Mercredi 22 octobre 1879

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann), avec un ajout d’Aglaé Desnoyers-Milne-Edwards

original de la lettre 1879-10-22 pages 1-4.jpg original de la lettre 1879-10-22 pages 2-3.jpg


Paris 22 Octobre 1879.

C’est encore moi, Papa chéri, qui vient frapper à ta porte et te faire une petite visite ; je suis toute seule en ce moment : tante[1] et Émilie[2] ont été faire quelques courses pour marcher un peu, oncle[3] n’est pas encore rentré je puis donc être tout à toi et j’en profite car hier j’ai vraiment écrit sans savoir ce que je te disais ; d’abord cela a été la faute de Jean[4], puis les bonnes sœurs de la rue de l’Epée de Bois sont montées me voir et j’ai terminé mon épître au galop afin qu’elles puissent la jeter à la poste en s’en allant.
Depuis ce moment je crois que je n’ai pas recueilli la moindre petite nouvelle qui puisse t’intéresser, j’attends M. Gosselin[5] qui doit venir à la fin de la journée entre 5 et 6 heures, mais comme il n’est que 31/2 j’ai encore plus de temps qu’il ne m’en faudra pour t’écrire, lire de la Révolution[6] et passer une robe, car c’est aujourd’hui le jour de famille et comme il est probable que je n’aurai pas encore la permission de descendre on me fera je crois l’honneur de venir me trouver dans mon petit salon ce dont je suis très flattée et très heureuse. Ma jambe va toujours de mieux en mieux chaque jour je marche et je plie plus facilement et je crois que maintenant ce n’est plus que par excès de prudence que je reste étendue.

Nous sommes décidément en automne ; le brouillard paraît souvent le matin et dans la journée il tombe une petite pluie qui ne doit pas être bien agréable mais il ne fait pas froid et on ne songe pas à allumer du feu. Du reste il paraît que nous sommes encore bien privilégiés et quand on entend parler de ces terribles inondations d’Espagne on ne peut se plaindre de rien ; l’hiver s’annonce vraiment d’une bien triste manière : Mme Festugière[7] qui a fait cette année un long voyage dans les Pyrénées nous disait que de mémoire d’homme on ne se rappelait avoir vu l’été autant de neige sur les sommets que cette année et que si cela continuait quelque temps encore les Pyrénées finiraient par avoir leurs glaciers.

Je viens d’être agréablement surprise à l’instant par le retour de tante et d’Émilie qui pour aller plus vite ont été seulement jusqu’au Magasin de Cluny et viennent de rentrer ¾ d’heure plus tôt que je ne les attendais. Tante m’as aidée à me parer de ma robe écossaise et Émilie est en train de faire un petit bouquet de fleurs pour la table car c’est aujourd’hui la fête de M. Edwards[8], il a 79 ans.
Mon temps se passe parfaitement bien et je ne m’ennuie pas une seconde ; je lis de Thiers, je travaille à mon petit couvre-pied qui avance beaucoup, je bavarde sans cesse car je suis toujours entourée de gentille compagnie, enfin nous lisons tout haut Ivanhoé[9] que nous avions commencé en voyage et qui nous amuse énormément.
Émilie a écrit ce matin à Marie Berger et à tante Z.[10] combien tante a dû être fâchée de ne pas nous trouver si elle y comptait et vraiment si nous avions su cela nous aurions pu ne partir que le soir.

Adieu mon Père chéri, je t’embrasse bien vite car je veux réserver une petite place blanche pour te donner l’avis de M. Gosselin s’il arrive encore à temps avant l’heure de la grande poste, sinon on expédiera cette lettre telle quelle et tante t’écrira demain le résultat de la consultation.
Ta fille qui t’aime [énormément] Marie

Mon cher Charles, M. Gosselin sort d’ici, il vient de bien examiner la jambe de Marie et n’y voit pas grand chose, il voudrait qu’elle mît une genouillère [ ] à soutenir le genou.

Il permet qu’elle marche un peu dans l’appartement tant qu’elle ne boitera pas ; il pense qu’il pourrait y avoir un peu de rhumatisme au fond de cette affaire-là.
Il faut que cette lettre parte de suite, mais je tiens à vous donner immédiatement ces bonnes nouvelles.
Mille amitiés,
AME


Notes

  1. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  2. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  3. Alphonse Milne-Edwards.
  4. Jean Dumas.
  5. Le docteur Léon Gosselin.
  6. Histoire de la Révolution française, d’Adolphe Thiers, dont la 15e édition est parue en 1877.
  7. Cécile Target, veuve de Georges Jean Festugière.
  8. Henri Milne-Edwards.
  9. Ivanhoé, roman de Walter Scott (1819, paru en français dès 1820 et maintes fois réédité).
  10. Emilie Mertzdorff, sœur de Charles et épouse d’Edgar Zaepffel.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 22 octobre 1879. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann), avec un ajout d’Aglaé Desnoyers-Milne-Edwards », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_22_octobre_1879&oldid=35070 (accédée le 26 avril 2024).

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