Jeudi 31 mars 1842
Lettre de Charles Auguste Duméril (Arras) à son cousin Auguste Duméril (Paris)
Rép. Le 2 avril 1842
de Charles Auguste Duméril.
Arras le 31 Mars 1842.
Depuis que j’ai reçu ta lettre, je suis à l’affût, mon cher ami, du jour où je puis y répondre, et je n’ai pas pu le faire plus tôt qu’à présent. J’ai été obligé de me mettre un jour au lit : j’étais resté quatre ou cinq heures les pieds dans un marais, ce jour-là même où il a fait si froid, et où il a gelé comme dans l’hiver : j’étais parti à 5 heures et ne suis revenu qu’à 2 heures de la nuit ; je me suis un peu ressenti de cette fatigue, et justement j’ai eu beaucoup à travailler ensuite. Il ne fallait pas moins que ces circonstances-là pour me faire tarder à te dire combien ta bonne lettre m’a rendu heureux. Félicité[1], qui est toujours un bon génie, m’avait écrit avant-hier, pour me parler un peu de mon retard ; je ne veux pas te faire mystère de cette lettre, parce qu’elle n’était pas du tout nécessaire pour m’ouvrir la bouche, et chaque soir, je faisais à Adine[2] mes doléances, craignant bien que tu ne fusses un peu étonné de ne rien recevoir de moi. Si tu trouves que tu m’as déjà fait quelques concessions, en voici encore une, que je réclame : c’est que tu n’estimes pas le désir que j’avais de t’écrire, par le temps que j’ai mis à le faire. A présent, mon cher ami, je ne veux plus rien dire de cette malheureuse lettre de Lille[3], qui a si mal tourné, et qui a failli amener entre nous un petit refroidissement. Je suis trop content que tu aies effacé les mauvaises traces qu’elle avait laissées, pour y revenir, mais je m’étais bien dit, d’ailleurs, qu’une amitié de douze ans ne pouvait pas ainsi s’en aller en quelques jours, quand l’avenir qui se présente, au contraire, d’une manière qui devait la resserrer encore davantage : malgré toutes ces réflexions, j’ai eu un bon poids de moins, quand j’ai reçu de ton écriture, car tu as bien dû comprendre que tes soupçons m’avaient blessé, si, comme tu l’admets, mes torts envers toi ont été involontaires, si j’en ai eus, je les oublie, et puisque tu fais de même, tout est remis sur l’ancien pied, dont il ne faudra plus jamais nous écarter, entends-tu ? Je suis bien sûr, moi, qui te connais si bien, et qui connais si bien Eugénie[4], que vous vous rendrez mutuellement heureux, et c’est un bonheur dont je jouirai autant que personne. Un jour ou l’autre, il est probable que je serai appelé à Paris : mes parents[5], n’ayant plus rien qui les retienne à Lille, se décideront sûrement à rejoindre leurs enfants : nous serons alors tous réunis ; il me semble que rien ne manquera plus alors à notre bonheur, et je me figure bien souvent la joie qu’éprouvera Félicité, de voir se réaliser un vœu qui a été celui de toute sa vie ; cette bonne sœur m’a appris que tu venais de soutenir ta thèse[6] et que tu y as eu beaucoup de succès : reçois-en, mon cher ami, mes compliments les mieux sentis. Cette bonne nouvelle aura fait aussi à papa le plus grand plaisir, et il n’aura sans doute pas tardé à te le témoigner. Nous sommes pour nous sans nouvelle de Lille, depuis que j’en suis revenu : cela tient sans doute à ce que papa veut nous annoncer son arrivée, qui sera prochaine : s’il donne suite à ses projets, il doit, dans le courant d’Avril, faire un voyage à Lille et nous en profiterons.
Je n’ai pas besoin de te dire toute la part qu’Adine a prise à nos préoccupations de ces derniers temps. Tu te rappelles ce souhait qu’elle t’a adressé le jour de l’an : il était d’heureux augure, n’est-il pas vrai, et il sera justifié par l’événement. J’espère bien que nous te verrons cet été, (à Lille) et il entre sans doute dans tes projets de faire quelques voyages à Lille. Je ne m’inscrirai pas cette fois en première ligne, sur ta liste de tournée, prenant pour moi la plus grosse part de ton temps, mais il faudra bien cependant que tu nous en donnes une partie raisonnable. Adine supporte toujours très bien sa grossesse, mais elle a depuis deux à trois jours une espèce de grippe que je lui ai, je crois, communiquée : elle a eu mal à la gorge et à la tête, et est restée, depuis lundi, ses matinées complètes au lit ; mais le mieux a toujours été en progressant, et il ne lui en reste aujourd’hui qu’une toux, qui la fatigue un peu, mais qui va diminuant.
Nous avons été la semaine dernière faire visite à Mme Duval[7], qui était venu voir Mme Hallette[8]. On attend sous peu Léonide[9], qui laissera cette fois sa fille à Alphonse Dupont : elle s’occupe maintenant d’avoir un second enfant, et nous allons sans doute la trouver un peu rondelette. Je crois que, sans mon inébranlable résolution de faire porter cette lettre aujourd’hui, elle n’aurait pu être prête pour le courrier, dont l’heure approche : il semble qu’on se donne le mot pour me retarder, et voilà plus de vingt fois qu’on m’interrompt dans mon entretien, comme tu pourras peut être t’en apercevoir ; mais je trouve qu’une lettre, même faite de pièces et morceaux, vaut toujours mieux que rien : au moment où j’en suis, on me prévient de la visite de M. Plichon[10] : je n’ai que le temps de fermer bien vite ma lettre, pour qu’elle parte aujourd’hui. Adieu, mon bien cher ami, nous t’envoyons, Adine et moi, ainsi qu’à tes entours, nos plus tendres amitiés.
Tout a toi
Notes
- ↑ Félicité Duméril, sœur de Charles Auguste et épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Alexandrine Brémontier, dite Adine, épouse de Charles Auguste Duméril.
- ↑ Lettre du 14 mars.
- ↑ Eugénie Duméril, sœur de Charles Auguste et fiancée d’Auguste.
- ↑ Auguste Duméril l’aîné et Alexandrine Cumont.
- ↑ Thèse soutenue le 22 mars 1842.
- ↑ Flore Maressal, épouse d’Augustin Duval.
- ↑ Émelie Bacqueville, épouse d'Alexis Hallette.
- ↑ Léonide Duval, épouse d’Alphonse Dupont, est la mère de Suzanne. Son fils Georges naît en 1842.
- ↑ Probablement Albert Joseph Hippolyte Plichon (1803-1887), né à Hesdin, qui exerce la médecine à Arras où il est également maire et conseiller général.
Notice bibliographique
D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, « Lettres relatives à notre mariage », p. 125-129
Pour citer cette page
« Jeudi 31 mars 1842. Lettre de Charles Auguste Duméril (Arras) à son cousin Auguste Duméril (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_31_mars_1842&oldid=60936 (accédée le 9 octobre 2024).
D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.