Lundi 27 et mardi 28 juillet 1868
Lettre d’Eugénie Desnoyers (Villers-sur-mer) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Villers sur Mer
27 Juillet
Lundi soir
Est-ce que j'aurais oublié, Mon cher Charles, de te remercier pour tes bonnes et longues lettres qui me font tant de plaisir et que je suis si heureuse de lire et relire. Tu comprends si tout ce que tu me dis de la fabrique, de tes occupations, de la maison, de ta vie à Vieux-Thann sont choses qui m'intéressent quand je me sens si loin de toi ; aussi je t'embrasserai bien fort le jour où tu nous reviendras pour te montrer tout le plaisir que tu m'as fait en m'écrivant si régulièrement.
Marie devait faire partir sa lettre aujourd'hui, et la petite coquine a si bien fait que le courrier ne t'apportera rien demain de la mer. Je le regrette car tu nous remercies si aimablement que ça donne encore envie de continuer.
Je t'ai quitté hier pour aller à la grand'messe où nous[1] avons eu un très bon petit sermon sur les devoirs de la mère de famille ; nos petites filles étaient avec nous très sages, elles ont le plaisir de voir rendre le pain béni par une petite fille et beaucoup d'enfants de leur âge. En rentrant, 11h 1/2, on s'est vite préparé au bain et j'ai eu le plaisir de voir nos 5 baigneurs[2] se plonger avec délices dans l'onde salée et chanter à qui mieux mieux tous ses charmes. Notre grosse Mie se trouve si bien dans l'eau qu'il faut que je crie et gesticule pour la faire sortir au bout des 4 ou 5 minutes réglementaires.
Tu sauras qu'on rentre tous dans la salle à manger, et que c'est là en famille que chacun prend son bain de pieds chaud, abandonne le costume de bain pour revêtir le peignoir, et ensuite seulement on va se livrer dans ses chambres respectives à la fin de la toilette. Que ce serait donc bon si tu étais là ! enfin je suis heureuse que tu ailles bien malgré les ennuis de fabrique et de tous genres que tu rencontres, car tu as une lourde besogne sur les bras, et je comprends que ta présence et ton coup d'œil soient plus qu'utiles. Mais sans les trois choux pour te sortir un peu de toi-même, c'est trop triste ; et si j'osais je te dirais que souvent ici j'en suis triste, et ne jouis pas de bien des choses.
Pour en revenir au récit de nos faits et gestes, à Midi 1/2, on s'est mis à table et il n'a pas fallu moins d'une heure pour apaiser ces grands estomacs après le bain. Cependant je n'ai pas encore pris de bain, je me porte si bien que je ne sais pas ce que je voudrais de mieux, j'ai promis aux enfants d'en prendre 2 cette semaine pour essayer. La chaleur était si forte hier que nous sommes restés à nous reposer hier jusqu'à 5 h, j'ai écrit à Emilie[3] et à Mme Pavet[4]. Nous sommes ensuite allés faire un bon tour sur les falaises. Ma Mie était un peu fatiguée, courbaturée, je me tourmentais déjà et je l'ai couchée dans mon grand lit, mais elle a très bien dormi et aujourd'hui il n'en est plus question.
Ce matin petits arrangements de maison ; nous n'avions pas Cécile[5] et Victorine Target[6] devait venir déjeuner avec nous, aussi avons-nous envoyé les enfants à la pêche avec les oncles et sommes-nous restées à ranger.
Victorine a été très gentille, elle est arrivée à 10h 1/2 et est repartie à 2h. Nous n'avons pas voulu fixer le jour où nous irons à Bourguignolles pour ne pas toucher un jour qui n'irait pas à nos messieurs, c'est à dire que nous voudrions y aller entre le premier départ d'Alphonse et ton arrivée... ?
Cécile est rentrée à 4h de chez son frère, elle a été très contente et pas malade du tout sur mer, quoique la mer fut très mauvaise !...
Aujourd'hui à cause des heures de marées, le bain s'est pris avant le dîner, l'eau était chaude et excellente.
A notre étage on rit beaucoup, notre vie à l'étroit nécessite la vue de toutes les toilettes possibles et impossibles, et j'entends Aglaé qui rit en faisant toute sortes de recommandations à Julien ; le jeune homme a été faire un tour au casino ; il a très bonne mine. Nos chéries sont noires comme des corbeaux mais toujours bien affectueuses. Bonsoir mon Chou, il est tard, je veux encore prier pour que le bon Dieu protège tout le bien qu'il m'a confié et chacun est au lit. Ta petite femme qui t'aime de tout son cœur
Eugénie M.
Mardi matin Nos petites filles dorment encore avec de bonnes mines roses qui font plaisir, le matin nous allons aller vers les vaches noires[7] ramener des petites bêtes. M. Louvard me redonnera un grand lit vendredi, les Nélaton[8] partent; Julien nous quittera le 31 au soir. Tu vois que nous aurons moyen de t'offrir à dodo si tu te décides à venir encore quelques jours à la mer.
Pour l'école à notre passage à Paris, il faut tâcher de voir celles qui sont réputées bien. Impossible de l'habiter avant le Printemps. Comment va Léon[9] ?
J'ai eu hier une lettre de maman[10], elle est à Montmorency et elle a un gros cœur de n'être pas avec nous, aussi elle recommande que nous nous fassions beaucoup de bien.
Je vais aussi < >
Merci encore, mon Ami aimé, pour tes bonnes lettres et continue je t'en prie à m'écrire comme cela. Ta petite femme
Eugénie M.
Petit Jean parle souvent d'oncle Mertzdorff[11]. Je puis te dire que chacun te fait mille amitiés.
Quand tu auras lu mon petit Industriel, c'est toujours avec plaisir que je le recevrai.
Il fait un ciel d'Italie, Vous devez bien souffrir de la chaleur. Où en sont les vignes ?
Tout notre monde est encore silencieux. < > aller à la messe.
Notes
- ↑ Assistent à la messe Eugénie et Aglaé Desnoyers, avec les petites Marie (Mie) et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards, Julien Desnoyers, Marie et Emilie Mertzdorff et le petit Jean Dumas.
- ↑ Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
- ↑ Louise Milne-Edwards, épouse de Daniel Pavet de Courteille.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
- ↑ Victorine Duvergier de Hauranne, épouse de Paul Louis Target ; ils possèdent une maison à Bourguignolles.
- ↑ Réputées pour leurs formes insolites, les falaises des Vaches-Noires s'étendent de Villers-sur-Mer à Houlgate.
- ↑ Possiblement la famille du chirurgien Auguste Nélaton (1807-1873).
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Charles Mertzdorff.
Notice bibliographique
D’après l’original.
Pour citer cette page
« Lundi 27 et mardi 28 juillet 1868. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Villers-sur-mer) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_27_et_mardi_28_juillet_1868&oldid=40467 (accédée le 15 novembre 2024).
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