Mardi 23 août 1842

De Une correspondance familiale


Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à son fils Auguste Duméril (Arras)



de Mme Constant Duméril mère

23 Août 1842.

Combien je te remercie, mon cher Auguste, des deux bonnes lettres que j’ai reçues de toi, hier et aujourd’hui, tu es un aimable fils, auquel je pense beaucoup, je t’assure, et ce matin je me demande comment les choses se sont passées, se passent, et se passeront ; comme Adine[1], j’espère que c’est bien : l’air de bonté de ta physionomie, ton air franc et ouvert, les manières comme il faut, que tu as en partage : j’espère que tout cela, joint au ton plein de respect et affectueux, que tu auras avec ta tante[2] ; j’espère, dis-je, que tout cela ranimera son amitié pour toi et fera un grand changement dans les pensées qui la travaillent, depuis quelque temps, et lui fera voir, d’une manière plus frappante, le bonheur qu’elle peut espérer pour sa fille[3]. Si on pouvait lui parler de moi, relativement au mariage auquel tu tiens tant ; on lui dirait que la belle-mère qu’acquerrait sa fille en t’épousant serait une mère tendre, mais vivement pénétrée de la réserve qu’elle doit mettre dans ces liens-là, et d’autant plus, que l’on vivrait ensemble : oh ! sur ce point, je sens parfaitement la fermeté de volonté que j’aurai en partage, et le désir ardent qui m’animera de n’être jamais la cause de la moindre contrariété qui vienne faire une ombre à votre bonheur. Je jouirai pleinement de ce bonheur, et le mien sera bien grand, par la tendresse de ma fille. Je parle de ce bonheur avec connaissance de cause : depuis sept ans, j’ai une fille[4], qui me montre une de ces tendresses si délicieuses au cœur d’une mère.

Nous sommes sans lettres de Lille depuis jeudi, ce qui manque excessivement à Constant, qui espère pourtant qu’il va en arriver une, aujourd’hui : nous nous demandons si ce serait quelques nouveaux orages qui auraient ôté le temps à ta sœur d’écrire (il faut bien espérer que non) ou si, tout simplement, ses moments auront été pris par des sorties obligées ou des visites. Je pense avec plaisir que tu as à revoir les enfants[5] : fais-leur bien des caresses pour moi, je te prie.

Notre journée de dimanche s’est bien passée : le temps n’était pas d’une chaleur fatigante. On nous a reçus avec cette amitié aimable que nous trouvons toujours dans cette famille[6].

C’était un grand plaisir pour nous de trouver là Mme de Tarlé[7], qui était bien mieux, mais pas encore tout à fait dans son assiette naturelle ; nous avons eu à dîner Clémentine[8], toujours bonne et aimable ; on a parlé de toi, on te regrettait et on m’a chargée de t’envoyer mille compliments.

Mme de Tarlé revient en ville ce soir, ainsi tu comprends que malgré mon envie de n’avoir pas un chat à dîner, jusqu’à dimanche, j’ai dû lui proposer de venir dîner avec nous jeudi, ce qu’elle a accepté avec plaisir ; il est convenu que nous ne serions que cinq ; je désire que le soir il nous vienne quelques visites. Moi, je continue à labourer pas mal, pour terminer bien des petites choses cette semaine.

Nous avons eu, hier au soir, une petite visite de Bibron et de sa femme, qui est bien remise de son indisposition. Nous leur avons présenté bien des choses de ta part, comme tu nous l’as recommandé : ton papa[9] n’a pas été fâché qu’ils ne restassent pas jusqu’à l’heure du thé, car il était excessivement fatigué, et s’est couché dès qu’ils ont été partis. Voilà la vie de ton père hier : à sept et quart, sans avoir pris même un peu de café sans pain (il dit qu’il n’avait pas faim du tout), il est allé au chemin de fer de Versailles, avec son cabriolet, et en prenant en passant M. Soubeiran. Arrivés-là, où ils ont trouvé les autres messieurs, ils se sont mis tout de suite à leurs visites de pharmacie, jusqu’à une heure : alors, ton père a repris le chemin de fer : note bien que pendant ce temps-là il n’a pas pris la moindre des choses : de retour à Paris, il est entré dans un café pour prendre un verre d’eau sucrée, puis il est allé en omnibus dans le quartier Poissonnière : alors, à deux heures et demie, il a fait un petit déjeuner à la fourchette : il est allé à la maison de santé, et de là, à l’Institut, puis ici, vers 6 heures, et pendant qu’il se trémoussait, à pied et en omnibus, M. de Jacquemont se promenait et est rentré pour trouver son dîner cuit à point.

Ton père avait le teint rouge brun, et la figure extrêmement fatiguée, et voilà qu’après dîner, il a fallu qu’il allât dans le faubourg St Germain pour Mme Sellier, la fille de Mme de Gisors.

Voilà un long récit qui m’a pris toute ma place : je ne peux plus que te dire d’abord, que ton papa a bien dormi et est bien aujourd’hui, et puis, pour te recommander de faire nos amitiés bien tendres à chacun, y compris Auguste[10] bien entendu. Je te remercie extrêmement pour le pain d’épices que tu nous annonces.

Je t’embrasse, mon cher enfant, en mère tendre et bien dévouée. Tu as les vives amitiés de ton père et de frère.


Notes

  1. Alexandrine Brémontier, dite Adine, épouse de Charles Auguste Duméril.
  2. Alexandrine Cumont, épouse d’Auguste Duméril l’aîné.
  3. Eugénie Duméril, cousine et fiancée d’Auguste.
  4. Félicité, épouse de Louis Daniel Constant Duméril, séjourne alors chez ses parents à Lille. Le couple habite rue St Victor, à Paris.
  5. Caroline et Léon, enfants de Félicité et Louis Daniel Constant Duméril.
  6. Hippolyte Baleste, son épouse Amélie Louise Defrance et probablement leurs enfants Cécile Caroline et Eugène Hippolyte. (voir lettre du 22 août).
  7. Suzanne de Carondelet, épouse d’Antoine de Tarlé.
  8. Clémentine Duméril, épouse de Jean Baptiste Gibassier, chirurgien militaire, est la troisième fille de Florimond Duméril l’aîné.
  9. André Marie Constant Duméril.
  10. Charles Auguste Duméril.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, « Lettres relatives à notre mariage », p. 180-184

Pour citer cette page

« Mardi 23 août 1842. Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à son fils Auguste Duméril (Arras) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_23_ao%C3%BBt_1842&oldid=60161 (accédée le 8 novembre 2024).

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