Vendredi 19 août 1870 (B)

De Une correspondance familiale


Lettre d’Eugénie Desnoyers avec ajouts de Marie et Emilie Mertzdorff (Paris) à leur époux et père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1870-08-19B pages1-4.jpg original de la lettre 1870-08-19B pages2-3.jpg


Paris

Vendredi 4h

Je suis ennuyée, mon cher Charles, de ne pas t’avoir donné plus de nouvelles politiques dans mes lettres, j’étais si persuadée que vous receviez les journaux, que je pensais que ma prose ne t’aurait rien apporté de nouveau. Je t’envoie des journaux, mais dans la crainte qu’ils ne t’arrivent pas, je peux toujours te donner quelques détails.

Les dépêches d’hier et de ce matin donnent bien la certitude que les Prussiens ont éprouvé de rudes pertes. Dimanche 14 sous les murs de Metz d’abord, puis ils ont demandé une armistice de 12h pour enterrer leurs morts qui sont très considérables. Le combat a continué le 16, 17 encore toujours à notre avantage. Palikao est sobre de grands mots dans ses affiches, ce qui plaît ; on veut attendre un succès plus important pour chant prononcer les mots de victoire. Bazaine aurait opéré la jonction et la retraite qui est une opération combinée bien évidemment, on veut attirer l’ennemi dans les plaines de Champagne où va se livrer la grande bataille ; Julien[1] nous dit que le camp de Châlons est reformé, très nombreux, les débris de l’armée de Mac Mahon et beaucoup de troupes fraîches (vrais soldats). Si l’armée prussienne arrive à percer nos lignes, elle est vite à Paris, mais là encore, il y aura lutte car la défense s’organise bien, de grands travaux. Les officiers de marine avec leurs fusiliers ont leurs forts avec les pièces de canon &&.

Si au contraire les Français peuvent exécuter les plans, l’ennemi vaincu, on le refoule, et les armées intérieures, mobiles & sont envoyés pour soutenir et ravitailler les forts.

Voilà ma petite appréciation, elle n’a aucune valeur.

La position est encore grave mais on a bon espoir. Il ne faut pas croire aux nouvelles venant d’Allemagne, la bonne foi et la franchise manquent complètement dans leurs dépêches.

Tan mieux pour Léon[2], mais à Paris la loi n’a pas été comprise comme cela, il vaut mieux que ce soit nous qui nous trompions.

L’affaire de la Villette[3] va être jugée, un conseil de guerre s’en saisit. Beaucoup d’espions prussiens sous tous les costumes.

On fait bien de conserver des troupes à Belfort car l’effort pourrait par finir de se porter de ce côté.

Pour les coussins oreillers des lits les faire en crin. Ne pas capitonner ceux en végétal destinés à relever la tête des lits. Mais je vais en parler à M. Brouardel.

Les pertes sont considérables, mais plus grandes encore chez les Prussiens, on dit que le régiment des cuirassiers blancs de M. de Bismarck a été entièrement détruit dans la dernière affaire. Le prince Charles[4] serait blessé ; le prince Albert[5] tué, plusieurs généraux tués dans les 2 armées ; l’état-major du maréchal aurait beaucoup souffert.

Notre Julien est là, je crois que ce commencement de campagne lui a fait du bien et qu’il a encore gagné. Il a un entrain, une gaieté et avec beaucoup de sagesse dans ce qu’il dit. Il nous raconte ses petites misères et son régime à l’Anticornaro de Berquin[6]. Plus d’une fois la corvée est dure et on serre la ceinture. Il ne croit pas être pour longtemps ici à St-Maur.

Adieu, cher Ami, Je t’embrasse de cœur pour moi et les nôtres,

Ta Nie

Mon cher papa je t’embrasse bien fort bien fort   

Ta petite fille qui t’aime   

Marie Mertzdorff    

Mon cher papa oncle Julien est avec moi. Je viens de faire une partie de dame avec lui.  

Adieu cher papa je t’embrasse bien fort. Je t’écrirai bientôt.  

Ta petite fille qui t’aime  

Emilie Mertzdorff


Notes

  1. Julien Desnoyers.
  2. Léon Duméril, qui ne serait pas appelé aux armées.
  3. Voir la lettre des 15-16 août 1870.
  4. Frédéric-Charles de Prusse (1828-1885).
  5. [Frédéric Henri] Albert de Prusse (1809-1872).
  6. Anticornaro est le héros du roman de Thomas Day, Sandford and Merton, librement traduit par Arnaud Berquin (1747-1791) et qui connaît de nombreuses adaptations et éditions au XIXe siècle. Le seigneur italien Anticornaro, héritier d’une immense fortune passe sa vie à manger et à imaginer ce qu’il pourrait ajouter au luxe de sa table.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 19 août 1870 (B). Lettre d’Eugénie Desnoyers avec ajouts de Marie et Emilie Mertzdorff (Paris) à leur époux et père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_19_ao%C3%BBt_1870_(B)&oldid=35828 (accédée le 22 décembre 2024).

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