Mercredi 20 juillet 1870 (B)
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé)
Amie aimée
Je viens te conter ma journée d'hier quoique je sache que Georges[1] va t'écrire demain. Je l'ai prié de le faire lui disant que je ne t'écrirai pas. Mais lorsqu'on est loin mieux deux lettres qu'une. Et il te dira peut-être choses auxquelles je ne pense pas
J'étais à Mulhouse accompagné de Ruot[2] en coupé. Entrant en ville, j'ai trouvé dans les rues Mme Stoecklin[3] avec grande & petite filles, ces demoiselles ont couru après la voiture pour m'inviter à aller dîner avec elles. Je suis naturellement descendu, me suis empressé de saluer & remercier la Maman. J'avais promis hier à Paul & devais refuser. Mme Galland va mieux, Anna[4] a une mine merveilleuse qu'elle a apportée des Vosges où elle a passé quelques mois je crois.
J'ai trouvé Mme Paul peu rassurée & très peu en train. c'est un enfant & un pas mal gâté.
Chez Schlumberger banquier, j'ai trouvé un désarroi complet. tout le monde réclame de l'argent. il ne sait où donner de la tête. & refuse généralement. Pour moi il a fait exception & je pense obtenir de lui ce que je voulais.
En Suisse il y a une crise monétaire, ces Messieurs ont dans le temps envoyé tout leur argent en Amérique. Aujourd'hui qu'ils ont du mal à en obtenir de la France, ils sont dans la plus grande gêne.
Aussi l'un des banquiers de Bâle ne me donnera que 1/2 de ce que je lui demande. L'autre n'a pas encore répondu.
Si tout va comme je l'espère je compte pouvoir disposer pour Nogent de 150 m F. Tu vois que tout le monde fait comme moi. Pour peu que cela dure je disposerai davantage.
Malheureusement je n'étais pas ici & cette absence augmente mes difficultés. L'on ne saurait quitter impunément ; tu t'en doutes un peu & me pardonnes lorsque je me fais tant tirer l'oreille lorsqu'il s'agit de s'absenter.
Mais assez de ces questions financières, je n'ai pas encore réponse & ne puis l'avoir de M Cousin Dugué[5] – lui n'acceptant pas je me retrouverai de nouveau dans l'embarras. La bourse a été une conférence pour le secours des blessés. à Mulhouse déjà l'on a organisé un service de buffet pour les militaires allant vers le nord du Midi, ils ont à discrétion un bon mélange Eau & Vin, pain viande tabac etc. etc. Et l'on dit qu'il y en a qui en ont bien besoin. A Mulhouse l'enthousiasme pour la guerre n'est pas extrême & les malheureux jeunes gens qui vont rejoindre leur régiment ne sont pas tous gais.
Pas de nouvelles du théâtre de la guerre, l'on dit que pas un coup de fusil n'a encore été tiré. Des 2 frontières les démonstrations ne manquent pas. Mais une rive du rhin comme l'autre la frayeur est sur bien des visages. La rentrée précipitée de tous les étrangers de l'Allemagne & Suisse se fait par Bâle & Mulhouse en masse. Impossible de trouver un lit à Bâle, plus d'une famille a passé sa nuit sur le pont & dans la rue. Émilie[6] écrit que le Collège à Colmar va se fermer Samedi Georges attend à faire chercher Jules[7]. Elle dit que le mouvement de Colmar par l'arrivée de tous les militaires est indescriptible, elle ne parle pas encore de ma lettre.
Il n'est pas encore question de garde mobile mais les jeunes gens s'y préparent. L'on parle de camps le long du Rhin pour la mobile. Mais rien d'officiel.
Ce soir j'ai prié Nanette[8] de venir dans la salle à manger. Voici comment j'ai établi le ménage. Le pot-au-feu tous les 2 ou 3 jours. A midi potage, bœuf, légume & viande. le soir thé viande froide de midi & s'il y a un peu de légumes du dîner. Autrement salade & rien de plus, qu'il y ait ou non du monde.
J'attends Léon[9] pour demain ou Vendredi.
M. A. Duméril[10] a quelques bons jours.
Mercredi soir 9h.
Voilà ma chérie toutes mes actions & toutes mes nouvelles. J'oubliais de dire que j'ai acheté un grand sac de nuit de voyage. Tu voudras bien donner de bons becs aux fillettes[11], que je suis heureux de savoir qu'elles sont bien sages & qu'elles aiment bien la petite maman. quant à moi je pense bien les embrasser <bientôt>
tout à toi ma chérie
Charles Mertzdorff
Comme le courrier < > m'a porté réponse à ma demande M. Jaeglé <&> fait atteler pour me rejoindre à la bourse. J'étais bien émotionné & effrayé lorsque je l'ai aperçu, heureusement bien à tort.
L'on s'attend à quelques faillites. C'est toujours ces moments qui précipitent les commerçants malades. En ce moment ici c'est un sauve-qui-peut.
*
Ma chère Nie[12] je viens de recevoir ta bonne lettre qui me dit que tout mon monde chéri va bien.
J’étais fatigué hier soir, aussi ce matin ai-je eu de la peine à me réveiller ; je ne me suis levé qu’à 7 h & ½ ce qui n’est pas bien. J’étais au déjeuner lorsque Georges m’a apporté ta lettre. Je n’ai pas trouvé le temps de voir le potager, mais Thérèse[13] a envoyé à Morschwiller un melon de toute beauté un peu plus grand que celui mangé à Paris chez maman[14] que nous admirons. Si tout est à l’avenant c’est bien. J’ai envoyé quelques poires aux <dits> le reste avec quelques prunes a été adressé à l’orphelinat.
Il fait une chaleur excessive ; mais il y a peu de malades.
Notes
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Henri Ruot.
- ↑ Élisa Heuchel, épouse de Jean Stoecklin avec sa fille Anne Stoecklin et sa petite-fille Jeanne Heuchel.
- ↑ Possiblement Anne Stoecklin.
- ↑ Probablement Charles Dugué.
- ↑ Émilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
- ↑ Jules Heuchel, petit-fils de Georges.
- ↑ Annette, domestique chez les Mertzdorff.
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Auguste Duméril.
- ↑ Marie et Émilie Mertzdorff.
- ↑ Le paragraphe qui suit est sur un feuillet volant, non daté. On peut le rattacher à la lettre qui précède.
- ↑ Thérèse Neeff, employée de maison.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers, chez qui les Mertzdorff se sont arrêtés en juin.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mercredi 20 juillet 1870 (B). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_20_juillet_1870_(B)&oldid=61859 (accédée le 21 novembre 2024).
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