Mercredi 18 septembre 1844

De Une correspondance familiale

Lettre d’André Marie Constant Duméril (Londres) à son fils Auguste Duméril (Paris)

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Londres le mercredi 17[1] 7bre 1844

j’ai reçu hier soir ta lettre du Samedi 14. c’était la 1ere que j’avais de la famille depuis que j’ai quitté le Havre et les détails que tu me donnes m’ont fait bien plaisir, malgré la petite inquiétude que vous a occasionnée la fièvre et les petites circonstances qui avaient précédé l’indisposition de Léon[2]. Enfin je suis très tranquille sur vous tous, comme vous devez l’être sur moi, puisque je vous ai écrit presque tous les jours ; quoique mes lettres ne vous soient pas parvenues dans leur temps ; mais enfin vous avez dû les recevoir et la faute ne dépend pas de moi.

je vous ai tenu au courant jusqu’ici de tout ce que nous[3] faisions et devenions. Aujourd’hui, et malheureusement c’est le seul jour où la pluie semble bien établie et propre à nous contrarier, nous allons prendre le chemin de fer avec M. Henry Latham pour visiter le château Royal de Windsor. là on doit venir nous joindre, pour aller à une campagne dont j’ignore le nom, dîner chez M. Latham le Banquier, nous revenons coucher ici et demain jeudi à Deux heures nous quitterons Londres et prenons le chemin de fer qui nous déposera à Southampton. nous nous y embarquerons pour faire le trajet du Havre pendant la nuit et être vers neuf ou dix heures du matin vendredi au Havre. j’en partirai probablement le soir et je serai samedi à Paris ; mais je ne puis dire à quelle heure. voilà pour le futur. voici ce que j’ai fait hier.

D’abord nous avons été voir les chambres des Lords et des communes, ainsi que les appartements qui en dépendent. on a voulu que je puisse dire que j’avais occupé la place de Lord Chancelier et me faisant asseoir sur le fameux sac de Laine au-dessous du trône[4] ; ces salles sont provisoires et remplacent celles qui ont été incendiées. on construit à côté un palais immense.

Nous avons vu en détail l’abbaye de Westminster et de là M. DelaRoche m’a conduit au British muséum. j’avais un mot de M. Owen pour M. Waterhouse. nous l’avons attendu en vain pendant quelque temps et voyant qu’il n’arrivait pas, comme en effet il nous a été impossible de le rencontrer, nous avons demandé à être introduits ce qui a été très facile.

Dès que nous avons rencontré une personne qui paraissait être un des chefs M. DelaRoche s’en est approché, m’a présenté et de suite mille démonstrations d’amitié et d’excellent accueil. c’était un M. <Beunet> qui te connaissait, il m’a présenté à tout son monde et tu ne peux te figurer toutes les complaisances dont j’ai été comblé par ces messieurs dont je n’ai pas pu malheureusement retenir les noms. j’ai été conduit successivement par trois de ces messieurs. l’on m’a fait voir la Bibliothèque, m’a présenté au Bibliothécaire en chef et là on m’a donné une idée de l’ensemble de cette immense collection qu’on ne peut comparer qu’à celle du Roi à Paris. j’ai vu les collections égyptiennes, grecques et modernes de tous les pays en objets d’arts, la Bibliothèque des manuscrits, puis et successivement tous les cabinets de zoologie qui sont immenses et, sans exagérer, au moins équivalents à ceux du Muséum. il y a une infinité de Reptiles et de Poissons. on m’a ouvert au moins trente armoires pour me faire voir et isoler les objets les plus curieux que je ne connaissais pas. enfin je suis resté là depuis 10 h. jusqu’à trois heures. l’un de ces messieurs, M. Gray[5], je crois, qui m’a toujours parlé français et qui nous avait engagé M. DelaRoche et moi à dîner chez lui a eu la complaisance de me reconduire à l’hôtel où j’ai retrouvé M. DelaRoche qui de son côté avait été visiter en détail la monnaie où il a pu suivre toutes les opérations de cet immense établissement.

à quatre heures nous avons été prendre un bateau à vapeur qui nous a fait descendre toute la longueur de la tamise jusqu’à Greenwich où se trouve le magnifique hôtel des invalides de la marine. C’est une petite ville que nous avons visitée. une voiture nous a fait voir les environs et nous a déposés dans le haut du parc que nous avons parcouru à pieds pour bien examiner le fameux observatoire, dont la position est telle que, par un beau jour on y voit toute l’étendue de Londres et plus de dix lieues en mer. nous avons dîné à Greenwich : il était six heures. en sortant de dîner nous avons pris le chemin de fer dont nous n’avons pu juger, à cause de la nuit, la singulière disposition sur de très hautes arcades qui ont permis de traverser des villages en passant sur un très grand nombre de maisons. nous sommes rentrés pour prendre le thé et nous coucher.

Ce matin je t’écris après avoir fait ma toilette et préparé quelques effets pour notre partie de Windsor et du dîner de Cérémonie qu’on nous prépare à la campagne. nous allons déjeuner en attendant M. Henry Latham. je n’ai pas le temps de me relire.

adieu, mon cher ami, à Samedi car je pense que je n’aurai pas occasion de vous écrire. amitiés à tous. j’espère trouver ce soir à mon retour quelque bonne lettre de la famille.


Notes

  1. Il s’agit du mercredi 18.
  2. Léon Duméril, fils de Louis Daniel Constant, né en 1840.
  3. André Marie Constant Duméril voyage avec son beau-frère Michel Delaroche.
  4. Le « woolsack » est le nom donné au banc du Lord Chancelier à la Chambre des Lords. Il était à l’origine rempli de laine anglaise, symbole de la prospérité du pays. Par la suite, la laine provint de diverses nations du Commonwealth afin de symboliser l’unité de cette communauté.
  5. John Edward Gray, conservateur au département de zoologie du British Museum.

Notice bibliographique

D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril à sa femme, p. 73-77)

Annexe

Monsieur

Monsieur A. Duméril

Professeur agrégé de la Faculté de médecine

aujardin du Roi

rue Cuvier n°7

Paris

Pour citer cette page

« Mercredi 18 septembre 1844. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Londres) à son fils Auguste Duméril (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_18_septembre_1844&oldid=41164 (accédée le 11 novembre 2024).

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