Mercredi 10 mars 1915

De Une correspondance familiale


Lettre de Guy de Place (Besançon) à Jacques Meng (Fellering)


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Reçu le 14/3
Répondu le 22/3
[par M. Mura
et par lettre du 17/3] [  ]
[M. Zw[1]] [  ]

Besançon, le[2] 10. 3

Mon cher Monsieur Meng

J’attendais ce soir M. Duméril[3] qui venait [conférer] avec M. Zwingelstein. A sa place, je reçois une dépêche me disant qu’il est mort hier soir. C’est une perte irréparable. J’en suis trop bouleversé pour pouvoir répondre à votre longue lettre dont je vous remercie. Je veux seulement vous donner quelques indications me réservant de revenir plus tard sur certains points.

Pour ce qui vous regarde personnellement :

Auguste[4], lui donner les 3/4 2/3 de son salaire normal jusqu’à nouvel ordre, à moins que M. Zwingelstein ne lui trouve du travail, auquel cas on ne lui donnerait plus que 25 francs.
60 Marcs payé

La cuisinière, continuer à payer le salaire plus environ 10F par mois pour son loyer
soit 36 M plus 8 = 44 à payer

Femme Uttenweiler[5], réduire à 25 francs, la commune doit fournir le reste puisque le mari est mobilisé en Allemagne.

Les sœurs (sœur Morandine[6]) lui continuer cent marcs par mois, mais supprimer ce qu’on donnait pour les Bonnes.

Forster et la femme Brandt, donner à chacun 15 Marcs par mois, la commune pourvoira au reste.

Donner gratuitement à sœur Morandine tout ce qu’elle demandera (vin, charbon, etc.) dont elle pourrait avoir besoin pour son usage particulier.

Donner à Wesserling tout ce qu’ils pourraient demander en fait de fécule (prix à débattre), de même pour toutes les marchandises périssables qu’on pourrait vous demander à acheter. Ça vaut mieux que de les laisser brûler. M. Zwingelstein a un certain nombre d’instructions de détail qu’il aura à exécuter.

J’arrive à la question plus épineuse des paiements de salaires ou traitements. En réalité nous n’avons plus aucun salaire ou traitement à payer, du moins à ceux qui, par suite des circonstances ou par mauvaise volonté ne nous rendent aucun service. C’est le premier principe qu’il ne faut pas perdre de vue. Ce que nous voulons, c’est dans la mesure de nos moyens empêcher la misère dans une population à laquelle nous nous intéressons.

D’autre part la destruction de la fabrique crée une situation nouvelle en posant la question de l’avenir. Notre usine constituait vis-à-vis des Banquiers un gage qui n’existe plus. Nos titres dont la valeur après la guerre sera réduite d’au moins un tiers constituent à peine la contrepartie de nos dettes actuelles (comptes courants, etc.). Nous vivons donc actuellement sur un crédit purement moral qui nous oblige à être très économes de nos deniers, et cela dans l’intérêt même de l’avenir, afin de pouvoir prolonger les secours plus longtemps aux plus nécessiteux et pouvoir supporter la période terrible de transition qui suivra la guerre. Il m’est impossible d’envisager tous les cas particuliers qui peuvent se présenter. Je ne puis vous donner que des directives générales : je vois d’ailleurs que vous êtes de vous-même entré dans la voie prudente où nous devons nous engager, quoi quelque regret que nous puissions en avoir. Il est certain que tous ceux qui continuent à [s’imposer] pour nous et nous rendent des services doivent être traités avec une faveur spéciale. Car contre tout employé qui par mauvaise volonté, en opposant un refus formel ou la force d’inertie, se refuse à rendre les services qu’on lui demande ne mérite plus aucun intérêt : J’ai appris avec regret que J. Burgunder et Siegel par exemple ne vous ont pas fourni l’appui que vous étiez en droit d’attendre et qu’on leur a demandé. Vous verrez dans chaque cas particulier à quel minimum il faut réduire le secours. De même un employé qui a trouvé à s’employer ailleurs doit supporter une réduction de son traitement de beaucoup supérieure à la moitié : c’est le cas de Robert Harmann. Quant aux autres pour le Moment et jusqu’à nouvel ordre continuez comme maintenant, en tenant compte toutefois des secours donnés par l’administration.

