de la République chacun pendant douze heures, de sorte que comme cela tout le monde serait content et tous pourraient mettre sur leur carte ancien président, seulement ils se dispenseraient d’ajouter diurne ou nocturne.

Nous avons été hier soir à la Sorbonne entendre la conférence de M. Bert[8]. Il y avait beaucoup de monde ; la séance a duré près de deux heures et a été très sérieuse ; M. Bert parlait des travaux de M. Claude Bernard, mais il s’est strictement renfermé dans son sujet et a parlé d’une manière très scientifique, trop scientifique peut-être même pour les personnes qui, comme moi, ne savent pas grand chose de la physiologie ; mais il y avait cependant des passages fort intéressants et M. Bert parle si facilement et si bien qu’en somme le tout n’a pas paru trop long. Tante Louise[9] et Marthe[10] y étaient aussi, je ne sais ce qu’il faudrait pour empêcher Marthe d’y aller, c’est un véritable enthousiasme de sa part et je le comprends fort bien.

Aujourd’hui Marie a été chez M. Flandrin[11], puis ensuite nous avons eu le cours de chant pendant lequel tante et Marie ont fait des visites.
Oncle est toujours bien enrhumé, il tousse et se mouche beaucoup plus qu’il n’est permis de le faire aussi n’a-t-il pas pu faire son cours cette semaine. Il ne sort que dans la journée pour aller au laboratoire ; cependant demain soir il sera forcé d’aller chez M. Daubrée[12].

Hier en sortant du cours de physique[13], nous avons été faire visite à Mme Mangon[14] et chez à Mme Des Cloizeaux[15] ; Marie était en train de prendre sa leçon avec Mlle Bosvy[16], mais la maîtresse et l’élève sont venues nous recevoir et on n’a terminé la leçon qu’après notre départ.

Et toi, mon papa chéri, chéri, comment vas-tu ? nous avons été bien contentes des nouvelles que tu nous donnes dans ta dernière lettre, et nous voyons que ton rhume est complètement guéri, il s’agit maintenant de ne pas en rattraper un autre. Adieu mon papa, je t’embrasse de tout mon cœur et te charge de toutes mes amitiés pour bon-papa et bonne-maman[17].
Ta fille, Emilie


Notes

  1. Papier à en-tête du Muséum.
  2. Marie Mertzdorff, sœur d’Emilie.
  3. Lettre du mercredi 29 janvier.
  4. Alphonse Milne-Edwards.
  5. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  6. Jules Grévy (1807-1891), 4e président de la Troisième République du 30 janvier 1879 au 2 décembre 1887.
  7. Edme Patrice Maurice de Mac Mahon (1808-1893), 3e président de la Troisième République du 24 mai 1873 au 30 janvier 1879.
  8. Paul Bert.
  9. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
  10. Marthe Pavet de Courteille.
  11. Paul Flandrin donne des cours de dessin.
  12. Gabriel Auguste Daubrée.
  13. Cours de Physique donné par Emile Fernet.
  14. Noëlie Dumas épouse d’Hervé Mangon.
  15. Alix Paris d’Illins, épouse d’Alfred Des Cloizeaux.
  16. Marguerite Geneviève Bosvy.
  17. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 31 janvier 1879. Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_31_janvier_1879&oldid=36024 (accédée le 15 novembre 2024).

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