Lundi 2 février 1880

De Une correspondance familiale


Lettre de Louis Daniel Constant Duméril (Vieux-Thann) à Aglaé Desnoyers (épouse d’Alphonse Milne-Edwards) (Paris)


original de la lettre 1880-02-02 pages 1-4.jpg original de la lettre 1880-02-02 pages 2-3.jpg


Vieux-Thann 2 Février 1880

Ma chère Aglaé

Quoique je n’aie pas devant moi assez de temps pour faire partir cette lettre aujourd’hui, je commence à répondre à celle, si affectueuse & si pleine de bons détails que nous avons reçue de vous hier soir (car le dimanche elles ne sont distribuées qu’après 5 heures) & vous remercier de savoir ainsi trouver le temps de satisfaire ainsi à la curiosité dont nous sommes naturellement travaillés en ce moment.

Comme vous le dites nous pensons presque continuellement à notre chère Marie[1] dont le bonheur nous intéresse tant : notre éloignement d’elle nous est plus sensible que jamais & nous serions bien heureux de l’embrasser & de lui témoigner la part que nous prenons aux émotions par lesquelles elle vient de passer & qui peu à peu se transforment en une satisfaction plus calme.
Tout ce que nous désirons pour cette chère enfant semble se trouver réuni dans la personne de M. de Fréville & nous ne pouvons que remercier Dieu de la rencontre qu’il a ménagée entre ces deux jeunes cœurs si bien faits pour s’apprécier mutuellement.

J’ai vu Charles[2] ce matin qui nous a donné quelques nouveaux détails tous si satisfaisants ; à son arrivée chez nos enfants[3], qui comme moi le savaient arrivé, se rendaient chez lui ne sachant pas qu’il s’était d’abord arrêté chez son Oncle Heuchel[4], ce qui était bien naturel. L’heure du dîner nous a séparés mais ma femme[5] est partie de bonne heure pour aller le trouver & le questionner à son tour.

Si nous pensons beaucoup à Marie nous sommes aussi bien occupés de sa sœur[6] qui éprouvera un grand vide quand viendra le moment de la séparation, mais qui, si raisonnable, comprend bien qu’il devait en être ainsi & sait se soumettre à ce qui d’un autre côté, semble apprécier le bonheur de la sœur qu’elle aime tant. Nous pensons bien à vous aussi à M. Alphonse[7] qui avez eu toutes les émotions auxquelles ne peuvent échapper de bons parents quand il s’agit de décider de l’avenir de leur fille tendrement aimée. Pour vous aussi le vide sera grand quand vous n’aurez plus là cette chère fille qui se confiait si complètement à vous, à vos conseils, à votre affection, qui ne faisait rien avec plaisir quand elle n’avait pas votre assentiment. Elle gardera sans doute pour vous les mêmes sentiments dans son cœur, mais elle les partagera maintenant & plus elle en les accordera à son mari & plus vous serez heureux.

Nous avons écrit ma femme & moi plusieurs lettres aux chefs des diverses branches de notre famille pour leur faire part de l’heureuse nouvelle & nous commençons à recevoir des réponses à notre communication ; entre autres ce matin une de Raoul-Duval[8] des plus affectueuses & dont je dois vous transcrire ici un passage : ce sera la meilleure manière de m’acquitter de la commission qu’il me donne car la forme ajoute encore au fond.

« Je te remercie cordialement de l’heureuse communication que tu viens de m’adresser & j’y prends je te l’affirme un vif intérêt auquel, j’en suis sûr, vont s’associer tous mes enfants, car le souvenir des bontés de ton père[9] & de sa haute réputation sont vivants dans ma famille & s’y transmettent de génération en génération. pour ce qui me concerne j’ai toujours regretté de ne pas connaître tes petites-filles[10] habitant pourtant Paris comme moi-même & tout dernièrement je ruminais, à part moi, le projet de me présenter tout seul & d’aller les trouver en me prévalant de mon titre de vieux cousin. Cette visite d’un antique ne les amuserait peut-être pas beaucoup néanmoins j’y persiste, & si tu veux bien m’annoncer tant auprès d’elles, qu’auprès de la famille Milne-Edwards dans laquelle elles se trouvent je crois, je réaliserai mon projet : tu auras la complaisance de me donner leur adresse en m’avisant que tu as préparé le terrain pour que je n’aie pas l’air de tomber de la lune, comme quelque aérolithe. J’ai toujours gardé de ta fille, la gracieuse Caroline[11] le plus charmant souvenir & je désire beaucoup retrouver ses traits sur le visage de ses deux filles. »

