Mardi 28 avril 1874

De Une correspondance familiale

Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Emilie Mertzdorff (Paris)


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Vieux-thann le 28 Avril 74[1]

Ma chère enfant chérie chérie

Je suis de nouveau très en retard avec ma correspondance & j'ai besoin de beaucoup d'indulgence ; mais comme toi ma chère Emilie il y a toujours quelque empêchement qui font remettre le plaisir de se causer.

Depuis que je vous ai écrit rien de bien particulier ne s'est passé ici. Dimanche nous étions assez nombreux à table, les Duméril[2] & les Paul[3]. Mais le nombre n'effraye pas Nanette[4] & elle nous a donné un bon dîner. Bonne-maman va tout à fait bien & ne se ressent plus dit-elle de son indisposition passée, je n'ai pas encore été à Morschwiller, je n'y ai par le fait plus grand chose à voir dans l'usine qui marche assez bien pour ce qu'on y fait ; mais demain Mercredi je pense y aller & rentrer par la Bourse de Mulhouse.

J'ai trouvé M. & Mme Paul très changés & vieillis, je ne sais pas encore bien ce qu'ils vont faire maintenant, vont-ils continuer à donner suite à leur projet de s'installer près de leurs enfants[5] ou vont-ils se décider à rester au moulin que je leur ai offert & que j'aimerais bien voir habité. Pendant tout le temps qu'ils ont été ici je n'ai pas trouvé un moment seul pour entamer ce chapitre.

Hier Léon[6] était de noce[7] à Morschwiller chez un des employés de l'usine.

Hier notre voiture a eu l'honneur de conduire une noce à Thann & aujourd'hui le jeune maître maçon[8] qui a fait mon étendage & la maison d'école qui se marie & encore là Vogt[9] est de service.

Il est vrai que le temps est si beau que l'on a raison d'en profiter.

Le Jardin est toujours très beau quoique les arbres fruitiers ayant défleuri mais le Jardinier[10] est occupé à sortir les plantes de serre, ce qui est plus tôt qu'à l'ordinaire, ce qui orne déjà un peu

Mon oncle[11] a fait faire une trappe pour la destruction du chat & d'autres pièges pour les martres qui sont trop nombreuses pour les pauvres petits oiseaux qui sont assez nombreux au Jardin.

La grande nouvelle du Jour Thannois c'est le départ de la garnison Prussienne qui doit aller à Neuf-Brisach.

Encore Lundi dernier il y a eu une affaire désagréable chez Minery il a fallu l'intervention d'officiers, aussi l'on me dit à l'instant que les ouvriers demandent à rester à la maison Jeudi, jour de départ pour fêter cet heureux Jour. Mais nous garderons bien de donner cette permission, nous pouvons nous réjouir après le départ pour éviter les disputes inévitables.

Mais voilà que l'on a fait prévenir par gendarmes que tous ceux qui ont opté doivent quitter le pays avant un mois ou contre opter pour l'Alsace & non plus comme avant pour l'Allemagne, la plupart le feront pour pouvoir rester dans leur pays.

L'on assure que plus tard le tour des parents qui ont leurs fils en France qui vont être tourmentés par des amendes & peut-être plus.

Le pays est toujours bien triste comme tu vois, cependant voilà les Kilben[12] qui recommencent ce sont les Prussiens qui forcent de permettre les danses tout en interdisant aux soldats d'aller sur la place de danse. C'est Steinbach qui a commencé Dimanche & il y avait malheureusement beaucoup de monde.

M. & Mme Berger de Lauw[13] sont de retour, ils étaient ici dimanche mais je ne les ai pas vus. c'est M. Louis Berger qui me l'a appris hier à une visite qu'il m'a faite.

Il est midi passé, c'est ma faute j'ai commencé trop tard & me vois forcé de terminer bien à la hâte, vous embrassant tous & toi en particulier de tout mon cœur, comme je t'aime

ton père Charles Mff


Notes

  1. Lettre sur papier deuil.
  2. Félicité Duméril (« bonne-maman ») et son époux Louis Daniel Constant Duméril, leur fils Léon Duméril et leur neveu Georges Duméril.
  3. Paul Nicolas et son épouse Stéphanie Duval.
  4. Annette, cuisinière chez Charles Mertzdorff.
  5. La famille Laroze.
  6. Léon Duméril.
  7. Probablement la fête suivant le mariage, célébré le 5 avril 1874 à Morschwiller, de Martin Schwerber, ouvrier de fabrique, et d’Emilie Richard, tous deux natifs de Morschwiller et enfants d’ouvriers de fabrique.
  8. Emile Egender.
  9. Ignace Vogt, cocher de Charles Mertzdorff.
  10. Hypothèse : Édouard Canus.
  11. Georges Heuchel.
  12. La Kilbe est la fête villageoise et familiale par excellence de l’Alsace ; c’est un moment de musique (essentiellement orchestrale) et de danse.
  13. Léonce Berger et son épouse Julie André.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Mardi 28 avril 1874. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Emilie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_28_avril_1874&oldid=60319 (accédée le 27 avril 2024).

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