Mercredi 5 juillet 1916

De Une correspondance familiale


Lettre d’Émilie Mertzdorff (Paris), épouse de Damas Froissart à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)


original de la lettre 1916-07-05 pages 1-4.jpg original de la lettre 1916-07-05 pages 2-3.jpg


5 Juillet[1]

Je te remercie beaucoup de ta bonne et longue lettre, mon cher petit.

Je puis justement te donner des nouvelles récentes de tes frères. J'ai reçu avant-hier une lettre de Pierre[2] et aujourd’hui une de Michel datées du 27 et du 29. Ils paraissent tous deux assez tranquilles sur la rive gauche : Pierre couche dans une maison et dans un lit avec draps ; Michel a dû transporter sa literie dans une cagna parce que sa maison après avoir perdu ses vitres perdait ses tuiles et même ses pierres ! Tous deux restent chargés des téléphones. Ils sont à 5 kilomètres l'un de l'autre, mais ne s'étaient pas encore vus.

Nous avons été très occupés depuis huit jours par la location à Saint-Cloud pour Élise[3]. J'espère que c'est fait à l'heure actuelle, mais ce n'est pas sans peine et nous n'aurons pas la maison avant le 15. C'est peut-être très heureux car le petit[4] est couvert de rougeurs et nous nous demandons s'il ne commence pas la rougeole ! Il n'en a néanmoins pas tous les symptômes et le Docteur Grenier va nous fixer ce soir.

Je ne pense pas attendre le 15 pour aller retrouver Lucie[5]. Je tâcherai de tout préparer pour qu’Élise ait le moins de fatigue possible[6]. Jacques[7] tenu, plus qu'occupé, à Boulogne n'a guère de loisirs. Et puis voilà Lina[8] qui, revenue de Belfort où elle a passé 15 jours chez parents et laissé sa petite, étant allé voir Jules à Berck y a vu un médecin qui la déclare malade et ayant besoin d'un repos de plusieurs mois. Bref elle donne congé. Élise heureusement avait sous la main une vieille [Menne[9]] réfugiée que déjà elle devait avoir pour Jacqui et qu'elle venait de retenir pour 7bre Nounou va se mettre à la cuisine ce dont elle paraît très satisfaite.

Jacques a fait une chute assez rude avant-hier en voulant sauter dans le tram d'Auteuil devant notre porte. Il a tout le côté droit mais surtout la jambe et le coude fort endoloris et meurtris. Je n'osais pas espérer au premier moment qu'il s'en tirerait à si bon compte. Il a tenu à aller hier à Boulogne et aujourd'hui il y a un réel progrès. Comme quoi l'énergie vaut souvent mieux que les soins.

Nous avons eu Guy[10] à déjeuner ce matin. Jacques a retrouvé ici Eugène André qui, encore infirme d'une blessure au genou est employé aux poudres. Il croit certain que Vitrant est tué et dit que le dépôt auquel il a écrit le considère comme « disparu ». A ce mot je pense à tante Marie[11] qui est de plus en plus souffrante, elle a des contractions de la gorge extrêmement pénibles et de plus en plus sérieuses, si bien qu'elle ne peut, depuis plus d'un mois, prendre qu'un peu de lait ou de bouillon. Elle s'affaiblit beaucoup. Hélène[12] est revenue à Paris et va probablement y rester, laissant ses enfants partir pour Livet où sa mère[13] est invitée mais n'ose aller. Je le comprends et cependant je voudrais bien qu'elle s'y décide.

Je suis très confuse d'avoir si mal emballé mon paquet et je te remercie de m'en avertir. Dis-moi quelles sont les conserves qui te sont agréables et qu'il faut continuer, je voyage dans l'inconnu. Je vais t'envoyer une andouille de Campagne.

Je t'embrasse très tendrement

Emy

Ton papa[14] a été retenu à Lyon jusqu'à hier je pense qu'il est à la Bourboule aujourd’hui ; il paraît fatigué et souffrant ce qui m'ennuie. Je crois qu'il s'est beaucoup fatigué à Lyon et j'ai hâte de l'en voir partir.

J'ai oublié de te dire que j'avais envoyé à la petite Maure une jolie gravure ancienne du crucifiement, avec ta carte. Je pense qu'on te remerciera directement. J'ai laissé croire en écrivant que c'était toi qui l'avais choisie.


Notes

  1. Lettre sur papier-deuil.
  2. Pierre et Michel Froissart, frères de Louis.
  3. Élise Vandame, épouse de Jacques Froissart (voir la lettre du 28 juin).
  4. Jacques Damas Froissart (« Jacqui »), fils d’Elise et Jacques.
  5. Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote, alors à La Bourboule avec ses trois enfants.
  6. Elise Vandame-Froissart est enceinte de Marc.
  7. Jacques Froissart, au dépôt de matériel automobile de Boulogne sur Seine.
  8. Lina, domestique. Possiblement Aline Marguerite Marchand, épouse de Jules Charles Wolff.
  9. Menne ( ?) et Nounou ( ?), domestiques chez les Degroote.
  10. Probablement Guy Colmet Daâge.
  11. Marie Mertzdorff, veuve de Marcel de Fréville.
  12. Hélène Duméril, épouse de Guy de Place.
  13. Marie Stackler veuve de Léon Duméril.
  14. Damas Froissart.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 5 juillet 1916. Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris), épouse de Damas Froissart à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_5_juillet_1916&oldid=61317 (accédée le 18 décembre 2024).

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