Lundi 16 septembre 1844 (B)
Lettre d’André Marie Constant Duméril (Londres) à sa femme Alphonsine Delaroche (Paris)
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Lundi 15[1] 7bre 1844. Londres.
Chère amie, je m’étais hâté de t’écrire hier dès le matin et avant de commencer nos[2] courses du Dimanche qui devaient se faire principalement hors de la ville car ce jour-là toutes les boutiques et lieux publics sont fermés excepté les grandes promenades. j’avais cacheté ma lettre que tu trouveras ci-incluse et au moment où je la donnais au Domestique en lui recommandant bien de ne pas oublier de la remettre à la poste voilà qu’il m’instruit qu’il n’y a pas de départ ce jour-là, et en effet je me rappelai que le mardi il n’y avait jamais de courrier anglais à Paris. j’ai été bien contrarié comme tu le penses.
je vais donc te donner un aperçu de nos courses d’hier. M. Latham jeune, comme je te le disais avait eu la complaisance de nous diriger dans cette journée du Dimanche. nous avions déjeuné et il est arrivé, comme il nous l’avait annoncé vers neuf heures. Nous avons pris une voiture qui nous a conduit au parc St james, au greenpark et à Hyde park. ce sont trois jardins immenses remarquables surtout par leurs beaux gazons, leurs pièces d’eaux, par les arbres d’une grande et belle vétusté, par les plantes fort bien cultivées en plein air et par la quantité d’oiseaux aquatiques presque tous devenus fort familiers de sauvages qu’ils étaient. les parcs sont entourés des plus beaux hôtels appartenant à des castes privilégiées de la noblesse qui pour la plupart sont dans ce moment dans leurs campagnes. mais rien n’est mieux entretenu que les dehors et les abords de ces hôtels très simples en apparence mais qui, dit-on, sont à l’intérieur très richement décorés. c’est un spectacle magnifique que ces maisons et hôtels qui sont constamment disposés sur un plan symétrique auquel ont été subordonnés toutes ces bâtisses et en général tous les quartiers neufs de cette partie de Londres dont les rues excessivement larges ont une étendue que la vue ne peut atteindre à leurs extrémités. toutes sont garnies de trottoirs dallés ou bituminisés et le milieu très large destiné aux voitures nombreuses qui les parcourent avec une rapidité extrême n’est pas pavé, la plupart sont macadamisées ou du moins couvertes d’un sable très fin qui est bien lié et fort compact et par conséquent sans poussière. Dans beaucoup de rues les pavés sont en bois de sorte que partout à peine entend-on les voitures et qu’il serait très dangereux de traverser l’une de ces routes sans regarder d’abord à droite et à gauche.
De cette partie de la ville après avoir parcouru pédestrement de très beaux quartiers et visité au moins en dehors la plupart des monuments qui se trouvaient sur la route nous avons pris une voiture pour aller à la campagne, celle-ci nous a fait faire à peu près une lieue pour nous mener à un chemin de fer qui est le même par lequel nous étions arrivés de Southampton.
nous l’avons quitté à Kingston très joli village ou petite ville admirablement construite et principalement depuis quelques années, à cause du voisinage du rail way ce sont de petite maisons de campagne très confortables dont beaucoup sont semblables et régulières dans la construction ayant été bâties par de grands entrepreneurs pour les revendre. ici nous avons repris une voiture qui nous a portés à un immense palais Royal qui correspond à notre versailles et que l’on nomme Hampton-court. il me serait impossible de dire tout ce qui nous a occupé à examiner avec le plus grand intérêt dans ces édifices immenses et de très ancienne construction en briques analogues à celle de St Germain mais parfaitement bien conservés et entretenus. les galeries sont comme celles de versailles ornées de tapisseries anciennes, de tableaux de tous les grands maîtres : enfin c’est un vrai séjour Royal.
après y être resté dans l’admiration pendant près de deux heures et demie nous sommes allés prendre notre dîner dans un excellent hôtel où il avait été commandé d’avance par M. Latham. nous sommes revenus à peu près par les mêmes voies jusqu’au débarcadère du chemin de fer de Southampton et delà à Pied pour notre satisfaction jusqu’à l’hôtel de la Sablonnière où nous avons pris le thé et coucher à dix heures.
voilà notre journée d’hier : nous sommes parfaitement bien pour la santé et comme tu le vois très disposés à recommencer nos courses. Nous n’avons pas encore reçu de lettre ici peut-être le Dimanche aura-t-il empêché leur arrivée hier.
je ne fermerai pas celle-ci avant cinq heures ce soir.
PS. C’est cinq heures passées. j’ai passé six heures avec M. Owen j’ai vu le cabinet des chirurgiens de Londres avec détails et le jardin de la Société Zoologique. je m’y suis trouvé avec Orfila[3] qui en a été bien aise car c’est moi qui suis devenu son protecteur. adieu.
Notes
Notice bibliographique
D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril à sa femme, p. 65-69)
Annexe
Madame
Madame Duméril
rue Cuvier n°7
Pour citer cette page
« Lundi 16 septembre 1844 (B). Lettre d’André Marie Constant Duméril (Londres) à sa femme Alphonsine Delaroche (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_16_septembre_1844_(B)&oldid=40293 (accédée le 21 novembre 2024).
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