Dimanche 14 avril 1918 (A)

De Une correspondance familiale

Lettre collective dactylographiée d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) ; exemplaire à son fils Louis Froissart (mobilisé)

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14 Avril 1918.

Mes chers enfants,

N’ayant pas le temps d’écrire 6 lettres avant le départ du courrier, j’ai recours à la lettre collective où chacun fera son choix.

Dans la lettre que j’ai reçue de votre père[1] Jeudi, et qui était datée du mardi, il me disait avoir vu arriver à Campagne une Compagnie du 8e Territoriale qui était occupée à identifier les morts aux environs de Péronne et en avait été chassée par la bataille. Il a fallu lui assurer un gîte à la maison. Il avait aussi mis en train le cimentage de la cave au-dessous du garage à BRunehautpré, afin d’y pouvoir enfermer, en cas de danger, les objets auxquels nous tenons. Je passe sous silence beaucoup d’autres choses et visites qui ont rempli son temps plus qu’il ne l’eût désiré. Il ne parle pas de retour, quoique, dit-il, sa présence là-bas ne s’impose pas, mais il ne dit pas non plus qu’il pense à faire prolonger son permis qui expire le 15, de sorte que je ne sais si je dois l’attendre demain, au fond je ne l’attends pas et je continue à lui renvoyer ses lettres.

Les journaux vous auront appris le tragique raid de la nuit du 12 au 13[2]. C’est peut-être la maison du Bûcheron ou la maison voisine qui a été incendiée, rue de Rivoli, pas loin de Saint Gervais. La gravité du sinistre vient de ce que l’alerte a commencé à sonner à peine 2 minutes avant la chute des projectiles, il était matériellement impossible que personne fût descendu à la cave. Le coup quoiqu’éloigné fut plus formidable encore que celui de Chappe[3] dont Élise[4] a gardé le souvenir ! Cette nuit à 1h, le vent étant trop fort pour tenter un nouveau raid on nous a envoyé 3 coups de canon, mais si loin de nous que je n’ai pas jugé utile de bouger de mon lit.

Je n’ai pas de nouvelles des combattants depuis trois jours ; je crois Michel et Louis[5] en route vers de nouvelles et importantes occupations. Ce n’est pas sans regret que Michel dit adieu aux épinards de Mme Gosset[6], mais cet adieu ne paraît pas exempt d’un espoir de retour.

Louis paraît content que l’offensive ait ramené le Capitaine Vaucheret à son Régiment bien qu’il ne soit pas sous ses ordres, mais oui bien chargé d’éclairer de ses lumières l’Infanterie. Pierre[7] était encore aux dernières nouvelles dans ses sapins et dans un calme qui convient à son état d’âme. Je ne sais rien de Jacques[8] depuis qu’il a franchi le col, j’espère qu’il aura trouvé mes lettres à Lyon.

Marie de Fréville et Françoise[9] ont passé 24h à Paris et ont dîné avec moi Vendredi. Jeanne[10] se décide sur le conseil de René à ne pas revenir. Stanislas en effet n’est pas très sûr. Cela n’a pas empêché les Galtier[11] de revenir au complet et d’y remettre les deux garçons. La musique reprend son cours, je ne m’en plains pas.

Les Colmet Daâge parlent d’un prochain retour qui paraît fixé à jeudi ou vendredi. Retour à Ecuelles, bien entendu Paris est à éviter pour les enfants[12]. Marthe[13] se demande toujours s’il ne serait pas prudent de partir pendant que les voyages sont faciles…. Les Degroote restent provisoirement dans le statu quo[14]. Je reviens de chez eux et je me hâte de terminer pour que ma lettre puisse partir. Je vous envoie des amitiés collectives que je rends néanmoins très tendres pour chacun. Je n’ai pas le temps de relire et de corriger, je compte sur votre intelligence pour suppléer à ce qui manque.

Emy


Notes

  1. Damas Froissart.
  2. Bombardement de Paris (en particulier du quartier Saint Paul) par des Zeppelins allemands.
  3. Voir la lettre du 12 mars 1918.
  4. Élise Vandame, épouse de Jacques Froissart.
  5. Les frères Michel et Louis Froissart (destinataire de la gazette).
  6. Marie Marguerite Morel d’Arleux, veuve de Félix Henri Gosset.
  7. Leur frère Pierre Froissart (destinataire de la gazette).
  8. Leur frère Jacques Froissart (destinataire de la gazette).
  9. Probablement Marie Thérèse de Fréville, épouse de Jean Caillard d’Aillières et sa sœur Françoise de Fréville.
  10. Jeanne de Fréville, épouse de René du Cauzé de Nazelle (leurs enfants sont d’âge scolaire).
  11. Léon Galtier et sa famille.
  12. Hubert, Bernard et Patrice Colmet Daâge.
  13. Marthe Pavet de Courteille, veuve de Jean Dumas.
  14. Les Degroote sont à Meudon.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 14 avril 1918 (A). Lettre collective dactylographiée d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) ; exemplaire à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_14_avril_1918_(A)&oldid=60970 (accédée le 15 novembre 2024).

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