Il me semble toutefois que ceux qui ont de gros traitements [dépassant] [ ] 200 Marcs, il ne faudrait en aucun cas qu’ils touchent plus de 80 à 100 Marcs. A vous de fixer le chiffre, si un employé est évacué, sa femme doit toucher une indemnité : exemple la femme de Lucien. En outre Lucien touche un traitement en France. Il serait tout à fait exagéré de donner même cent Marcs à sa femme.

Tout cela à titre d’exemple seulement.

Quant aux ouvriers, ligne de conduite analogue à tenir. L’administration a souvent besoin d’ouvriers. Il faudrait tâcher de lui servir en quelque sorte de bureau de recrutement ouvrier. Au besoin y consacrer un employé spécial. On pourrait ainsi faire travailler à tour de rôle nos hommes, ce qui diminuerait d’autant les secours à donner, et d’autre part il faut éviter qu’ils prennent l’habitude de ne rien faire, en préférant ne toucher qu’un petit secours, tout en ne travaillant pas. Tout ouvrier qui refuserait d’aller au travail commandé devrait être rayé complètement de la liste de secours. Rappelez-vous en outre toujours qu’il faut éviter les doubles emplois. Exemple si une famille touche 10 Marcs parce qu’elle a plusieurs enfants, il ne faut pas que l’un de ces enfants touche encore un secours spécial : ainsi, d’après votre liste une famille comprenant 2 enfants toucherait 10 Marcs, mais si l’un des enfants travaille et touche déjà par exemple 2 Marcs, il ne faut plus considérer la famille que comme ayant un enfant. J’ai donné à Zwingelstein quelques exemples de ce genre. Il vous sera évidemment possible dans certains cas d’avoir à prendre une décision.

Je vous engage à traiter toutes ces questions d’accord avec M. Zwingelstein et à prendre la résolution avec lui : de la sorte on est plus sûr de ne pas se tromper et une commission est toujours moins exposée à la petite rancune qui pourrait en résulter qu’un individu isolé.

Avant de vous en écrire j’ai entretenu de la question M. Parmentier qui m’a écrit en résumé que les allocations données par le gouvernement et aux mobilisés français et aux Landsturm[7] [maris] évacués sont amplement suffisantes pour faire vivre leurs familles et que les secours gracieux que nous donnons doivent être réservés à ceux qui ne reçoivent rien de l’administration.

C’est donc dans ce sens là que vous devez marcher qu’il s’agisse d’employés ou ouvriers (à part ceux qui travaillent). Vous et Zwingelstein restez bien entendu [  ] juges de toutes les exceptions à faire à cette ligne de conduite pour tous les cas spéciaux.

J’aurai l’occasion d’entretenir de tout cela les membres restant de notre conseil, et des instructions [ ] vous seront données pour l’avenir.

Zwingelstein vous expliquera pour les gens des villages qui jusqu’ici n’ont rien touché, ma manière de voir. (ne pas payer d’arriéré).

Veuillez aussi lui rembourser les frais de voyage dont il vous donnera l’indication et que je n’ai pas payés.

Votre compte chez Sarrazin ne concorde pas avec ce que ces Messieurs m’ont écrit.

M. Zwingelstein m’enverra Auguste Gr.[8] et Mura (les faire voyager en seconde) m’apporter des objets précieux.

A la hâte je vous envoie mes sentiments très cordiaux. Mon souvenir à Mme Meng[9] et à tous les nôtres.

G.P.


Notes

  1. Charles Zwingelstein.
  2. Papier à en-tête de l’hôtel : Grand Hôtel de l’Europe de la Poste/ Attenant au nouvel Hôtel des Postes/ Gustave Point, Propriétaire/ 11,13,15, Rue de la République (Anciennement Rue St-Pierre)/ Adresse télégraphique : Point-Besançon/ Téléphone 1 . 66/ Chauffage Central - Electricité dans toutes les Chambres - Salle de Bains / Estaminet - Grand Jardin - Auto-Garage Fermé.
  3. Georges Duméril.
  4. Possiblement Auguste Gribling.
  5. Marie Joséphine Stucker épouse de François Joseph Uttenweiler.
  6. Sœur Morandine : Thérèse Litzer.
  7. Landsturm, comparable à la réserve territoriale des Français, regroupe les hommes de 38 à 45 ans.
  8. Auguste Gribling.
  9. Marie Gayot, épouse de Jacques Meng.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 10 mars 1915. Lettre de Guy de Place (Besançon) à Jacques Meng (Fellering) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_10_mars_1915&oldid=59637 (accédée le 21 novembre 2024).

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