Toute sa lettre est sur ce ton d’aimable affection puis il me parle de la mort d’Hippolyte Comte que vous ne savez sans doute pas, du chagrin de Edmond[12] son frère qui faisait avec lui ménage commun depuis nombre d’années.

Vous savez que Raoul avait trois enfants, que sa fille Mme Sautter[13] a laissé 5 enfants, 3 fils & 2 filles, l’aîné des fils[14] s’est marié il y a peu de temps a épousé sa cousine une Demoiselle Sautter, il me dit qu’elle a une santé délicate, qu’elle a débuté par une fausse couche, qu’elle s’en remet progressivement mais lentement & qu’elle aura pendant longtemps besoin de beaucoup de ménagement. Les deux fils, l’aîné[15], le fougueux bonapartiste, a épousé une demoiselle du Havre qui avait de la fortune & le second[16] ancien ingénieur des mines a pour femme la richissime Demoiselle Dassier dont le père & la mère[17] sont morts très peu de temps après son mariage. Edgar a 2 fils[18] & 2 filles[19] ; le second Fernand a 4 fils[20] & 2 filles[21]. Raoul le père[22] en question, l’ex premier président à Bordeaux, l’ex sénateur a donc 15 petits-enfants. Il a 2 ans de plus que moi.
J’ai cru devoir vous faire refaire un peu connaissance avec ce cher cousin que vous n’avez peut-être jamais vu, car comme magistrat il était toujours loin de Paris, mais vous avez dû souvent entendre parler de lui & surtout de sa charmante femme[23] que nous aimions tous beaucoup & qui est morte il y a longtemps à Bordeaux d’une rupture d’anévrisme.

Je vais donc lui écrire pour l’autoriser ou au moins le renseigner pour la visite qu’il veut faire à ses petites cousines, mais j’aimerais bien auparavant savoir si je dois lui indiquer un jour où il sera sûr de vous trouver. En écrivant à leur père, une de mes petites-filles voudra bien me répondre à ce sujet. Je devrais encore vous expliquer la parenté des Duval & des Duméril : le grand-père paternel de Raoul[24] était frère de votre grand-mère Duméril[25] qui était une Duval. L’habitation du père de Raoul, à Amiens, était contiguë à celle de nos grands-parents, on se voyait intimement & Mme Duval a été pour ceux-ci & pour une de nos tantes une fille & une sœur des plus dévouées & nous avons conservé d’elle un bien reconnaissant souvenir.

Eugénie[26], Adèle[27] et ses cinq enfants[28] ont dû quitter l’hôtel, où ils s’étaient réfugiés à Flers, hier matin à 9 ½ heures pour arriver à un hôtel de Saint-Brieuc à 7 heures du soir. Félix a dû les devancer de 24 heures : c’est le 5 Courant qu’il doit entrer en fonctions à sa nouvelle résidence.
Heureusement qu’ils ont beau temps, quoique froid pour ce pénible voyage ; encore n’est-ce pas sûr car l’Ouest de la France parait moins favorisé que nous.

Hélène[29] était très empressée de voir Oncle Charles[30] mais pourtant elle a été un peu intimidée & sa langue a perdu de sa volubilité quand elle a été sur ses genoux.
Marie[31] va assez bien, ma femme vous parle d’elle, Léon est un peu grippé mais il va mieux. Les demoiselles Berger[32] ont dû partir ce matin, mardi pour Paris & se réjouissent beaucoup à l’idée d’aller voir leurs amies[33] : tous ces temps-ci elles ont patiné ici près du Moulin avec Georges et Maria[34] : pour cette dernière l’exercice a été excellent car elle a repris meilleure mine & très bon appétit. L’absence de ses voisines, qu’elle voyait presque journellement, va faire un grand vide pour elle.

