Jeudi 19 février 1874 (A)

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)


original de la lettre 1874-02-19A pages1-4.jpg original de la lettre 1874-02-19A pages2-3.jpg


19 février 74 midi[1]

Ma chère Marie,

Ta bonne lettre & celle plus récente de ta sœur[2] chérie me donnent de vos bonnes nouvelles. Il y a longtemps que vous n'avez reçu de lettres de moi & je m'en fais reproche.

Lundi matin Georges Duméril est venu ici avec Léon[3] qui l'a rejoint à Mulhouse. Je tâche de l'installer le mettre au courant de ce qui se fait ici, je ne l'ai donc peu quitté depuis son arrivée.

Le Mardi gras l'on n'a pas travaillé l'après-midi & je ne pense pas que les plaisirs du carnaval aient été bien brillants dans les environs.

Hier avec Georges à Morschwiller où j'ai trouvé nos bons parents[4], qui ne nous attendaient pas, en bonne santé, bonne-maman bien contente de voir Georges. L'on m'a beaucoup fait de questions sur Paris ; j'avais oublié de me munir de vos journaux de sorte que j'ai eu à répondre à bien des questions.

L'après-midi j'étais ai accompagné les jeunes gens[5] à Mulhouse & j'ai pu constater une fois de plus que l'industrie n'est pas heureuse, cependant il n'y a encore que quelques petites fabriques d'arrêtées, tous ralentissent leurs heures de travail ; d'autres ont réduit de ½ leurs métiers... J'entends encore bien des personnes qui parlent de quitter le pays. Ainsi M. Stoecklin[6] pense quitter l'Alsace pour aller se fixer dans les Vosges. L'ami d'Emilie M. Josué Paraf parle d'aller se fixer à Rouen, etc.

Tu vois que les temps passés n'ont encore amené aucun changement. Pour nous il y a cependant une petite amélioration nous travaillons un peu plus ; je crois que nous trouverons possibilité de travailler les Lundi. Tout est si cher, la vie si difficile qu'un jour par semaine de moins dans les recettes de l'ouvrier, se trouve être un lourd déficit. Mme André[7] a renvoyé pas mal de monde de sorte que réellement il y a de grandes souffrances & si je puis aider à les diminuer, je n'ai pas besoin de te dire que je m'en trouve heureux.

A Morschwiller il y a bien plus d'ouvriers sans travail, tant par nous qui avons une centaine d'ouvriers de moins que par la fabrique Hofer[8] qui occupe 4 500 ouvriers de moins. Là le boulanger de bonne-maman va cesser de cuire parce que personne <ne> paye & qu'il n'a plus de quoi payer son meunier. Mais à Morschwiller la terre est bonne & son produit aide à passer ces temps si malheureux, en attendant la population ouvrière trouvera à se disperser en partie. Si notre pays se dépeuple d'Alsaciens, il y a toujours une augmentation d'Allemands qui envahissent le pays. Comment y vivent ils ? je ne m'en rends pas compte, car comme le 1er jour personne ne les emploie ; ils doivent vivre entre eux & par eux ; il est vrai que le militaire ne manque pas & c'est par lui que bien des Allemands doivent vivre.

Je ne crois pas vous avoir dit que M. Pétrus est très malade, sa femme était couchée & son enfant a la rougeole, les deux derniers n'ont donné aucune inquiétude, tandis que M. Pétrus m'inquiète beaucoup. Jeangele[9] va mieux, cependant il se fait vieux.

Nanette[10] a fait hier quelques provisions auprès des marchands du midi, entre autres les 2 <mètres> flanelle pour Cécile[11].

Hier il a fait un bien mauvais temps, il neige aujourd'hui, mais elle fond à mesure, aussi notre cour est-elle bien sale, je pense que nous n'aurons plus de froid.

J'espère que Tantinette[12] aura su se débarrasser de ses maux de dents, car il ne faut pas qu'elle soit souffrante elle ferait bien mieux de partager son mal à tous ceux qui l'aiment, je m'inscris pour la grosse part. Elle avait déjà mal lorsque je vous ai quittés & il est probable que si elle avait été plus obéissante à son grand chef, il n'en serait plus question.

J'ai encore du plaisir à penser à la bonne lettre que m'a écrite Oncle Alphonse[13] il a retrouvé sa bonne humeur & j'envie souvent les parties de rire que d'ici je vous entends faire. Tu les embrasseras tous deux pour moi ainsi que ta sœurette chérie de tout cœur

ton père

Charles Mff


Notes

  1. Lettre sur papier deuil.
  2. Emilie Mertzdorff.
  3. Léon Duméril.
  4. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (« bonne-maman »).
  5. Georges et Léon Duméril.
  6. Jean Stoecklin ou son fils Alfred.
  7. Mme André
  8. La fabrique d’indiennes d’Edouard Hofer.
  9. Jeangele, Jean, domestique chez les Mertzdorff.
  10. Annette, cuisinière chez les Mertzdorff.
  11. Cécile Besançon, bonne des demoiselles Mertzdorff.
  12. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  13. Alphonse Milne-Edwards.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 19 février 1874 (A). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_19_f%C3%A9vrier_1874_(A)&oldid=39902 (accédée le 29 mars 2024).

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