Samedi 19 avril 1879
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)
Samedi soir.
Ma chère Marie ton père est un grand maladroit de t’avoir fait tant de mal en cautérisant ton cors comme il l’a fait. J’en suis tout triste pour toi ma toute chérie d’avoir un père aussi maladroit. Heureusement qu’il m’arrive rarement de prendre une initiation pareille, & j’ai mille fois raison de me traiter comme je le mérite. Thérèse[1] m’a fait la même opération & avec un tel succès que je croyais que je n’avais qu’à faire comme elle ; mais comme l’ours de la fable j’étais un lourdaud.
J’en suis le premier puni, & je t’assure que je ne recommencerai plus. pauvre chérie !
Depuis [que] je suis rentré je me suis souvent demandé des nouvelles de ton pied, mais ne pouvant me répondre, ne demandant pas, je trouvais tout naturel qu’il suivrait l’exemple du mien. Je ne me doutais pas que je t’avais fait tant de mal !!
Nous avons eu la visite de Mme Mertzdorff[2] avec Mlle Munsch[3] & l’abbé[4]. ils ont passé une bonne partie de l’après-midi avec moi. La tante a très bonne mine quoiqu’elle trouve que notre pays est par trop froid & désagréable ; elle ne restera qu’une Quinzaine ici. ayant hâte de se retrouver à Paris. Je les ai accompagnés au chemin de fer. & en rentrant j’ai visité les Georges Heuchel[5] chez lesquels ces dames avaient passé une heure avant de venir chez moi.
Mlle ainsi que l’abbé sont maigres & très pâles ils ne paraissent pas avoir grande santé.
Ce soir grand concert à Mulhouse suivi de bal aussi toutes ces jeunes Dames Léon[6], Georges[7], Berger[8] etc. sont dans tous leurs atours à l’heure que je t’écris, plus personne à Vieux-Thann & cependant demain grand Concert à Vieux-Thann où je me trouverai assez seul. car il faut bien que je fasse acte de présence.
Jeudi dernier grande représentation théâtrale chez les Berger. Auteurs M. & Mme Georges[9] Mlles Marie & Hélène Berger. Ma tante Heuchel qui assistait mais n’a pas bien entendu & ne m’a pas pu me donner grands détails m’a dit que Marie B. était en Grand-papa & pour ce grand rôle l’on a fait venir la robe de chambre de M. Gast[10], & mise à l’envers la doublure rouge a fait un effet magique. tout le monde a très bien joué & chacun s’est amusé même tante qui n’a pas bien entendu. le cercle de ces réunions s’élargit peu à peu l’on était à ce qu’il paraît assez nombreux.
Bon-papa Duméril[11] qui est venu de bon matin m’a dit que bonne-maman avait mal à la tête & gardait le lit. Même accident arrive à Mme Stackler[12] qui garde la maison de Léon & son lit aujourd’hui, du reste depuis quelques mois elle couche le plus souvent ici, laissant sa bonne toute seule chez elle.
Mme Stackler devait quitter ce mois-ci encore pour passer 2 mois à Dijon[13] mais l’annonce de l’arrivée de son fils[14] la fait retardé son voyage. c’est je crois ce mois-ci encore qu’il doit arriver. Nous avions aujourd’hui une 1ère bonne journée un peu fraîche mais au moins avait-on quelques heures de soleil. Malgré ce mauvais temps froid tout pousse & cette gelée de la journée de Pâques n’a pas fait le mal que l’on craignait rien à la vigne, fruits en général sauf les abricots & encore est-il possible que l’on en mange encore quelques-uns.
A la fabrique rien de particulier notre nouveau contremaître des Journaliers n’est pas si maladroit comme je le craignais d’après son extérieur. l’on est pas mal occupé & les affaires ont l’air de reprendre un peu pour tout le monde.
le Saint Joseph de sœur Bonaventure est venu ce matin me trouver pour de la part de toute l’étable qui réclamait à manger pour la 3me fois j’ai pu le satisfaire, à entendre la grosse Dame, j’irai droit au Ciel.
La noce de Fanny Mairel[15] s’est très bien passée, il n’y avait que 25 à 30 convives à table. Les jeunes époux sont à Thann, dans quelques jours le jeune marié se remettra en Route pour trouver un Notariat.
Ma cafetière a fait grand plaisir ainsi que le cadeau de ma sœur[16].
Jules Heuchel vient de quitter ses parents ce soir pour rentrer à son école en s’arrêtant à Troyes où il a à faire auprès de son notaire. Je ne l’ai pas vu souvent, le pauvre garçon n’a eu que du mauvais temps pendant tout son séjour ici.
