Mardi 13 octobre 1812

De Une correspondance familiale

Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à son mari André Marie Constant Duméril (Nantes)

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215 M

Paris 13 Octobre 1812

Je voulais t’écrire au long bien cher ami, mais d’une chose à l’autre j’ai été retardée, et je crains d’être obligée d’abréger. Hier, dans l’espérance d’avoir une lettre de toi, je renvoyais à ce matin de prendre la plume afin d’avoir le plaisir de te répondre, et en effet dans le milieu de la matinée je reçus ta bonne lettre du 9 datée de Nantes. Quand en l’ouvrant je vis de l’écriture de tous les côtés j’en éprouvais de la joie, et je passais un grand moment à lire et relire cette bonne conversation. Je te remercie des détails que tu me donnes sur toi et les autres et de d’avoir répondu en dét au long à la lettre que je t’ai adressée à Angers. Il parait que tu n’oublieras pas de longtemps la fatigue que tu as éprouvée dans cette ville. Je désire bien que quelques jours après, cet excès de marche ne t’ait point pas valu une migraine. Ce mauvais temps que tu trouves à Nantes comme l’année dernière, me chagrine pour toi et ton compagnon de voyage[1], que je te prie de remercier de son aimable souvenir en lui présentant mes compliments. Tu auras trouvé mon frère[2] avec une physionomie épanouie à cause de la nouvelle de l’arrivée de ce navire sur lequel on avait des craintes ; je pense que cet évènement va augmenter leur besogne. En me parlant un peu de chacun, ne manque pas de parler en particulier d’Horace[3], d’abord parce que cela nous intéressera, et puis aussi parce que ma Tante[4] t’en voudrait sûrement si tu ne le faisais pas.

Je suis bien contente que tu m’aies expliqué positivement que tu m’avais rien terminé avec Henry[5] au sujet de sa femme, d’autant plus que d’après ce qu’il me dit avant-hier je crus bien que c’était une affaire terminée avec toi. Il m’apprit que Mme Aublé sans égard à ce qu’il l’avait prévenue un mois d’avance, et à ce que sa femme ne pouvait entrer chez moi que le mois prochain, avait prévenu cette dernière qu’elle avait arrêté une cuisinière qui entrerait chez elle après-demain jeudi, et qu’alors il allait nettoyer la chambre qu’avait fanchette[6] pour que sa femme pût venir l’occuper avec lui après qu’elle aurait été voir sa petite qui est en nourrice, et en attendant que moi je rentrasse cher moi[7] ; quand j’ai vu par ta lettre que rien n’avait été décidé entre toi et Henry, j’ai dit à celui-ci que j’avais cru d’après sa demande de coucher sa femme à l’estrapade que tu l’avais définitivement arrêté avant ton départ, et que tu m’écrivais au contraire que rien n’avait été fini à ce sujet, et qu’ainsi j’étais bien aise de parler encore à sa femme afin de faire mes dernières conventions avec elle, que du reste je ne m’opposais pas à ce qu’elle couchât à l’estrapade. Elle est venue tout à l’heure, les gages ont été convenus de 300ll avec le blanchissage mais point de vin, j’ai insisté sur l’économie, la bonne intelligence avec la bonne d’enfants, et l’empressement à s’aider mutuellement dans toute occasion et sur ce que l’avantage d’être avec son mari était bien plus pour eux que pour nous. j’ai donné 4ll de denier à Dieu, et je suis bien contente que cette affaire-là soit conclue. Tu sais comme je suis nigaude pour me tourmenter d’un rien ; toutes ces conversations me contrent d’avance, et je suis bien débarrassée qu’elles soient faites, mais je t’ai narré tout cela si fort au long que je n’ai plus ni temps ni place pour te parler d’autres choses. J’ai quelques craintes que ma lettre ne te trouve plus à Nantes, dans ce cas mon frère te l’enverra à tours où je compte t’écrire dans très peu de jours. Chacun ici se porte bien ; pour moi je suis toujours à peu près le même paquet, j’ai même eu quelque retour d’un peu de mal aux reins ces deux ou trois jours, mais ce n’est rien aujourd’hui, mon lit auquel je reste toujours fidèle une partie de la matinée est tout ce qui convient le mieux à cela. Les Dames Torras[8] sont venues hier passer la soirée avec nous, dis-moi je te prie quelque chose d’aimable pour elles dans une de tes prochaines lettres. Adieu excellent ami je t’embrasse bien fort sur les deux joues. ton fils[9] en fait autant.

Le mot d’amitié et de remerciement qui s’est trouvé pour Maman dans ta lettre du mans a paru lui faire plaisir, et je t’avoue que j’ai été bien contente de l’y trouver ; elle aime bien tendrement ton fils et sait cependant ne pas le gâter ; il continue à être bien gai et bien gentil. L’autre jour il était allé se promener avec la canne que lui a donné M. Cloquet il me raconta que quelqu’un avait dit en le voyant, qu’est-ce que c’est que ce petit garçon avec une canne ? et sur la supposition que je fis que ce discours ne lui avait rien fait, il me répondit d’une manière très expressive et bien drôle, cela m’a fait une certaine impression ; Malgré cette impression il est retourné de lui-même à la promenade sa canne à la main. Adieu bon ami, bon époux, rêve quelquefois à ta compagne qui t’embrasse tendrement. N’oublie pas je te prie de me répondre au sujet du rouleau de Napoléons.


Notes

  1. André Marie Constant Duméril voyage avec son secrétaire Hippolyte Cloquet.
  2. Michel Delaroche, à Nantes.
  3. Horace Say.
  4. Elisabeth Castanet.
  5. Domestique d’André Marie Constant Duméril.
  6. Fanchette, domestique chez les Duméril.
  7. Alphonsine s’est provisoirement installée rue Favart, chez ses parents Marie Castanet et Daniel Delaroche ; les Duméril habitent rue de l’Estrapade. Voir les adresses de la famille Duméril.
  8. Anne Gardelle, épouse de Pierre Torras et sa fille Anne Jeanne Louise.
  9. Louis Daniel Constant Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril à sa femme, p. 115-119)

Annexe

A Monsieur

Monsieur Duméril Président des Jurys deÉcole de santé de Paris]Médecine

chez MM Delaroche, Armand Delessert et Compagnie

à Nantes

Pour citer cette page

« Mardi 13 octobre 1812. Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à son mari André Marie Constant Duméril (Nantes) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_13_octobre_1812&oldid=58436 (accédée le 25 avril 2024).

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