Mercredi 31 mars 1880
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)
Mercredi 31 Mars 80
Ma chère Marie lorsque l’on est vieux l’on a passé par tant de choses & événements extraordinaires que même marier sa fille ne me paraît pas un fait aussi extraordinaire, d’autant que depuis 20 ans l’on s’est un peu familiarisé avec cette idée que le poulet prendra son vol & c’est ce qui arrive. Si l’on pouvait un peu voir ce que l’avenir vous réserve serait-on plus content & plus heureux ; mais il vaut mieux sans doute ignorer & rester un peu inquiet. Inquiet non pour votre bonheur, car je crois avoir assez vu Marcel[1] pour conserver l’ombre d’une inquiétude de bonheur pour tous deux mais lorsque l’on n’a joui que 4 ans de bonheur[2], l’on trouve que c’est bien peu & la vie est souvent une charge alors. Tomber de bien haut fait bien mal !
Si je ne t’écris pas si souvent ce n’est pas que je ne pense pas à toi, & penser à toi, Marcel n’est pas loin.
Figure-toi que j’étais toujours persuadé que je détesterais souverainement ton mari, & plus je me familiarise avec l’idée que Marcel va rendre ma fille heureuse & plus cette folle idée passe dans l’ombre & que je suis persuadé que les deux ne font plus qu’un dans mon esprit. J’aurai un garçon de plus ce qui a aussi son charme. Il remplira un vide dans ton cœur mais ne chassera rien de ce qui s’y trouve déjà.
M. le curé[3] vient de m’adresser le bulletin de publication à l’Église le Jour de Pâques, avec une charmante lettre que je me réjouis de te porter, comme tous ici il déplore que tu ne restes plus Vieux-Thannoise et te fasses parisienne ; ce sont là des regrets de tous & qui sont bien naturels. Tu pouvais remplacer ta mère[4] ou ta maman[5] auprès de bien des gens. Ce que je désire c’est que Marcel se plaise assez dans mon village pour aimer à y venir quelquefois pendant ses vacances.
Depuis quelques jours, j’ai Thérèse[6] un peu malade, elle a gardé le lit 2 ou 3 jours. c’est sœur Bonaventure qui est venue la soigner, car elle ne veut pas de Mairel[7]. Nous croyons qu’elle a un commencement d’affection du foie, elle a eu une nuit des coliques hépatiques, très douloureux, mais qu’il est difficile de la tenir au lit & pour la faire rester je serai cependant forcé de faire demander le Docteur. Elle ne va pas trop mal, est levée, mais elle n’est pas encore débarrassée entièrement de son mal. En attendant c’est Émilie[8] qui fait mon ménage & elle sait bien assez faire la cuisine pour me contenter entièrement.
Au moulin l’on va bien, bonne-maman[9] est souvent ici, surtout maintenant que Mlle Oberlin[10] est auprès de Marie Léon[11] & sa mère[12] qui est toujours avec sa fille n’ayant plus de ménage. Lundi gras tout le monde était à Mulhouse voir défiler une grande Cavalcade qui n’avait à ce qu’il paraît, rien de bien séduisant.
GeorgesDuméril doit être à Paris avec sa sœur[13] & M. de Torsay, il cherche sérieusement à se faire cultivateur, je ne comprends pas ? Hélène[14] n’avait jamais vu tant de monde que Lundi à Mulhouse.
J’ai reçu pour toi une lettre de Mme de Rheinwald[15] qui te félicite & me prévient que Marie Verdelet[16] fait préparer pour toi un modeste souvenir qu’elle te demande d’accueillir avec amitié & indulgence & dont l’achèvement a été retardé par des circonstances indépendantes de sa volonté, & moi aussi j’ai préparé pour toi un gros paquet puisque le monde entier travaille pour la charmante fiancée.
L’oncle & tante Georges[17] vont bien.
Mme Berger[18] est depuis quelques jours à Paris auprès de ses filles[19], il paraît que M. Berger qui n’a pas l’habitude d’être seul a voulu faire promettre à sa femme qu’elle ne sera pas plus de 15 jours absente, ce que cette dernière n’a pas voulu promettre, de sorte que je crois qu’elle sera encore à Paris pour le 14.
Le Baromètre baisse depuis quelques jours aussi pleut-il hier & aujourd’hui, tout verdit c’est un plaisir de voir les progrès de la salle à manger. Dans la serre plus une seule belle fleur, le soleil si chaud les mange, même les Azalées ont passé.
Tu voudras bien dire à Marcel que je pense beaucoup à lui, qu’il ne me fait plus peur ; Embrasse Oncle Tante[20] & Émilie[21].
Ton père ChM
Notes
- ↑ Marcel de Fréville, fiancé de Marie Mertzdorff.
- ↑ Charles Mertzdorff a été marié 4 ans (1858-1862), avant le décès de sa première épouse Caroline Duméril.
- ↑ Louis Oesterlé, curé de Vieux-Thann de 1875 à 1881.
- ↑ Eugénie Desnoyers, seconde épouse de Charles Mertzdorff, qui a élevé les orphelines.
- ↑ Caroline Duméril, première épouse de Charles Mertzdorff.
- ↑ Thérèse Neeff, cuisinière chez Charles Mertzdorff.
- ↑ Le docteur Alphonse Eugène Mairel.
- ↑ Émilie Sussenthaller.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Mlle Oberlin ou bien Mlle Clémentine Oberlé ?
- ↑ Marie Stackler, épouse de Léon Duméril.
- ↑ Marie Stéphanie Hertzog, veuve de Xavier Stackler.
- ↑ Clotilde Duméril, épouse de Charles Courtin de Torsay.
- ↑ La petite Hélène Duméril.
- ↑ Louise Zaepffel, veuve de Camille Charles Auguste de Rheinwald.
- ↑ Marie Zaepffel épouse de René Verdelet.
- ↑ Georges Heuchel et son épouse Elisabeth Schirmer.
- ↑ Joséphine André, épouse de Louis Berger.
- ↑ Marie, Hélène (et Julie ?) Berger.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers.
- ↑ Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mercredi 31 mars 1880. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_31_mars_1880&oldid=54047 (accédée le 21 novembre 2024).
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