Vendredi 18 septembre 1812
Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à son mari André Marie Constant Duméril (Amiens)
N° 215 C
Paris 18 Septembre 1812
C'est avec beaucoup d'impatience que j'attendais de tes nouvelles mon bien bon ami, je pensais bien en recevoir hier, et je n'ai pas été déçue dans mon espérance. J'ai trouvé ta lettre bien vite lue, mais pour m'en consoler je l'ai relue plusieurs fois, et j'ai parfaitement compris comment tu n'as pas eu le loisir de m'en dire plus long, et je crains fort qu'il en soit de même pendant ton séjour à Amiens, puisqu'aux visites et invitations qui ne peuvent pas te manquer, il se joindra tant d'occupations, enfin je tâcherai d'en prendre mon parti si tout cela au moins ne te donne pas la migraine. Je jouis beaucoup pour toi de ce séjour au milieu de ta famille, qui est sûrement des plus heureuse de t'avoir auprès d'elle. Ton frère et sa femme[1] seront arrivés hier, dis-leur je te prie mille choses des plus affectueuses de ma part en leur témoignant mon regret de n'avoir pu être de cette jolie réunion de famille, et combien j'aurais eu de plaisir à connaître leur petite. Tu ne manqueras pas non plus je te prie de présenter mes compliments, civilités ou respects à celles de tes connaissances qui te demanderont de mes nouvelles. Raconte-moi comment tu te trouves de ton compagnon de voyage[2] et si on lui fait l'accueil que tu pouvais désirer ; présente-lui je te prie mes compliments.
Je ne sais pas si c'est pour exciter ma jalousie que Mme Biot[3] a eu soin d'inviter quatre Demoiselles pour le jour où tu devais être à l'Epine, car sur le nombre il doit y en avoir au moins une de jolie ou de spirituelle, et peut-être même sont-elles toutes agréables ; je pourrais être fort inquiète si au lieu d'une demie-journée tu avais passé plusieurs jours dans leur société. François[4] a reçu hier la lettre de Biot, mais je ne sais pas encore comment elle est dite, ni ce qu'il fera mon frère. J'attends aujourd'hui maman[5] qui me racontera cela. Le lendemain du jour où je t'ai écrit, je suis revenue chez moi[6] entre midi et une heure avec ma Tante[7] qui passa le reste de la journée avec moi, et que je fis reconduire. L'appartement en y rentrant me parut bien triste sans ta présence, et sans la perspective de te revoir le soir, et je fus bien aise de ne pas m'y trouver seule. Hier il fallut bien supporter cette solitude qui eut pour seule distraction la réception de ta lettre ; l'une des meilleures au reste que je pusse avoir. Je te dirai que je suis presque fâchée contre Mlle de Carondelet qui a l'air de ne prendre aucun souci de l'attente dans laquelle je suis de savoir à quel moment elle viendra me voir, car je n'ai pas encore eu un signe de vie d'elle depuis la lettre que je lui ai écrite lundi et qu'elle dut même recevoir dès midi ce jour-là ; elle doit pourtant bien penser qu'il me serait plus agréable d'être chez mes Parents, que de passer huit jours seule chez moi où je ne suis que pour l'attendre. Je suis fâchée de lui en vouloir un peu, et je ne puis m'en empêcher. Je n'oserai guère aller rue Favart avant que ce soit pour m'y fixer, car décidément le cabriolet me fait mal aux reins ; je l'ai bien éprouvé avant-hier en revenant ici, je puis donc être regardée à présent comme une personne impotente, heureusement que je n'ai pas le goût de courir et d'aller chercher des distractions. Pendant que j'étais chez maman j'ai manqué la visite de Mme de Montbret[8] et celle de M. Guersant. J'ai oublié de te dire que mardi j'ai reçu une lettre de mon frère aîné[9] moitié pour toi et moitié pour moi, très bonne et très amicale où il dit qu'ayant un domestique homme qui couche à la ville, il vous donnera gîte, sans aucun embarras et avec le plus grand plaisir. M. Fouré[10] et la famille Labouchère se réjouissent extrêmement de te revoir, et ces derniers, dit-il, espèrent bien n'être pas malades cette fois et t'invitent d'avance à dîner. Mon frère dit aussi que sa femme est toute ravie de l'idée de te revoir, ainsi que Louis et Horace[11]. Je ne t'envoie pas la lettre, pensant que tu la verras à ton passage ici, il ne t'en est pas venue d'autre. Ton fils[12] continue à être très sage et veut que je te dise qu'il t'embrasse.
Adieu mon bon ami, j'ai rêvé à toi toutes ces nuits, mais je n'en ai pas été plus avec toi pour cela et c'est ce qui me chagrine. Je t'embrasse tendrement.
A.D.
Notes
- ↑ Probablement Auguste Duméril (l’aîné) et sa femme Alexandrine Cumont ; leur fille Félicité est née en 1810.
- ↑ Hippolyte Cloquet.
- ↑ Françoise Gabrielle Brisson, épouse de Jean Baptiste Biot.
- ↑ Étienne François Delaroche, frère d’Alphonsine.
- ↑ Marie Castanet, épouse de Daniel Delaroche.
- ↑ Pendant la tournée des jurys de médecine qu’effectue son mari (AMC Duméril), Alphonsine s’est installée rue Favart, chez ses parents. Voir les adresses de la famille Duméril.
- ↑ Élisabeth Castanet.
- ↑ Charlotte Hazon, épouse de Charles Étienne Coquebert de Montbret.
- ↑ Michel Delaroche, époux de Cécile Delessert.
- ↑ Hypothèse : Guillaume Charles François Fouré, docteur en médecine à la Faculté de Paris, marié en 1808 à Marie Jeanne Nicole Desnoyers.
- ↑ Louis et Horace Say.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril à sa femme, p. 81-84)
Annexe
A Monsieur
Monsieur C. Duméril
Petite rue St Rémy
A Amiens
Pour citer cette page
« Vendredi 18 septembre 1812. Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à son mari André Marie Constant Duméril (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_18_septembre_1812&oldid=61712 (accédée le 21 novembre 2024).
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