Mardi 27 juin 1871 (A)
Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Montmorency 27 Juin[1]
Mardi 2h
Mon cher Charles,
Une bonne surprise m'attendait hier à mon retour de Paris ; une lettre de toi que mes deux chéries[2] m'ont apportée en triomphe. C'est la seule et unique que nous ayons reçue jusqu'à présent, elle a été mise à la poste Samedi 24 à Thann ; et je connais assez ton exactitude à nous écrire pour être sûre que ce n'est pas la première lettre que tu nous écrivais. Il en est probablement de même des causeries que nous t'adressons chaque jour ; cette lettre est la 6e qui va partir à ton adresse et qui est chargée, comme les précédentes, de te porter nos tendresses, de te dire que nous allons bien, (Emilie un peu enrhumée, mais ce n'est rien) que Maman[3] jouit bien de nous avoir autour d'elle, que les fillettes s'amusent bien du jardin, arrachant les herbes, soignant les lapins, &.
La journée est belle, nous avons pu coudre dans le jardin avant le déjeuner ; papa[4] est parti de bonne heure pour Paris, sans que nous l'ayons vu, nous avons fait les paresseuses ; Marie et moi sommes allées à la messe à 9h puis on a travaillé, et depuis le déjeuner on transporte de l'herbe, les enfants y mettent un intérêt qui me fait plaisir en raison de l'exercice que cela leur fait prendre.
En mon absence nos fillettes se sont chargées de t'écrire, à moi maintenant de te rendre compte de ma journée, mon maître.
9h ½ Aglaé[5], Alfred[6], petit Jean[7] et moi sommes descendus de notre pied léger à Enghien ;
10 ½ bon voyage jusqu'à Paris. Nous prenons l'omnibus de suite, et après une petite course rue du Cardinal le Lemoine je vais au quai de Béthune où j'ai la chance de rencontrer Mme Auguste[8] qui a été bien aimable. Nous avons pu terminer ensemble les petits comptes relatifs aux boiseries, planches qu'elle cède à mes parents. Nous nous sommes rendues ensemble au n° 13 rue Cuvier[9], pendant une bonne averse, là nous avons parcouru la maison dans tous les sens, ce n'était ni gai ni amusant, mais Mme Auguste a su arranger cela pour le mieux pour chacun, et je pense que Jeudi on pourra avoir une voiture pour le transport de toutes ces planches qui viendront remplacer une partie de celles dont les Prussiens se sont servis pour se chauffer.
1h. Je vais chez M. Edwards[10], Aglaé m'attendait après une petite visite à Mme Dumas[11], nous sommes allées par l'omnibus à Ivry rendre une petite visite à notre cher Julien[12] dans sa triste demeure ; comme toi nous avons bien pleuré en face de cette chère tombe qui renferme un être si parfait et dont la vie paraissait devoir donner tant de joie à ceux qui se croyaient destinés à vivre avec lui ! Dieu ne l'a point voulu. Que de douleurs, de regrets, de misères dans ce triste champ des morts !...
A 3h ½ (toujours par l'omnibus) nous étions au centre de Paris, mais il ne nous restait plus beaucoup de temps avant l'heure du chemin de fer, je n'ai pu faire que peu de choses : chaussures, chapeaux, prendre l'heure de M. Gosselin[13] et regagner le chemin du Nord ; à 7h j'étais rentrée à Montmorency, où mes chéries m'attendaient avec impatience, on m'a dit qu'elles avaient été bien sages et t'ont écrit une longue lettre.
Voici encore la pluie, le soleil reparaît de nouveau, comment allez-vous faire avec les foins ?
4 à 5 mille pièces par jour, c'est trop de bien ; ça effraye, ça ne va pas durer, seulement je voudrais pouvoir être avec toi pendant ces temps de double préoccupation ; mais en attendant, maman me charge de te dire qu'elle te remercie bien de lui laisser ton bien en ce moment. Je trouve maman très bien, mieux qu'il y a 2 ans malgré sa douleur.
Pour la femme Diringer[14], l'enfant sera beaucoup mieux à l'orphelinat, car il est souvent seul et c'est sur quoi je lui avais fait beaucoup de recommandations ainsi qu'à la femme Winiger qui devait chercher un logement plus près de sa sœur. Tu pourras faire dire qu'on continue en Juillet les bons que j'ai faits pour Juin, sauf ce que tu jugeras à supprimer ou à ajouter ; on peut de les rapporter de la boucherie et de chez le boulanger.
Ma tante Target[15] doit arriver cette semaine à Paris, elle viendra à Montmorency ainsi que Victorine[16] ; les nouvelles politiques sont hors saison, si on veut s'amuser à lire nos lettres ! eh bien on verra que ta femme t'aime bien et qu'elle t'embrasse bien fort ainsi que tes petites filles
toute à toi
Eugénie Mertzdorff
Bien des amitiés à bonne-maman Duméril[17].
Je devine que tu as fait bon voyage.
Merci pour ta bonne lettre.
Cécile[18] fait dire bien des choses à Nanette et à Thérèse[19].
Notes
- ↑ Lettre sur papier deuil.
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Jules Desnoyers.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Alfred Desnoyers.
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril.
- ↑ Au Jardin desplantes.
- ↑ Henri Milne-Edwards.
- ↑ Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ Julien Desnoyers (tué au fort d’Issy en janvier 1871).
- ↑ Léon Gosselin, chirurgien.
- ↑ Marie Madeleine Heimburger, veuve de Jean Chrysostome Diringer.
- ↑ Eléonore Pauline Lebret du Désert, veuve de Louis Ange Guy Target.
- ↑ Victorine Duvergier de Hauranne, épouse de Paul Louis Target.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
- ↑ Annette et Thérèse Neeff, domestiques chez les Mertzdorff.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mardi 27 juin 1871 (A). Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_27_juin_1871_(A)&oldid=40914 (accédée le 23 décembre 2024).
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