Mardi 13 septembre 1859
Lettre de Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à ses parents Louis Daniel Constant et Félicité Duméril (Paris)
13 Septembre 59
Tout continue à très bien aller ici, mes chers parents ; Mimi[1] est à merveille et reprend bien bonne mine, je ne puis vous dire combien cette enfant me distrait et m'occupe, surtout maintenant que son intelligence se développe et qu'elle me reconnaît si bien, elle commence à vouloir prendre ce qu'elle voit et aussitôt elle le fourre dans sa bouche puis au moindre bruit elle tourne la tête pour voir d'où cela vient, enfin elle est bien gentille, ou du moins je la trouve bien gentille. Il fait bien froid depuis deux jours, le matin et le soir et je crains fort que nos voyageurs en souffrent, bon-papa[2] a eu tort de ne pas prendre un paletot chaud. J'ai oublié de vous dire que Charles a aussi emmené Georges[3] ce qui est bien agréable pour Léon, j'espère que ce voyage où il faudra vivre un peu en l'air lui donnera une secousse salutaire ; c'est une chose singulière que cette sorte de faiblesse qu'il a dans tous les membres et qui donne tant de lenteur à ses mouvements, il semble souvent qu'il n'ait même pas la force de parler, il reste dans son coin, très bien au fait de ce qui se dit, mais en apparence n'y prenant aucune part. M. Conraux s'est joint à bon-papa l'autre jour pour le dissuader de boire ainsi chaud et de se priver de fruit mais rien n'y fait, puis il a toujours froid, au moindre vent il monte le collet de son paletot, tout cela me paraît extraordinaire et me préoccupe un peu, mais peut-être bien est-ce fatigue et une bonne vacance lui rendra des forces ; seulement ce qui me contrarie c'est qu'il ne profite nullement de son séjour à la campagne pour prendre l'air ; si je n'y prends garde, il reste des journées entières à lire dans sa chambre, ne mettant même pas le nez au jardin. J'espérais un peu une lettre de Charles ce matin, mais peut-être en aurai-je une à 2 heures. Jeudi j'aurai un assez grand dîner, les Zaepffel[4], les Heuchel et sans doute les dames Mertzdorff[5] de St Amarin ; nous serons 12. J'ai ma nouvelle bonne[6] depuis Jeudi, je crois qu'elle fera bien mon affaire, seulement la petite est encore très sauvage avec elle mais cela se fera, c'est une très bonne ouvrière qui travaille très vite je pense que son ensemble vous plaira. Mme Cornelli restera encore pendant ces journées où nous serons en famille et où je ne pourrai pas être constamment avec la petite.
Comme tu l'as bien prévu le colonel Charras[7] a refusé de rentrer, mais l'autre gendre, M. Chauffour[8] a profité de l'amnistie[9], je l'ai vu l'autre soir chez les Kestner à cette petite soirée qui était très gentille, on a fait de la musique puis on a sauté, il y avait plusieurs jeunes personnes de la famille en séjour pendant les vacances, Mme Godefroy Schlumberger[10] et moi étions les seules étrangères. Quel affreux malheur que la mort de cette pauvre Mme Valenciennes[11], combien je plains ses malheureuses filles surtout Lise qui a une bien pénible tâche entre son père, sa sœur dont l'intelligence est si bornée et son petit frère à élever. Ma chère maman, j'aimerais bien que tu m'achètes pour Marie une de ces petites pelisses au tricot, j'y avais déjà songé, je te prierai aussi d'avoir la complaisance d'écrire à mon cordonnier M. Bach 108 rue St Dominique St Germain pour lui commander une paire de brodequins peau et cuir à boutons et une en drap à boutons avec les plus petits talons possible ; il a bien ma mesure sous le nom de Mlle Duméril mais il ne saurait qui est Mme Mertzdorff, je te prierai de le lui expliquer quand il viendra. Tu devrais bien aussi t'en faire faire une paire. Je pense que ces chaussures seront peut-être faites pour le départ de papa[12], au reste je n'en suis pas très pressée.
Quel bonheur de penser que la semaine prochaine je verrai maman et sans doute la semaine suivante papa, puis Charles qui sera revenu, ce sera un bonheur complet. Sans Mimi et Mme Cornelli, ces quatre journées m'auraient paru quatre siècles, enfin je n'ai plus qu'une nuit.
Adieu mes chers parents, à bientôt, recevez en attendant les meilleurs embrassements de vos fille et petite-fille
Caroline
Je ne puis rien vous dire de bien bon sur les rhumatismes de Charles, je crains bien un mauvais hiver, car il a toujours mal soit d'un côté, soit de l'autre et une douleur presque permanente au côté gauche qui le fait beaucoup souffrir quand il éternue, cela me préoccupe souvent.
Notes
- ↑ La petite Marie Mertzdorff est née le 15 avril 1859.
- ↑ André Marie Constant Duméril, grand-père de Caroline parti en voyage en Suisse avec Charles Mertzdorff, mari de Caroline.
- ↑ Georges Léon Heuchel, né en 1840, la même année que Léon Duméril, le frère de Caroline.
- ↑ Edgar Zaepffel et son épouse Emilie Mertzdorff.
- ↑ Caroline Gasser, épouse de Frédéric Mertzdorff, et sa fille Elisabeth, qui habitent Paris, viennent souvent séjourner à Saint-Amarin en Alsace.
- ↑ Cécile.
- ↑ Jean Baptiste Charras, gendre de Charles Kestner, exilé en Suisse depuis 1852.
- ↑ Victor Chauffour, également anti-bonapartiste et autre gendre de Charles Kestner.
- ↑ Au lendemain des victoires remportées en Italie et de l’armistice de Villafranca, le décret du 17 août 1859 accorde l’amnistie à tous les condamnés politiques ; les bannis et les déportés sont autorisés à rentrer en France. Quelques proscrits, parmi lesquels Victor Hugo, Edgar Quinet ou Louis Blanc, restent en exil, proclamant leur attachement aux principes. Cette amnistie, par laquelle Napoléon III cherche des appuis à gauche alors que l’opposition des catholiques et des industriels se manifeste, marque les débuts de l’Empire libéral.
- ↑ Laure Bouché, épouse de Godefroy Schlumberger.
- ↑ Alphonsine Anna Caroline Louise Gottis, épouse d’Achille Valenciennes et mère de 5 enfants : Achille Alexandre Jean Baptiste, Alphonsine Anna Marie Louise, Anne Julie, Anna et Henri Valenciennes.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original.
Pour citer cette page
« Mardi 13 septembre 1859. Lettre de Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à ses parents Louis Daniel Constant et Félicité Duméril (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_13_septembre_1859&oldid=57476 (accédée le 21 novembre 2024).
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