Mercredi 30 mars 1842
Lettre d’Auguste Duméril l’aîné (Lille) à sa fille Félicité (Paris)
D’Auguste Duméril père
Lille le 30 Mars 1842.
Ma chère amie,
Depuis une 15aine de jours, des préoccupations dont tu peux présumer la cause, nous ont empêchés de répondre à ta lettre si affectueuse du 19. Constant de Saint-Omer[1] était ici lors de la réception du panier que tu nous as adressé. Je le crois actuellement à Paris, ou sur le point d’y arriver, avec Zénaïde : ils te diront que tout ce qui composait ton envoi était dans le meilleur état de fraîcheur, et nous a beaucoup aidés à passer les grands jours sans éprouver de privations. Je te remercie aussi, ma bonne fille, de ton aimable attention.
Tu connais nos intentions, relativement à la fortune dont nous pouvons disposer en faveur de chacun de nos enfants : elles seront toujours invariables et, par cela même, le mariage de l’un d’eux peut et doit déterminer un supplément de dot, en faveur de celui que nous chérissons depuis plus longtemps.
Je me propose de faire, sous peu de jours, un voyage, dont la durée sera d’un mois environ, que je passerai, soit à Abbeville soit à Oisemont. A Oisemont, la situation de mon frère aîné[2] devient de plus en plus déplorable. Son imagination est toujours la même : il a la vue bonne, mais, sans secours, il ne peut même plus aller du lit à son fauteuil, et la chambre qu’il occupe, sans cheminée, n’offre pas même les dimensions du cabinet de ton mari.
Cet ordre de choses ne pouvait pas durer plus longtemps, et, à afin de le faire cesser aussitôt que possible, je me suis entendu avec ton oncle Montfleury[3] pour lui donner la jouissance de la maison qui nous a été léguée en commun par notre tante Basilice[4], et qui, à dater du 1er Avril, terme du bail actuel, se trouvera vacante : j’irai donc l’installer là, et y faire transporter mon vieux mobilier qui, depuis trois ans, pourrit dans une masure ou dans des granges.
A Abbeville, ou plutôt à Mareuil, village situé à une demi-lieue de la ville, j’aurai plus à faire encore pour une propriété qui provient de mon père[5], et que je lui ai achetée en Septembre 1818. Cette propriété appelée autrefois fief de Maïlfeu consiste en une véritable chaumière, avec cour, jardin, verger, pré, et prairie, le tout d’une contenance de 9 journaux, et loué 200F à charge des impositions et de l’entretien des bâtiments. Lors de mon dernier voyage à Oisemont, en novembre, j’ai visité cette propriété et l’ai trouvée dans un abandon total. La masure en est en ruine, les plus beaux arbres du jardin et du verger ont été abattus et enlevés : il existe cependant de la tourbe partout, en plus ou moins de profondeur. Dans les circonstances où je vais avoir besoin d’argent, je dois examiner ce qui sera le plus convenable à nos intérêts à venir, soit en faisant reconstruire et louer la maison, la maison ou de vendre la faculté de tourber, en conservant le fonds, soit de vendre la masse, sans aucune réserve.
Je ne pourrai pas écrire à Auguste aujourd’hui. Dis-lui, de notre part, que j’ai reçu sa lettre, son mémoire et sa thèse[6], que j’ai lus ou parcourus le tout, non pas seulement avec plaisir, mais avec un vif intérêt ; dis-lui aussi que le 2 ou le 3 Avril je ferai à ton frère[7], en passant par Arras, les communications qu’il désire.
Je ne partage pas l’opinion de ta maman[8] relativement à une correspondance particulière, qui pourrait être ouverte, entre deux personnes dont nous connaissons la franchise, la loyauté et la prudence ; seulement, au moins, quant à présent, peut-être, conviendrait-il, que les échanges de pensées ne fussent pas trop fréquents, et qu’ils parvinssent à leur destination par ton intermédiaire et sous mon couvert.
Adieu, ma chère Félicité, fais mes meilleures amitiés à mes deux neveux et à leurs père et mère[9]. Je me fais un vrai plaisir de vous voir incessamment tous venir ici. J’embrasse tes deux enfants[10] avec une tendresse presque égale à celle que j’ai vouée à leur mère.
P.S. M. Vincent m’avait prié d’annoncer à ton mari, ce que j’ai fait, qu’il allait se trouver sans emploi, par la suppression de la raffinerie de MM. Bernard Touzé et qu’il désirerait savoir s’il pouvait espérer d’être employé soit à Paris, soit à Nantes[11]. Ce paragraphe de ma lettre est resté sans réponse, et je désire en avoir une, telle quelle. L’incertitude est décourageante.
Notes
- ↑ Constant Duméril (1809-1877), fils de Florimond Duméril l’aîné, et époux de Zénaïde Loisel (1809-1857).
- ↑ Le frère aîné d’Auguste est Jean Charles Antoine dit Duméril, veuf.
- ↑ Florimond Duméril dit Montfleury (l’aîné).
- ↑ Basilice Duval, sœur de Rosalie Duval.
- ↑ François Jean Charles Duméril.
- ↑ Le 31 janvier 1842 Auguste Duméril a présenté à l'Académie des sciences un mémoire Sur le développement de la chaleur dans les oeufs des serpents, et sur l'influence attribuée à l'incubation de la mère (11 pages imprimées chez Bachelier, Paris) et il a soutenu sa thèse le 22 mars 1842 (le texte remanié de la thèse de doctorat paraît en 1846 : L'évolution du fœtus, imp. de Fain et Thunot, 164 p.).
- ↑ Charles Auguste Duméril.
- ↑ Alexandrine Cumont.
- ↑ Louis Daniel Constant, son frère Auguste et leurs parents André Marie Constant Duméril et Alphonsine Delaroche.
- ↑ Caroline et Léon.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril, époux de Félicité, est gérant, avec Constant Say, de la raffinerie dite de la Jamaïque à Paris. A Nantes, ce sont Gustave et Achille Say qui dirigent la raffinerie léguée par leur père Louis Say (décédé en 1840). La raffinerie de sucre Bernard se trouve à Marquette-lès-Lille, dans le « Clos de l'Abbaye ».
Notice bibliographique
D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, « Lettres relatives à notre mariage », p.121-124
Pour citer cette page
« Mercredi 30 mars 1842. Lettre d’Auguste Duméril l’aîné (Lille) à sa fille Félicité (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_30_mars_1842&oldid=61443 (accédée le 21 novembre 2024).
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