Lundi 20 octobre 1879 (B)

De Une correspondance familiale

Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) avec un ajout de sa sœur Marie

original de la lettre 1879-10-20B pages 1-4.jpg original de la lettre 1879-10-20B pages 2-3.jpg


Paris 20 Octobre 1879

Enfin, mon papa chéri, Je puis venir t’embrasser et causer un peu avec toi ce dont j’ai envie depuis notre départ[1]. Hier et aujourd’hui je n’ai fait que ranger ; d’abord défaire les caisses et réintégrer tout leur contenu dans les armoires non pas sans y faire de nouveaux arrangements puis il a fallu ensuite substituer toutes les affaires d’hiver aux affaires d’été, remonter ces dernières dans les caisses du grenier tandis qu’on descendait les premières. Aussi tante[2] et moi avons-nous passé toute notre journée au grenier, il est maintenant 2 heures et dans quelques minutes oncle va venir me chercher et m'abandonnera chez Mme Arnould[3] tandis qu’il ira à l’Institut. Cette pauvre Marie aurait bien voulu m’accompagner, mais néanmoins elle en prend courageusement son parti. On la tient toujours dans l’immobilité la plus grande et son seul voyage est d’aller, en voiture ou plutôt en tapis, de sa chambre au petit salon. Tout à l’heure elle vient de se lever et a déclaré qu’elle n’avait pas mal du tout en marchant, elle a même plié un peu le genou sans douleur, mais tante a bien vite arrêté l’expérience et l’a forcée de nouveau à s’étendre malgré toute l’envie qu’elle avait de remuer. M. Gosselin[4] doit venir demain entre 1h et 2 et on saura enfin d’une manière positive ce qu’est son mal et s’il est indispensable de la tenir immobile. Si sa jambe est tranquille, ses mains et son esprit du moins ne le sont pas : elle écrit en ce moment à bonne-maman Desnoyers[5], elle a fait des comptes, elle a lu et bavardé de manière à prouver qu’elle n’engendrait pas la mélancolie.

Marthe[6] a passé hier une partie de la journée avec nous ; elle est pleine d’ardeur pour son cours d’examen, elle avait même apporté un problème sur lequel elle voulait me consulter, et moi, confiante dans mon titre d’institutrice j’ai commencé bravement à le lui expliquer ; mais la maîtresse a été bientôt collée comme son élève ; dans la soirée elle a renouvelé ses efforts pour trouver la solution mais… enfin jetons un voile sur la conclusion, ce sera plus prudent pour la réputation de l’institutrice.
Il paraît que l’appétit de Marthe a un peu diminué, mais ses couleurs et ses joues ne s’en sont pas ressenties, elle est toujours dans l’enthousiasme de son voyage et, comme dit bonne-maman Trézel[7], « ravie et ravissante ».

Marie a dû te mettre bien au courant de la manière dont le voyage s’est effectué, sans aucune fatigue pour elle, car elle a été parfaitement installée sur une banquette. Les délicieuses tartines faites par bonne-maman[8] ont constitué notre dîner et le souper de tante et de Marie tandis qu’oncle et moi allions manger au buffet des épinards identiques à ceux qu’on nous a servis il y a dix ans et qui, je ne sais pour quelle cause, me sont toujours restés dans la mémoire. Oncle prétend qu’on en avait fait alors une bonne provision.

Adieu mon père chéri, je t’embrasse de tout mon cœur, oncle est là pour me mener chez Paulette[9]. Marie meurt d’envie de grouiller.
Émilie

Je profite de cette petite place blanche que laisse Émilie pour venir à mon tour t’embrasser, mon petit Père chéri, et te dire que je suis bien souvent avec toi par la pensée. Comme ma sœur vient de te le dire je vais infiniment mieux, presque tout à fait bien et je commence même à trouver ridicule qu’on dérange M. Gosselin pour une jambe qui va vraiment bien, je crois qu’il va nous rire au nez, mais en attendant je ne bouge pas sans permission.   

On attend ma lettre pour la poste je n’ai donc que le temps que de t’envoyer avec ces excellentes nouvelles de ma petite personne une foule d’amitiés et de baisers dont tu garderas pour toi la plus grosse part et tu distribueras le reste autour de toi.   
M.


Notes

  1. Emilie et sa sœur Marie Mertzdorff rentrent d’un séjour chez leur père à Vieux-Thann.
  2. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (« oncle »).
  3. Paule Baltard, épouse d’Edmond Arnould.
  4. Le docteur Léon Gosselin.
  5. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  6. Marthe Pavet de Courteille.
  7. Auguste Maxence Lemire, veuve de Camille Alphonse Trézel.
  8. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  9. Paule Arnould.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 20 octobre 1879 (B). Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) avec un ajout de sa sœur Marie », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_20_octobre_1879_(B)&oldid=40372 (accédée le 28 mars 2024).

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