Lundi 14 avril 1879 (A)

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1879-04-14A pages 1-4.jpg original de la lettre 1879-04-14A pages 2-3.jpg


Paris 14 Avril 1879

Mon Père chéri, que tu es donc bon de nous avoir écrit une si longue lettre. Que tu nous gâtes, il y a longtemps que c’est convenu et nous n’avons qu’à te remercier une fois de plus. Comme tu as dû le voir d’après la lettre d’Emilie[1], nous avons eu comme vous notre part d’hiver. Samedi et Dimanche mais Samedi surtout, nous avons eu un vent glacial, un peu de neige et de la gelée la nuit aussi tout le monde est légèrement enrhumé, les pauvres petites plantes qui s’étaient trop pressées de paraître ont une triste mine ; elles font peine à voir.

Hier jour de Pâques nous avons été bien tranquilles ; d’abord à la messe de 7h avec Mme Pavet et Marthe[2] qui avaient encore couché avec nous (au grand bonheur de la dernière), oncle[3] a été saisi dans la ménagerie par M. Frémy[4] qui le guettait et on ne l’a lâché qu’à 11h pauvre oncle qui devait déjeuner avec nous et qui a été réduit pour son jour de fête à manger tout seul un beefsteak brûlé ! A midi il m’a conduite chez Jeanne[5], pendant qu’Emilie et tante[6] allaient aider tante Louise à ranger, puis nous avons été aux vêpres et enfin nous avons terminé notre journée en lisant chacun pour nous dans le cabinet d’oncle, tu vois cela de loin.

Aujourd’hui nous avons eu à déjeuner M. Filhol[7] et M. [  ] un anglais qui n’aime guère la manière d’agir de son gouvernement, il est très drôle. Je viens de dessiner à ma pauvre Vénus qui ne ressemble guère hélas à une déesse de la beauté, et malgré un magnifique fil à plomb qu’oncle vient de me fabriquer le pied gauche a toujours l’air de terminer la jambe droite ; c’est un petit défaut.
A propos de dessin j’oubliais de te dire que M. Beauregard[8] est venu l’autre jour, tante n’était pas là, oncle l’a reçu avec moi, il a l’air très désagréable mais c’est un détail, il m’engageait d’abord énormément à peindre à l’huile mais la vue de mes dessins l’a beaucoup refroidi et puis il demandait trop de temps de travail et puis je ne me soucie pas de faire des croûtes, même pour orner les murs d’un grenier j’aime mieux que mes œuvres puissent se dissimuler modestement sous l’ombre d’un carton. Il m’a indiqué des dessins de fleurs à faire toute seule, car il veut m’en faire dessiner d’abord puis il viendra me donner ma 1ère leçon la semaine prochaine, il n’était pas libre avant.

Oncle vient de recevoir à l’instant sa nomination officielle[9] et à l’heure qu’il est il doit faire son entrée au milieu de ses nouveaux confrères, il n’y a pas eu de temps de perdu. Nous, pour nous amuser aussi, nous allons aller chez Paule[10] passer un bon moment avec notre ouvrage. Emilie a écrit à Jean[11] dont c’est aujourd’hui la fête il a 14 ans, et moi, papa, demain ! c’est effrayant ! peux-tu bien croire que tu as une vieille fille de 20 ans ! oui 20 ans [ce 2 & 0.] [  ] trop imposant il me semble que c’est hier que j’ai mis pour la 1ère fois un zéro ; je me croyais déjà un bien grand personnage, juge si je me trouve vieille à présent. Voilà que j’entame une nouvelle dizaine ! cela me fait de la peine de n’être plus un enfant.

Adieu, mon Père chéri, chéri, laisse-moi t’embrasser 20 fois de toutes mes forces comme je t’aime et comme je voudrais tant pouvoir le faire demain matin,
ta grande Marie


Notes

  1. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille (« tante Louise ») et sa fille Marthe Pavet de Courteille.
  3. Alphonse Milne-Edwards.
  4. Edmond Frémy.
  5. Jeanne Brongniart.
  6. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  7. Henri Filhol.
  8. Ange Louis Guillaume Lesourd-Beauregard.
  9. Alphonse Milne-Edwards vient d’être élu à l’Académie des sciences après le décès de Paul Gervais.
  10. Paule Arnould.
  11. Jean Dumas.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 14 avril 1879 (A). Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_14_avril_1879_(A)&oldid=42477 (accédée le 18 décembre 2024).

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