Georges Pochet vient aussi de nous écrire une charmante lettre de félicitations sur le mariage de Marie[35] ; il nous raconte que sa fille, aussi Marie[36] qui est depuis 8 jours Mme Taconet fait son voyage de noce dans le nord de l’Italie. Mes petites-filles savent aussi, je crois, que Raoul Delaroche est fiancé à Mlle Iselin[37] dont la famille habite la côte près des Delaroche avec lesquels on est intimement lié : le mariage aura lieu en Avril & le jeune ménage habitera une maison contiguë à celle de H.D[38] à qui elle appartient. Je vous quitte en vous envoyant, pour vous envoyant pour vous & M. Alphonse des sentiments que je ne sais pas exprimer mais que vous connaissez bien tous deux &en  envoyant à nos chères petites-filles deux bons baisers.

C. Duméril.

Georges joint à sa lettre une charmante photographie de sa femme[39] & de sa fille, celle de son gendre & la sienne. Sa fille est bien jolie.

A l’instant nous arrive une bonne lettre de félicitations de Mme Fröhlich[40] nous exprimant tous ses regrets de ne pouvoir aller au Jardin des plantes, sa pauvre Marie[41] atteinte d’un érésipèle au visage, demande des soins, elle va mieux.


Notes

  1. Marie Mertzdorff va épouser Marcel de Fréville.
  2. Charles Mertzdorff.
  3. Léon Duméril et son épouse Marie Stackler.
  4. Georges Heuchel.
  5. Félicité Duméril épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  6. Emilie Mertzdorff.
  7. Alphonse Milne-Edwards, l’époux d’Aglaé.
  8. Charles Edmond Raoul-Duval.
  9. André Marie Constant Duméril.
  10. Marie et Émilie Mertzdorff.
  11. Caroline Duméril (†), première épouse de Charles Mertzdorff.
  12. Edmond Comte.
  13. Lucy Raoul-Duval (†1870) épouse de Louis Sautter.
  14. Gaston Sautter, époux d’Alice Sautter.
  15. Edgar Raoul-Duval et son épouse Catherine Foerster ont quatre enfants.
  16. Fernand Raoul-Duval et son épouse Henriette Dassier ont six enfants.
  17. Auguste Dassier et son épouse Louise Labouchère.
  18. Edmond et André Raoul-Duval.
  19. Marie Anne et Valentine Raoul-Duval.
  20. René, Maurice, Charles et Roger Raoul-Duval.
  21. Lucie et Elisabeth Raoul-Duval.
  22. Charles Edmond Raoul Duval, dit Charles Edmond Raoul-Duval.
  23. Octavie (Fanny) Say (1804-1865), épouse de Charles Edmond Raoul Duval (Raoul-Duval).
  24. Jean Baptiste Duval (1730-1811).
  25. Rosalie Duval (1736-1829), épouse de François Jean Charles Duméril.
  26. Eugénie Duméril, veuve d'Auguste Duméril.
  27. Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil.
  28. Marie, Léon, Pierre, Louise et Auguste Soleil.
  29. Hélène Duméril.
  30. Charles Mertzdorff.
  31. Marie Stackler, épouse de Léon Duméril.
  32. Marie et Hélène Berger.
  33. En particulier Marie et Emilie Mertzdorff.
  34. Georges Duméril et son épouse Maria Lomüller.
  35. Marie Mertzdorff.
  36. Marie Pochet, épouse de Maurice Taconet.
  37. Julie Iselin.
  38. Henri Delaroche.
  39. Berthe Le Barbier de Tinan, épouse de Georges Pochet et mère de Marie Pochet-Taconet.
  40. Eléonore Vasseur, veuve d’André Fröhlich.
  41. Marie Fröhlich.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 2 février 1880. Lettre de Louis Daniel Constant Duméril (Vieux-Thann) à Aglaé Desnoyers (épouse d’Alphonse Milne-Edwards) (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_2_f%C3%A9vrier_1880&oldid=58762 (accédée le 21 novembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.