Mercredi 29 janvier 1879
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris 29 Janvier 79.
Comme je ne comprends pas très bien la théorie des piles et que l’on parle beaucoup autour de moi, je viens me distraire auprès de toi, mon Père chéri ; du reste nous nous rencontrons, car, au moment où je prends mon papier, Crab[1] nous apporte une bonne longue lettre de toi dont je te remercie mille fois et qui est remplie de détails intéressants ; je voudrais bien savoir écrire comme toi, mon Père chéri, tu trouves toujours des choses nouvelles à dire mais c’est là un talent qui n’est pas donné à tout le monde, moi je barbouille mes 4 pages mais voilà tout, je crois qu’on aurait de la peine à faire l’analyse de ce qu’elles contiennent.
La caisse de poires est arrivée à très bon port et, grâce à toi, voilà mon fruitier de nouveau très bien garni il ne nous reste qu’à t’adresser mille et mille remerciements. J’admire beaucoup que tu y aies pensé, à moi maintenant de ne pas oublier de les visiter.
Nous sommes toujours dans le dégel, Paris, ou au moins notre pauvre quartier, ne veut pas se nettoyer, le thermomètre marque toujours 0°, le ciel est noir comme s’il devait neiger ou pleuvoir mais rien ne tombe heureusement.
Depuis ma dernière lettre il ne s’est rien passé ici qui mérite d’être signalé ; oncle[2] est toujours très enrhumé il n’a pas fait son cours hier, faute de voix (car Samedi il toussait déjà bien et il y a été quand même) mais hier avec la meilleure volonté on ne l’aurait pas entendu et alors il s’est décidé à renoncer à l’Ecole[3], j’espère que demain il ne le fera pas encore. Cela ne l’empêche pas d’aller passer toutes ses journées au laboratoire.
M. Edwards[4] est toujours surchargé de commissions au ministère, pour le Muséum & aujourd’hui encore il n’a pas déjeuné avec nous, son Association scientifique l’occupe beaucoup, du reste jusqu’à présent il a lieu d’être satisfait des conférences, ce sera le tour de M. Bert[5] Jeudi et je ne doute pas qu’il n’ait grand succès. On n’entend parler que de changements dans ce moment, voilà le pauvre M. Mourier[6] mis à la retraite, le préfet[7] est également remplacé et bien d’autres personnes encore craignent fort de perdre leur place sans qu’on y voie d’autre motif que celui d’être agréable à tous les amis de ces Messieurs et de faire partir les anciens pour leur donner leurs postes.
Voilà donc la fameuse loterie tirée ! que de déceptions il y a dû y avoir Dimanche soir ! connais-tu en Alsace quelque privilégié du sort ? Ici impossible de savoir qui a gagné le gros lot, dans le journal d’hier on nommait au moins 10 personnes, nous savons seulement qu’un gardien de la ménagerie nommé [Bonhorgne] a gagné un tapis d’Aubusson estimé 6 000 F reste à savoir si on le lui reprendra à ce prix-là. Je crois qu’entre tous les gardiens cet argent aurait pu mieux tomber et nous avons peur que la loterie fasse surtout la fortune du marchand de vin chez lequel le dit [Bonhorgne] va déjà assez volontiers. Qui sait peut-être cette fortune inattendue va-t-elle amener sa ruine ? Mais je suis un prophète de mauvais augure et comme tous ceux qui m’entourent je n’aime pas la loterie de l’exposition. Je voudrais bien savoir qui a gagné le bloc de mastic ?
J’ai interrompu ma lettre à la 2e page pour déjeuner, puis pour recevoir la blanchisseuse, j’ai rangé le linge, ce rangement en a [eu] entraîné un autre et bref me voilà au moment de partir chez Mme Roger[8] sans avoir rien fait du tout. Mais aussi comme mon armoire est belle ! elle il y a longtemps qu’elle ne s’est vue à pareille fête.
Adieu mon Papa chéri, je t’embrasse de toutes mes forces comme je t’aime. J’Embrasse bien pour moi bon-papa bonne-maman[9], et tante Marie[10].
ta fille,
Marie
Notes
- ↑ Crab, ou Krabe, le chien d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ L'École des hautes études ?
- ↑ Henri Milne-Edwards.
- ↑ Paul Bert.
- ↑ Adolphe Mourier.
- ↑ Ferdinand Hérold (1828-1882), préfet de juin 1873 au 28 janvier 1879 est remplacé par Ferdinand Duval (1827-1896), préfet du 28 janvier 1879 au 1er janvier 1882.
- ↑ Pauline Roger, veuve de Louis Roger.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
- ↑ Marie Stackler, épouse de Léon Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mercredi 29 janvier 1879. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_29_janvier_1879&oldid=35150 (accédée le 21 novembre 2024).
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