Mardi 18 février 1879

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1879-02-18 pages 1-4.jpg original de la lettre 1879-02-18 pages 2-3.jpg


Paris 18 Février 79.

Décidément, mon Père chéri, quand on commence à glisser sur la pente du mal il n’y a plus moyen de s’arrêter, c’est ce qui m’arrive : je commence une 1ère fois par me mettre en retard et je prie Emilie[1] de t’écrire à ma place bien résolue à me rattraper le lendemain, le lendemain arrive et passe, puis le surlendemain, cette fois c’est le tour d’Emilie c’est le jour de sa fête je la laisse venir auprès de toi, moi j’écrirai Samedi mais Samedi tante[2] m’emmène à Ivry voir les sœurs de Niederbronn, nous ne rentrons que pour prendre Emilie et repartir au cours ; enfin Dimanche c’est la dernière limite, dès le matin je me jette sur mon buvard mais ô malheur ! je trouve mes comptes commencés et qui devraient être faits depuis longtemps, ce ne sera plus bien long il faut que je les fasse tout de suite ; me voilà donc lancée dans les additions tant et si bien que l’heure du déjeuner vient m’y surprendre ; le reste tu le sais et il me reste à te demander pardon pour la précipitation avec laquelle je t’ai abandonné pauvre père[3], il faut bien que ce soit toi pour que nous osions faire des choses pareilles ! Hier encore je devais expier ma faute mais le temps a passé comme un rêve, il fallait que nous soyons à midi à Saint-Germain-des-Prés pour l’enterrement de M. de Sacy[4], la cérémonie a duré jusqu’à plus d’une heure puis comme Henriette[5], Rachel[6], Marguerite Audouin et Marthe Pavet[7] allaient au cimetière nous y avons été aussi et je crois qu’elles y ont été très sensibles ; ces dames ont un courage admirable mais la figure de la pauvre Mme Foussé[8] faisait mal à voir. J’ai bien peur qu’elle ne paie maintenant tout ce qu’elle a fait. C’était une famille bien unie et le grand-père était bien resté le centre autour duquel tout le monde venait se réunir. Je crois que la pauvre Mme de Sacy[9] ne lui survivra pas longtemps.
L’enterrement avait lieu au Père Lachaise de sorte que nous avons mis près d’une heure et demie à y aller et nous n’avons pu arriver à notre cours de littérature que fort en retard. Nous sommes rentrées ici en faisant quelques courses.

Aujourd’hui c’est le jour des visites aussi je ne veux pas attendre 2h pour commencer ma lettre car il se pourrait que je sois prise en bas et que je laisse encore passer l’heure de la poste sans venir t’embrasser, te demander pardon pour les fautes que je viens de t’avouer, et surtout te remercier de la bonne lettre que j’ai reçue ce matin et qui m’a fait tant de plaisir, ce qui me réjouit moins ce sont les nouvelles que tu me donnes, c’est vraiment désolant de voir tante Marie[10] dans cet état nous espérions au contraire qu’elle recommençait à bien aller.

De quelque côté qu’on regarde on ne voit que gens malades ou affligés, je crois que les heureux sont bien rares ici-bas ; presque toutes nos amies sont en deuil en ce moment, Henriette et Marthe de M. de Sacy, Jeanne B.[11] de sa grand’mère[12] ; quant à Paule[13] elle reprend un peu mais bien lentement sa vie ordinaire, elle n’a pas encore osé marcher dans la rue, mais elle circule dans son appartement, par moments elle souffre encore et je l’admire bien de ne pas se décourager. Marie Flandrin n’est pas bien vaillante non plus elle a des migraines continuelles et n’a guère bonne mine depuis sa scarlatine. Tout cela n’est pas très gai comme tu vois aussi malgré le carnaval ne songe-t-on pas beaucoup à s’amuser, cependant Jeudi nous allons chez Mme Delisle[14] à la bibliothèque nationale, c’est une soirée sérieuse et ennuyeuse en robe montante comme ici l’année dernière, nous y avons donné rendez-vous aux demoiselles Fernet[15]. Vendredi peut-être irons-nous à l’observatoire[16] je ne crois pas qu’on y danse mais on fera des expériences ; enfin Mardi gras nous irons chez Mme Ravaisson[17] (triste souvenir) mais peut-être nous amuserons-nous plus et dans tous les cas il faut y retourner. Demain nous avons le dîner de famille auquel où viendront les Brongniart, Jeanne et Hortense Duval[18]. Je te parlais de gens tristes et malheureux, il faut faire une exception pour cette dernière, je ne l’ai jamais vue aussi contente et gaie, elle ne rêve plus qu’à son mariage et paraît enchantée de s’en aller bientôt, est-ce drôle de se réjouir de quitter tous ceux qu’on aime pour un Monsieur qu’elle ne connaissait pas il y a 2 mois. Mais il paraît que c’est toujours comme cela.

Adieu mon Père chéri, je t’embrasse aussi fort que possible
ta fille qui t’aime de tout son cœur.
Marie


Notes

  1. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  3. Voir la lettre du 16 février 1879.
  4. Samuel Ustazade Silvestre de Sacy, père de Mme Foussé.
  5. Henriette Baudrillart.
  6. Rachel Silvestre de Sacy.
  7. Marthe Pavet de Courteille.
  8. Céline Silvestre de Sacy, épouse de Frédéric Foussé.
  9. Marguerite Geneviève Jenny Trouvé épouse de Samuel Ustazade Silvestre de Sacy.
  10. Marie Stackler, épouse de Léon Duméril.
  11. Jeanne Brongniart.
  12. Catherine Edmée Davésiès de Pontés, veuve d’Adolphe Simonis Empis.
  13. Paule Arnould.
  14. Laure Burnouf, épouse de Léopold Delisle.
  15. Probablement les trois aînées : Jeanne Pauline, Angélique Émilie Marguerite Victoire, Amélie Henriette Mathilde Fernet.
  16. Voir la lettre du 23 février 1879.
  17. Marie Françoise Aglaé Louyer de Villermay épouse de Félix Ravaisson.
  18. Hortense Duval va épouser Marcel Aubry.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi 18 février 1879. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_18_f%C3%A9vrier_1879&oldid=52312 (accédée le 15 novembre 2024).

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