Dimanche 8 mai 1881

De Une correspondance familiale


Lettre d’Émilie Mertzdorff (Montmorency) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


Fs1881-05-08 pages1-4-Emilie.jpg Fs1881-05-08 pages2-3-Emilie.jpg


Mon Père chéri, c’est encore de Montmorency que je t’écris ; nous sommes partis ce matin, oncle, tante[1] et moi par le train de 10h pour venir déjeuner avec bon-papa et bonne-maman[2]. Oncle est parti à midi pour assister à une vente de terrains qui a lieu à Soisy[3], auprès de ceux que bon-papa possède, afin de se rendre un peu compte de la valeur que toutes ces terres ont actuellement. Je pense que nous rentrerons à Paris pour le dîner, à moins qu’oncle ne soit fatigué de sa course et n’aime mieux se reposer un peu plus longtemps avant de partir.

J’ai reçu ce matin ta bonne lettre qui m’a remplie de joie ; elle a même fait trotter beaucoup mon imagination ; je t’ai vu tout de suite prenant le chemin de fer aussitôt après ta réunion d’actionnaires et arriver ici avant la fin de la semaine pour passer encore un bon moment avec nous avant de faire ta saison de Wattwiller et de venir nous retrouver à Launay. Mon plan de campagne n’est-il pas bien conçu ? ai-je bien deviné tes intentions et puis-je me réjouir en toute sécurité ? J’espère que oui et que tu me le répondras bientôt toi-même.

Depuis que je t’ai écrit, c’est-à-dire depuis Jeudi j’ai assez peu vu Marie[4]. Je te disais dans ma dernière lettre qu’en revenant de Montmorency nous devions nous trouver chez elle avec Paule[5], c’est en effet ce qui est arrivé et nous avons passé un bon moment toutes ensemble. Vendredi nous sommes restées toute la journée à la maison, tante avait beaucoup de choses à faire et moi j’avais à travailler. Samedi au contraire nous sommes sorties du matin au soir. Après ma leçon d’allemand[6], tante m’a menée au cours de Mlle Magdelaine[7] et j’ai eu ensuite le dernier cours de M. Talbot[8], je n’en suis pas absolument fâchée, car ses dernières leçons tout entières sur l’éloquence, puis sur la philosophie ne m’avaient que médiocrement intéressée et je puis même dire qu’elles m’avaient assez ennuyée à rédiger. La suppression de ces devoirs va me donner beaucoup de temps mais j’ai dix fois plus de projets qu’il n’en faudrait pour remplir ces quelques heures ; tu me reconnais bien là.

Nous avons été très étonnées de voir entrer à la fin du cours de M. Talbot, Marie qui venait consulter tante au sujet d’une robe qu’il lui faudra absolument Mercredi pour aller dîner chez je ne sais plus qui[9]. Aussi, après m’avoir mise au cours de chant, tante est-elle allée avec ta pauvre fille éplorée lui choisir une robe au Bon Marché ; on m’a dit comment elle serait, mais je ne m’en suis formé qu’une idée assez vague, tout ce que j’ai bien compris c’est qu’elle serait en satin et en gaze noirs ; on a décidé que le meilleur moyen de dissimuler les proportions un peu gigantesques de Marie serait de lui prendre une robe foncée et je crois [qu’] en effet elle sera beaucoup plus à son avantage ainsi que dans [  ] une toilette claire qui ferait valoir toute son ampleur.

Bon-papa et bonne-maman t’envoient toutes leurs amitiés. Je ne te parle jamais d’oncle et [de tante] parce qu’il va de soi que leurs amitiés sont toujours jointes aux miennes.

Tu as sans doute entendu souvent parler de Mme Marly ou plutôt de Mlle Émilie Sergent[10] qui était très liée avec tante Adèle[11] ; elle vient de perdre son mari après avoir englouti tout ce qu’elle possédait dans une épicerie où ils ont fait de mauvaises affaires, et elle reste veuve avec 3 filles dont l’aînée a 6 ans, un garçon[12] et elle attend encore un 5e enfant au mois de Juillet. Elle n’a pour faire vivre ce petit monde qu’une place de caissière lui rapportant 200 F par mois, c’est déjà très beau, mais ses charges sont aussi bien lourdes. Elle cherche à placer ses trois filles dans une pension où on pourrait les instruire suffisamment pour qu’elles arrivent plus tard à se tirer d’affaire et je crois que tante a trouvé ce qui lui convient ; mais la pauvre femme quoique ayant une énergie extraordinaire n’en est pas moins bien malheureuse.

Adieu, mon papa chéri, il ne me reste plus que ce petit bout de papier blanc pour te dire combien je t’aime et t’embrasser bien fort.
Émilie


Notes

  1. Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers.
  2. Jules Desnoyers et son épouse Jeanne Target.
  3. Soisy-sous-Montmorency.
  4. Marie Mertzdorff-de Fréville, sœur d’Émilie.
  5. Probablement Paule Arnould.
  6. Leçon d’allemand avec Mademoiselle Jacobsen.
  7. Mlle Magdelaine, professeur d’histoire de l’art.
  8. Eugène Talbot.
  9. Repas chez Jules Le Conte et son épouse Marie Léonie Gaillard.
  10. Émilie Sergent, veuve de Théodore Ernest Marly.
  11. Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil.
  12. Auguste Marly.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 8 mai 1881. Lettre d’Émilie Mertzdorff (Montmorency) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_8_mai_1881&oldid=39705 (accédée le 16 avril 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.