Hier la police a fait une descente chez nous pour prendre deux de nos ouvriers qui ont volé les poules du curé de Roderen[17], eux-mêmes demeurent à Rammersmatt. Pauvres poules ! & pauvre curé. Il est vrai qu’en fouillant l’on a trouvé pas mal d’objets qui n’étaient ni poules, ni provenaient de la basse-cour du curé. Notre fabrique y est représentée ainsi que d’autres usines où ces garnements ont travaillé. C’est à Midi & enchaînes que l’on a fait sortir les deux frères, ce qui a dû faire quelque impression sur plus d’un qui se trouvait sur leur passage.
Les gendarmes prussiens ne plaisantent pas. Ces deux garçons ne travaillent chez nous que depuis peu & c’est sur les instances de leur sœur que nous leur avons donné de l’ouvrage. la pauvre fille est toujours malade d’un terrible mal & c’est elle qui entretenait depuis des mois ses frères & vieille mère.
Il paraît que le jour de Pâques a vu nos demoiselles de fabrique se surpasser en élégance de toilette & de belles manières. Les plus pieuses prétendent que ce luxe ne correspondait qu’à l’inauguration de la plus belle, la plus riche & élégante bannière de l’Alsace que l’église de Vieux-Thann s’est donnée.
Demain Dimanche j’attends Mlle Adèle Piquet pour le dîner, elle me fera un peu de musique en attendant le grand concert. Ce sont principalement mes vieilles valses & morceaux d’autrefois que l’on me joue & que j’entends avec plaisir.
Notre Jardinier[18] est en ce moment avec ses aides à arranger le Jardin de M. Jaeglé[19] qui s’est fait faire un nouveau pont en fer pardessus le Canal pour venir à la fabrique & pour ne pas passer sur un petit coin de la propriété des Berger il a dû acheter un bout de terrain à un voisin pour que le pont arrive directement sur le petit chemin qui passe derrière le potager. Toute la maison est maintenant mise à neuf, c’est une vrai maison de maître, aussi mon associé est-il content, & probablement la petite Dame[20] aussi.
Je suis du reste toujours très content du Jardinier, avec tous ses Jardins tout est toujours parfaitement propre & bien tenu. Je n’en dirai pas autant de mon paresseux de cocher[21]. Il y a peu de fleurs à la serre. Dommage que tu ne nous aies pas vu nous en aller à la station à pied. tante & sa nièce portaient entre elles deux un grand panier rempli de pots de fleurs & chacun des Messieurs, l’abbé & moi, avait sa charge de pots. Tout cela de la serre que ma tante a choisi pour orner Saint- Amarin pendant son séjour. Impossible de faire porter cela, il fallait bien obéir.
Malheureusement mon cocher était à Willer chercher des pièces, sans ce contretemps l’expédition se faisait plus simplement.
Je crois que Mme Mertzdorff viendra encore passer une journée à Vieux-Thann avant son départ mais ce sera tout ce qu’elle me donnera. Du reste Élise[22] ne la laissera pas longtemps ici, voulant aller à Grand Lemps & être de retour pour le 15 juin. jour de première communion de Pierre[23].
Lorsque tu m’écriras tu me parleras de ton pied, je t’en prie la vérité vraie.
J’aurais adressé ma lettre à ta sœur[24] à laquelle je dois une bonne & longue lettre mais j’avais comme tu vois à me lamenter auprès de toi sur ma maladresse & je me propose un autre jour de bien embrasser ta sœur, qui me pardonne.
C’en est assez de barbouillage un bon baiser & mille amitiés autour de toi ton père qui t’aime
ChsMff
Notes
- ↑ Thérèse Neeff, employée par Charles Mertzdorff.
- ↑ Caroline Gasser, épouse de Frédéric Mertzdorff, et tante de Charles Mertzdorff.
- ↑ Anne Marie Munsch, nièce de Caroline Gasser-Mertzdorff.
- ↑ Ernest Munsch.
- ↑ Georges Heuchel et son épouse Elisabeth Schirmer (« tante Heuchel »).
- ↑ Marie Stackler épouse de Léon Duméril.
- ↑ Maria Lomüller, épouse de Georges Duméril.
- ↑ Les dames de l’entourage de Louis Berger.
- ↑ Georges Duméril et Maria Lomüller.
- ↑ Probablement Victor Édouard Gast.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril, époux de Félicité Duméril (« bonne-maman »).
- ↑ Marie Stéphanie Hertzog, veuve de Xavier Stackler.
- ↑ A Dijon dans la famille Hertzog.
- ↑ Henri Stackler.
- ↑ Fanny Mairel a épousé Paul Edouard Munsch.
- ↑ Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
- ↑ Jacques Munch.
- ↑ Édouard Canus.
- ↑ Frédéric Eugène Jaeglé.
- ↑ Marie Caroline Roth, épouse de Frédéric Eugène Jaeglé.
- ↑ Ignace Vogt ou M. Michel ?
- ↑ Elisabeth (Elise) Mertzdorff, épouse d’Eugène Bonnard.
- ↑ Pierre Bonnard.
- ↑ Emilie Mertzdorff.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 19 avril 1879. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_19_avril_1879&oldid=60349 (accédée le 21 novembre 2024).
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