Mardi 17 septembre 1844
Lettre d’André Marie Constant Duméril (Londres) à sa femme Alphonsine Delaroche (Paris)
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Londres ; mardi 17 Septembre 1844.
Ma chère amie, nous menons, comme tu as dû le voir par nos précédentes lettres, la vie la plus active, ton frère[1] et moi. il a heureusement reçu une très bonne lettre hier du Havre. quant à moi je n’ai encore eu aucune nouvelle de Paris ; mais il n’est pas huit heures et j’espère en avoir aujourd’hui avant onze heures, moment où nous rentrerons probablement à l’hôtel.
Tu as dû voir par ma lettre d’hier, que je n’ai fermée qu’au moment de mon arrivée d’une très grande excursion que j’avais faite avec MM. orfila père et fils[2] et ollivier[3] d’Angers, que j’avais été près de sept heures sur les pieds. j’ai vu dans cette journée tant de choses intéressantes pour les sciences que je cultive, que deux ou trois années d’observations fortuites ne m’en auraient pas autant appris. De sorte que ce jour-là restera dans ma mémoire comme un de ceux dont j’aurai le plus profité.
M. Owen[4], qui connaissait mes travaux, a été d’une complaisance, d’une amabilité extrême : il a été, je n’en doute pas, car il me l’a parfaitement exprimé, aussi content que moi du rapport qui s’établissait entre nous verbalement, comme il existait déjà dans les mêmes idées acquises sur la partie des sciences naturelles qu’il cultive et professe la physiologie comparée et la connaissance générale des animaux vertébrés. c’est un homme extrêmement instruit.
Dans les cabinets du Collège des chirurgiens de Londres où il demeure et qu’il dirige, on voit les plus belles préparations d’anatomie humaine et comparée, outre la partie qui est relative aux maladies chirurgicales et vétérinaires. tout cela disposé dans un local parfaitement approprié à cette sorte d’exhibition et on y voit des pièces uniques par leur singularité, déjà connues par des gravures, mais qu’il était précieux pour moi de voir en nature. M. Orfila en a été tellement enthousiasmé, qu’à l’instant même il a décidé qu’à son retour à Paris, qui aura lieu après-demain, il dépêcherait ici M. Denonvilliers[5] le chef des travaux anatomiques de notre faculté, après avoir pris mon assentiment que j’ai donné avec plaisir.
M. Owen a voulu nous accompagner au jardin zoologique et comme il en est un des fondateurs et à ce qu’il m’a paru le principal directeur, à l’instant tous les gardiens des animaux se sont mis à notre suite et je n’exagérerai pas en te disant que cette collection d’animaux vivants en mammifères et en oiseaux des plus rares, est au moins de deux tiers plus considérable que celle de notre jardin du Roi.
parmi les animaux dont il me serait difficile de t’indiquer ici les noms, ceux qui m’ont le plus intéressé sont un orang-outan, un rhinocéros, la vigogne, des tatous en grand nombre et de diverses espèces, des kangourous, des cabiais[6] de la plus grande taille, des cerfs de tous les pays, des antilopes entre autres les gnous, les bubales[7], trois girafes – un mâle, une femelle et une petite qui est née au mois de février, plus de 40 espèces de singes.
parmi les oiseaux, dont il y a au moins cinquante espèces différentes, j’ai surtout remarqué outre les gouras ou pigeons bleus couronnés[8] que nous avons, une paire d’une autre espèce plus petite, mais encore plus belle, parce que les plumes de leur crête sont terminées par d’autres parties d’un bleu tendre bordé de blanc. j’ai vu vivants deux espèces de paons tout à fait nouvelles. l’oiseau de junon ou le faisan argus[9], un toucan etc.
Enfin je n’en finirais pas si je voulais te faire une énumération complète. Le soir M. DelaRoche et moi sommes sortis après le dîner, pour aller faire une visite à M. H. Latham[10] que nous n’avons pas trouvé, mais nous avons encore fait une promenade de deux heures. à notre arrivée à l’hôtel nous y avons pris le thé et à dix heures nous étions au lit.
aujourd’hui à huit heures nous allons visiter l’abbaye de Westminster. puis j’irai au British Muséum avec M. DelaRoche qui m’introduira auprès de M. Waterhouse le Directeur auquel je suis recommandé par M. Owen. M. DelaRoche m’y laissera pendant deux heures. il viendra m’y reprendre. nous irons voir les <dogs[11]> et la monnaye ; puis si le jour le permet encore nous remonterons toute la longueur de la tamise dans un bateau à vapeur et nous rentrerons pour dîner.
Demain mercredi nous allons à Windsor avec M. H. Latham. nous dînons à la campagne chez son frère le Riche négociant. nous revenons par le chemin de fer. tu sais que nous quitterons Londres jeudi à deux heures pour nous embarquer le soir à Southampton. Vendredi matin au Havre.
Ton frère me charge de ne pas l’oublier et de le rappeler à ton amitié et à celle de nos fils et filles[12].
Notes
- ↑ Michel Delaroche, avec qui voyage André Marie Constant Duméril.
- ↑ Mathieu Joseph Bonaventure Orfila et son fils Antoine François Pierre Henri Orfila.
- ↑ Charles Prosper Ollivier.
- ↑ Richard Owen.
- ↑ Charles Denonvilliers.
- ↑ Les cabiais sont des rongeurs d’Amérique du Sud, végétariens, vivant près des fleuves et pouvant atteindre un mètre de long.
- ↑ Antilopes africaines.
- ↑ Gros pigeons de la Nouvelle-Guinée, portant une huppe érectile.
- ↑ L’argus est un oiseau voisin du faisan, qui vit dans l’Inde et en Malaisie.
- ↑ Henry Latham.
- ↑ André Marie Constant Duméril fait allusion soit à l’« Isle of Dogs », soit plutôt aux « Docks » qui se situent à proximité. L’urbanisation de l’île se fait au XIXe siècle à la suite de la construction du West India Docks (ouvert en 1802) et ce quartier devient un important centre de commerce.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et sa femme Félicité, Auguste et sa femme Eugénie.
Notice bibliographique
D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril à sa femme, p. 69-73)
Annexe
Madame
Madame Duméril
Aujardin du Roi
rue Cuvier n°7
Paris
Pour citer cette page
« Mardi 17 septembre 1844. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Londres) à sa femme Alphonsine Delaroche (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_17_septembre_1844&oldid=61510 (accédée le 15 octobre 2024).
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