Dimanche 20 septembre 1812
Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à son mari André Marie Constant Duméril (Amiens)
N° 215 D
Paris 20 Septembre 1812
Ayant l'espoir de recevoir une lettre de toi aujourd'hui mon bon ami, j'avais pensé à ne t'écrire que demain afin de pouvoir t'en accuser la réception, mais demain je n'aurai peut-être pas le temps, ainsi il vaut mieux causer avec toi tout de suite, et te raconter comment je passe mon temps et te dire mes petits soucis. Avant-hier peu après ma lettre partie, maman arriva avec Papa[1], nous causâmes de ma santé comme de raison, et d'après ce que je racontais que j'éprouvais, Papa trouva prudent, puisque tu m'avais recommandée à M. Deneux, de le faire prier de vouloir bien avoir la bonté de passer à la maison, il m'en coûtait bien un peu de me trouver ainsi en présence d'un autre accoucheur que toi, cependant je n'ai pas écouté cet embarras, et François[2] étant arrivé d'Arcueil quelques moments après, m'offrit de se charger d'y passer en retournant rue Favart, il écrivit même un petit mot d'avance pour lui laisser dans le cas où il ne le rencontrerait pas chez lui, mais il ne fut pas nécessaire car il le trouva, et quoiqu'il n'eut prié M. Deneux de venir que le lendemain ou même le surlendemain, je le vis paraître ce dernier le jour même d'abord après dîner ; je ne pus pas me défendre à sa vue d'une certaine émotion qui dura une partie de la soirée. Toute sa manière me convint très fort, et d'après ce que je lui dis, il trouva que la chose essentielle pour mon état était le plus de repos possible, et qu'il serait bon de garder le lit une partie des matinées. Je le remerciai beaucoup de l'empressement qu'il avait mis à venir, et hier je suivis l'ordonnance du repos autant qu'il me fut possible. Mais elle ne produisit pas d'effet, et même je souffris des reins bien plus que les jours précédents, et je fus fatiguée du poids de l'enfant qu'il me semblait sentir tout au bas du ventre. Ayant eu occasion d'écrire à maman dans la matinée à Maman qui avait envoyé pour savoir de mes nouvelles, je lui racontais ce que j'éprouvais ; sur cela elle prit ainsi que Papa plus d'inquiétude et une vive impatience de me voir transportée chez eux pour pouvoir me soigner dans tous les moments et se trouver à portée de me soigner le faire tous et comme j'en aurais besoin si le grand événement arrivait avant le temps prévu, aimant encore mieux avoir cet embarras chez eux que de me sentir à l'estrapade sans toi. Le soir comme j'étais en tête-à-tête avec mon petit Constant[3] auquel je fabriquais des joujoux, je vis paraître Papa qui me témoigna son désir de me voir arriver chez lui le plus promptement possible, me dit qu'il venait de chez M. Deneux à qui il avait laissé un mot pour le prier de venir me voir aujourd'hui, et qu'il s'était assuré d'une chaise à porteurs pour le cas où l'on déciderait que ce serait une manière plus convenable de me transporter, que le cabriolet. Tu vois cher ami comme j'ai de bons parents occupés à soigner ta compagne et je crois que dans ce cas-ci, tu ne pourras pas nommer cela de la pure gâterie ; tu dois plutôt en éprouver un repos d'esprit, puisque tu es obligé d'être éloigné de moi dans un moment où ta présence me serait bien douce. Il faut te dire que j'ai enfin reçu hier matin une lettre de Mlle de Carondelet, qui dit qu'elle n'a pas eu un moment pour m'écrire plus tôt, qu'elle a auprès d'elle ses amies Mme Hulleu et Mlle Babet, qui resteront avec elle jusqu'au milieu de la semaine prochaine, moment pour lequel elle m'annonce sa visite et quoique son billet soit des plus amical, elle me dit bien qu'elle est obligée de renvoyer ses amies pour venir me voir circonstance qui m'a mise fort à l'aise pour lui écrire que je ne pourrai pas la recevoir, j'ai tourné mon billet de la manière la plus aimable qu'il m'a été possible, je lui dis que ce sont mes Parents qui exigent que j'aille chez eux, et qu'ils n'auront pas de repos d'esprit qu'ils ne m'y voient transportée. J'ai écrit hier au soir et mon billet est parti ce matin avant dix heures.
J'ai aussi envoyé à M. Descot deux lettres qui te sont arrivées hier par le Ministre[4], mais il venait de partir pour la campagne, ainsi il n'est que trop probable qu'elles ne te seront expédiées que demain. Aujourd'hui j'attends maman et ma Tante[5] à dîner ; et ce n'est que lorsque j'aurai eu la visite de M. Deneux que le moment de mon départ pour la rue Favart pourra se décider ; c'est de mon lit que je t'écris ; j'ai passé une nuit assez agitée, cependant ce matin je me trouve mieux, j'ai moins mal aux reins. Avant-hier je fus avec Maman chez Mme Oudot où je fis toutes mes emplettes pour l'enfant futur et où je dépensais près de deux cents francs quoique je n'ai fait que ce qui m'a paru le juste nécessaire.
Je viens d'être interrompue par la visite de mon nouveau Docteur, qui me conseille de rester fidèle à mon lit aujourd'hui, afin de conserver ce mieux-être que j'éprouve aujourd’hui ce matin. Voilà terriblement d'écriture pour ne te parler que de moi. Je voudrais bien en recevoir autant de ta part où tu ne me parlerais que de toi. Te voilà entré depuis hier dans tes occupations de Président des Jurys, je voudrais bien que tu n'en fusses pas trop fatigué. Ton fils est très bien et fort gai ; il me fait bien des jolies caresses.
Je ne t'ai point encore parlé de ma nouvelle bonne dont je suis contente jusqu'à présent, et qui est intelligente. Je suis fort contente aussi d'Henry[6] qui est bien à sa besogne. Adieu mon bien bon et excellent ami, l'heure me presse de finir. Ton amie t'aime comme tu sais.
A.D.
Notes
- ↑ Marie Castanet et Daniel Delaroche, qui habitent rue Favart. Voir les adresses de la famille Duméril.
- ↑ Etienne François Delaroche, frère d’Alphonsine.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Il s’agit probablement du ministre de l’Intérieur Jean Pierre Bachasson de Montalivet.
- ↑ Elisabeth Castanet.
- ↑ Henry, domestique chez les Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril à sa femme, p. 84-89)
Annexe
A Monsieur
Monsieur C. Duméril
Petite rue St Rémy
A Amiens
Pour citer cette page
« Dimanche 20 septembre 1812. Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à son mari André Marie Constant Duméril (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_20_septembre_1812&oldid=61616 (accédée le 22 décembre 2024).
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